Bien que le taux de participation de 43% au référendum de Viktor Orbán contre les quotas migratoires que veut imposer l’Union europenne[1] soit quelque peu embarrassant, ceux qui croient qu’Orbán va battre en retraite se trompent lourdement : les décombres de l’Empire des Habsbourg sont en train de se regrouper pour lancer « une contre-révolution culturelle ».

La forteresse située sur les rives du Danube à 40  km au nord de Budapest porte le nom slave de više grad , littéralement « la ville haute » : elle fut détruite par les Turcs au cours des guerres successives des XVIe et XVIIe siècles.
La forteresse située sur les rives du Danube à 40 km au nord de Budapest porte le nom slave de više grad [2] , littéralement « la ville haute » : elle fut détruite par les Turcs au cours des guerres successives des XVIe et XVIIe siècles.

La résistance contre les quotas de l’UE et la politique d’ouverture des frontières de Merkel a, l’année dernière, soudé entre eux les quatre Etats constituant le groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, Slovaquie, Tchéquie), ou V4. Car, jusqu’en 2015, ces petits pays se comprenaient comme l’arrière-cour de Berlin. Puis d’un seul coup, ils se sont élevés contre Berlin et Bruxelles[3] et ont bloqué avec succès la route des Balkans. Ce fut une expérience grisante qui appelait une suite.

Viktor Orbán, un combattant politique né

Personnalité charismatique née pour le pouvoir et le combat politiques, Orbán a depuis longtemps vaincu tous ses adversaires et en cherche maintenant de nouveaux. Or, les élites libérales ouest-occidentales, qui l’attaquent depuis des années[4] et ont rabaissé la Hongrie au rang de hors-la-loi au sein même de l’Union européenne[5], tombaient à pic. Les liens séculaires se sont alors réactivés : après le référendum, le journaliste praguois Daniel Kaiser a rencontré à Budapest Georges de Habsbourg, petit-fils du dernier empereur d’Autriche et roi de Hongrie, Charles Ier. Georges vit en Hongrie depuis vingt-trois ans, travaille pour le gouvernement ; c’est un bon ami d’Orbán. Il se félicite, « bien sûr, en tant que représentant de ma famille », que « revive le concept d’Europe centrale à Visegrad ». Même le FPÖ autrichien, en la personne de son candidat à la présidentielle Norbert Hofer, manifeste son intérêt à rejoindre le groupe de Visegrád[6]. L’Empire des Habsbourg va-t-il ressurgir de la crypte des Capucins[7] ?

Le V4 est-il vraiment viable ? Après sa fondation en 1991, il était une alliance de circonstance visant à l’intégration rapide dans l’Otan, puis dans l’UE. Une fois l’objectif atteint, il continua certes à exister formellement, sans s’être toutefois donné ses propres infrastructures. Les intérêts des Etats-membres divergent et s’opposent. Un des membres de l’UE, la Slovaquie, est dans la zone euro. Les autres y sont contractuellement contraints, mais, après la crise grecque, ils n’en ont plus envie.

La gauche en a mal au ventre

S’ajoute à cela l’instabilité politique intérieure : les nouveaux partis conservateurs ou bourgeois peuvent très bien s’accommoder du nouveau Visegrád-Habsbourg. Le gouvernement de gauche à Prague dirigé par le Premier ministre Bohuslav Sobotka, auquel s’ajoute la « l’aile moderne » de la social-démocratie, prend, quant à lui, prudemment ses distances  avec le passé. Prague ne veut pas s’opposer ouvertement à l’Allemagne. En revanche, Sobotka ne peut pas soutenir l’ouverture des frontières aux migrants africains : une forte majorité rassemblant 70 à 80% des Tchèques sont contre.

Seul l’axe Budapest-Varsovie met en œuvre une coopération politique viable : deux gouvernements ultraconservateurs, dont un national-conservateur (Hongrie) et l’autre imprégné d’un catholicisme orthodoxe. Lorsque Bruxelles a lancé, en janvier 2016, une procédure inédite contre Varsovie à la suite de deux réformes controversées sur les médias et la justice[8], de fait une mesure disciplinaire d’ordre politique, Orbán a promis immédiatement que Budapest bloquerait toute sanction contre la Pologne dans l’UE.

Ces deux Etats ne sont pas non plus exactement sur la même ligne. Les conservateurs polonais font partie du groupe modéré ECR[9] au Parlement européen (représenté pour l’Allemagne par Bernd Lucke d’Alfa), tandis qu’Orbán siège, lui, dans le Parti populaire européen (PPE) avec la CDU[10]. Il considère l’appartenance au PPE comme étant un bouclier contre les attaques de plus en plus nombreuses venant d’Europe occidentale.

Qu’est-ce qui unit Orbán et son partenaire polonais Jaroslaw Kaczynski ? Tous deux sont des traditionalistes convaincus. Il y a un mois, lors d’une conférence dans la petite ville polonaise de Krynica, Orbán a formulé en présence de Kaczynski la nécessité de lancer « une contre-révolution culturelle » dans l’Union européenne − contre les soixante-huitards, contre la dilution de l’image de la famille chrétienne, contre l’idéologie du genre.

Sur ces sujets, Georges de Habsbourg ajouta : « Il serait certainement bénéfique qu’il y ait un groupe au sein de l’UE qui puisse encore représenter des positions fermes, qu’il n’est aujourd’hui plus possible de défendre dans les pays d’Europe de l’Ouest. » En Europe centrale, l’on retrouve aussi les Tchèques plutôt laïques, les Slovaques de toute façon. On est fatigué de la période communiste, mais aussi de la propagande progressiste − et tout cela unit encore le groupe de Visegrád[11]. L’hostilité ouverte pratiquée par Bruxelles et Berlin ou par les médias allemands fait le reste.

D’après l’article de Daniel Kaiser. Journaliste à Prague, celui-ci est diplômé d’études germaniques suivies à l’université Charles (Karl) de cette même ville. Après avoir travaillé plusieurs années à la BBC tchèque à Prague et Londres, il fut commentateur au quotidien Lidové noviny. Lorsque ce dernier fut racheté par l’oligarque et politicien Andrej Babiš, il fonda avec un collègue l’hebdomadaire Echo.

http://www.tichyseinblick.de/daili-es-sentials/kraxeln-aus-der-kapuzinergruft/

[1] A la question : « Voulez-vous que l’Union européenne puisse prescrire l’installation obligatoire en Hongrie de citoyens non hongrois sans l’approbation de l’Assemblée nationale ? », les Hongrois ont répondu par la négative à 98%.

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Visegr%C3%A1d

[3] Cf. Le groupe de Visegrád oppose un refus sans appel aux quotas de réfugiés (septembre 2015) : http://www.euractiv.fr/section/justice-affaires-interieures/news/le-groupe-de-visegrad-oppose-un-refus-sans-appel-aux-quotas-de-refugies/

[4] En raison des décisions d’Orbán touchant à la souveraineté politique et économique (priorité donnée aux petites et moyennes entreprises) de la Hongrie, il attira très vite les foudres des eurocrates et de leur relais médiatiques. Notamment Le Monde et le Spiegel le comparèrent à Hitler et Mussolini :
http://en.metapedia.org/wiki/Viktor_Orb%C3%A1n
Sur la réussite économique, par William Engdahl : http://journal-neo.org/2016/08/17/will-hungary-be-next-to-exit-the-eu/
http://journal-neo.org/2016/10/12/i-nominate-viktor-orban-for-nobel-peace-prize/

[5] La Hongrie adhère à l’OTAN en 1999 et à l’Union européenne le 1er mai 2004.

[6] http://unser-mitteleuropa.com/2016/09/16/habsburg-light-das-neue-mitteleuropa/

[7] Lieu de sépulture de la Maison de Habsbourg depuis 1633, situé à Vienne.

[8] http://www.lesechos.fr/13/01/2016/lesechos.fr/021616982429_loi-sur-la-justice-et-les-medias—bruxelles-lance-une-procedure-inedite-contre-varsovie.htm

[9] L’European Conservatives and Reformists Group est l‘un des huit groupes du Parlement européen : http://ecrgroup.eu/fr.

[10] http://hu-lala.org/viktor-orban-inquiete-ppe/

[11] Voir interview, par Breizh Info, de la rédaction du Visegrád Post, un nouveau média francophone et anglophone sur l’Europe centrale : http://www.breizh-info.com/2016/04/19/42182/visegrad-post-media-francophone-europe-centrale

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