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Le procès du Commandant de Saint Marc – « Nous ne laisserons pas notre honneur en Algérie » (Bernard Zeller)

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Les Nouvelles Editions Latines qui avaient déjà publié le procès des généraux Challe et Zeller complètent leur catalogue à l’occasion des 60 ans du putsch avec cette publication du procès du commandant de Saint Marc. Une édition qui n’est pas seulement la transcription de la sténographie des débats… mais un témoignage Pour l’Histoire.

Le 5 juin 1961 – il y a 60 ans- à 13h15 s’ouvre devant le Haut Tribunal militaire, institué le 27 avril 1961, le procès de Hélie de Saint Marc, l’un des conjurés les plus en vue du putsch d’Alger. L’homme se présente en uniforme d’apparat, béret vert et décorations pendantes. Le procès se clôt le soir même -rapide délibéré- au terme duquel l’accusé est condamné à 10 années de détention criminelle.

Le procès débute par un interrogatoire d’identité d’usage… et la déclaration devenue célèbre du commandant de Saint Marc, déclaration qu’il faut faire lire aux jeunes, c’est son parcours, c’est un morceau de notre Histoire de France, tragique, de sang et d’honneur :

   « Ce que j’ai à dire sera simple et sera court. Depuis mon âge d’homme, Monsieur le Président, j’ai vécu pas mal d’épreuves : la Résistance, la Gestapo, Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d’Algérie, Suez, et puis encore la guerre d’Algérie…

   « En Algérie, après bien des équivoques, après bien des tâtonnements, nous avions reçu une mission claire : vaincre l’adversaire, maintenir l’intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale, l’égalité politique.

« On nous a fait faire tous les métiers, oui, tous les métiers, parce que personne ne pouvait ou ne voulait les faire. Nous avons mis dans l’accomplissement de notre mission, souvent ingrate, parfois amère, toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme. Nous y avons laissé le meilleur de nous-mêmes. Nous y avons gagné l’indifférence, l’incompréhension de beaucoup, les injures de certains. Des milliers de nos camarades sont morts en accomplissant cette mission. Des dizaines de milliers de musulmans se sont joints à nous comme camarades de combat, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes. Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours.

« Et puis un jour, on nous a expliqué que cette mission était changée. Je ne parlerai pas de cette évolution incompréhensible pour nous. Tout le monde la connaît. Et un soir, pas tellement lointain, on nous a dit qu’il fallait apprendre à envisager l’abandon possible de l’Algérie, de cette terre si passionnément aimée, et cela d’un cœur léger. Alors nous avons pleuré. L’angoisse a fait place en nos cœurs au désespoir. Nous nous souvenions de quinze années de sacrifices inutiles, de quinze années d’abus de confiance et de reniement. Nous nous souvenions de l’évacuation de la Haute-Région, des villageois accrochés à nos camions, qui, à bout de forces, tombaient en pleurant dans la poussière de la route. Nous nous souvenions de Diên Biên Phû, de l’entrée du Vietminh à Hanoï. Nous nous souvenions de la stupeur et du mépris de nos camarades de combat vietnamiens en apprenant notre départ du Tonkin. Nous nous souvenions des villages abandonnés par nous et dont les habitants avaient été massacrés. Nous nous souvenions des milliers de Tonkinois se jetant à la mer pour rejoindre les bateaux français. Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d’Afrique. Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse. Nous pensions à ces inscriptions qui recouvrent les murs de tous ces villages et mechtas d’Algérie : “ L’Armée nous protégera, l’armée restera “. Nous pensions à notre honneur perdu.

« Alors le général Challe est arrivé, ce grand chef que nous aimions et que nous admirions et qui, comme le maréchal de Lattre en Indochine, avait su nous donner l’espoir et la victoire. Le général Challe m’a vu. Il m’a rappelé la situation militaire. Il m’a dit qu’il fallait terminer une victoire presque entièrement acquise et qu’il était venu pour cela. Il m’a dit que nous devions rester fidèles aux combattants, aux populations européennes et musulmanes qui s’étaient engagées à nos côtés. Que nous devions sauver notre honneur. Alors j’ai suivi le général Challe. Et aujourd’hui, je suis devant vous pour répondre de mes actes et de ceux des officiers du 1er REP, car ils ont agi sur mes ordres.

« Monsieur le Président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier. On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer. Oh ! je sais, Monsieur le Président, il y a l’obéissance, il y a la discipline. Ce drame de la discipline militaire a été douloureusement vécu par la génération d’officiers qui nous a précédés, par nos aînés.

« Nous-mêmes l’avons connu, à notre petit échelon, jadis, comme élèves officiers ou comme jeunes garçons préparant Saint-Cyr. Croyez bien que ce drame de la discipline a pesé de nouveau lourdement et douloureusement sur nos épaules, devant le destin de l’Algérie, terre ardente et courageuse, à laquelle nous sommes attachés aussi passionnément que nos provinces natales.

« Monsieur le président, j’ai sacrifié vingt années de ma vie à la France. Depuis quinze ans, je suis officier de Légion. Depuis quinze ans, je me bats. Depuis quinze ans j’ai vu mourir pour la France des légionnaires, étrangers peut-être par le sang reçu, mais français par le sang versé. C’est en pensant à mes camarades, à mes sous-officiers, à mes légionnaires tombés au champ d’honneur, que le 21 avril, à treize heure trente, devant le général Challe, j’ai fait mon libre choix.

« Terminé, Monsieur le Président. »

Les passions politiques, les pressions politiques se déchaînent. Pierre Mesmer, ministre des armées et ancien légionnaire fait pression auprès de l’avocat général de la Cour de Cassation Jean Reliquet pour une lourde peine, Edmond Michelet, alors Garde des Sceaux renchérit. Ils avaient demandé dans le procès des généraux Challe et Zeller, la peine de mort.

Les dépositions se succèdent, les témoignages tous azimuts s’empilent. Anciens déportés, généraux, militaires, journalistes …  pour ou contre… tous terminent par un hommage « Officier de haute volée, sens du devoir, du sacrifice. Aimé de ses hommes. Officier extraordinaire. Une des plus belles figures d’officier que je connaisse. Officier d’élite. »

Réquisitoire de monsieur l’avocat général Reliquet – Plaidoirie de Maître Martin-Sané – Jugement. « Ils n’ont rien compris » a lancé le commandant de Saint Marc au prononcé de sa peine.

L’affaire se termine en pantalonnade et les légionnaires de Saint Marc se rendent aux autorités en chantant à tue-tête : «Non, rien de rien, je ne regrette rien…», d’Edith Piaf.

Quarante ans plus tard, Saint Marc est devenu un mythe au sein de l’armée française. Il était reçu par les grands chefs, adulé à Saint-Cyr, et ses nombreux livres ont rencontrés un large public, bien au-delà des casernes. En novembre 2011, il a été élevé à la dignité de Grand Croix de la Légion d’honneur, la plus haute distinction que la République peut conférer. »

Ce livre est là pour témoigner de la grandeur d’un engagement au-delà des intérêts politiques. Pour que les jeunes générations connaissent ces pages tragiques, ces pages d’honneur.

Le procès du Commandant de Saint Marc, présenté et annoté par Bernard Zeller, préface d’Oliver Dard, aux Nouvelles Editions latines, avril 2021, 216 pages, 19€.

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