RP Antoine : Nous sommes capucins. Les capucins datent de 1525 et ont pour fondateur initial saint François d’Assise qui, lui, a vécu au 12e-13e siècle. Donc les capucins ont voulu reprendre une plus grande fidélité à la règle et c’est pour cela qu’ils sont une famille propre de l’ordre de saint François. Nous avons adhéré à la vie capucine et franciscaine à travers le Père Eugène de Villeurbanne qui, dans les années 70-80 a refondé une communauté de capucins. Nous avons bénéficié de ses enseignements et de ses bons exemples et donc aujourd’hui nous sommes 35 répartis en 3 couvents et nous continuons la vie capucine avec les caractéristiques de pauvreté, de contemplation et aussi de prédication. Les premiers capucins se voulaient des ermites prédicateurs. Et dans cette perspective, nous avons de grands saints de l’Ordre qui sont en même temps des docteurs de l’Eglise et aussi des apôtres très zélés. Saint Laurent de Brindes, par exemple, est docteur de l’Eglise et n’a pas hésité à prendre la tête des armées chrétiennes contre les Turcs quand il a fallu défendre la chrétienté contre les envahisseurs. Donc, nous essayons de poursuivre cet idéal de contemplation, de pauvreté et de prédication.
MPI-TV : Qu’est-ce qu’un jubilé ?
RP Antoine : Le dictionnaire de spiritualité définit le jubilé ou une année sainte : c’est une indulgence plénière qui, par l’accomplissement de certaines pratiques fixées par l’autorité pontificale, assure aux fidèles en état de grâce, la rémission totale des peines dues au péché, en vertu de la réversibilité des mérites ou communion des saints. C’est une définition du jubilé. On pourra y revenir à la fin mais c’est vrai que nous pouvons gagner tous les jours chez nous des indulgences plénières. Donc c’est très bien de participer aux jubilés ou aux années saintes mais les indulgences plénières ne sont pas réservées à ces pratiques.
Comment peut-on définir la miséricorde divine ?
La miséricorde est une vertu qui nous pousse à soulager la misère d’autrui que nous considérons comme nôtre. C’est-à-dire, on peut la définir aussi : la pitié du cœur qui sait partager les misères, les souffrances des autres. Donc, il y a deux mouvements dans la miséricorde : la douleur de voir quelqu’un subir une peine d’une part, et, d’autre part, l’action pour enlever ou diminuer cette peine. Il y a un premier mouvement de compréhension, d’appréciation de la peine de l’autre et de compassion, et un deuxième mouvement qui, en fonction de cette prise de conscience et de bonne disposition, va vouloir aider l’autre pour diminuer ou faire disparaître cette peine.
Il peut y avoir une miséricorde d’ordre naturel que l’on peut trouver chez nos contemporains. Elle a pour objet la misère naturelle de notre prochain, par exemple quand quelqu’un a faim, a soif ou est souffrant. On voit même des personnes, qui ne sont pas chrétiennes mais qui ont de bonnes dispositions de cœur d’ordre naturel, capables de venir en aide à ces personnes qui se trouvent dans le besoin. La miséricorde d’ordre naturel est bonne mais elle est insuffisante, parce qu’en tant que catholiques nous sommes enfants de Dieu par la grâce, et que nos vertus naturelles doivent être ordonnées aux vertus surnaturelles ; parce qu’elle ne va pas à la racine de ces misères naturelles, c’est-à-dire, le péché. On voit bien que le péché originel a engendré des désordres d’ordre naturel. Donc, pour que la miséricorde soit complète, elle doit s’exercer par rapport au principe de ce qui a engendré les désordres, c’est-à-dire le péché.
Nous abordons la miséricorde surnaturelle qui présuppose la charité. Elle est une conséquence de la charité et même, saint Thomas d’Aquin dit bien que la miséricorde est la vertu des parfaits. Le bon Dieu étant infini, elle se trouve infiniment en Dieu. Et plus on est parfait, plus on est enclin à pratiquer la miséricorde. Le motif de venir en aide au prochain, donc, est la charité surnaturelle : pour l’amour de Dieu on veut soulager les misères. C’est la charité, l’amour de Dieu, et le fait que nous soyons tenus d’imiter notre Père du Ciel nous pousse à pratiquer la miséricorde à son exemple : [soulager] les misères corporelles qui sont les conséquences du péché, et les misères spirituelles qui sont, entres autres, instruire les ignorants, donner de bons conseils, consoler les affligés et prier pour les vivants et pour les morts.
Donc, quant à cette œuvre de miséricorde qui est : remettre une peine qui est due (quelqu’un, un juge qui a des pouvoirs, si un condamné sait plaider sa cause ou manifester un grand repentir, un grand désir de réparer, le juge peut être enclin à remettre la peine ou à la diminuer). En cette œuvre de miséricorde qui est de remettre une peine, il faut tenir compte du bien commun. Parce que c’est vrai que si, par exemple, on le voit bien, on le constate tous les jours, si on laisse, dans un esprit de fausse miséricorde, repartir des délinquants sans qu’ils aient le désir de s’amender, sans qu’on leur en donne le moyen, c’est promouvoir le mal qui est contre le bien commun et qui est une fausse miséricorde. C’est là la mesure de l’exercice de la miséricorde, la promotion du bien commun et donc ne pas, sous prétexte de miséricorde, porter atteinte au bien commun ;
Le péché met en péril le bien commun. Pour préserver le bien commun, on est obligé d’exercer la justice, mais lorsque le bien commun n’est pas en péril, par le repentir du coupable ou son véritable amendement, il convient de faire miséricorde. C’est la voie, l’exemple très simple de l’Evangile où Notre-Seigneur, en même temps qu’Il ne condamne pas la femme adultère, lui précise bien en quelques mots, mais qui sont de grande importance : « Va et ne pèche plus ». Les deux aspects de la bonté de cœur de Notre-Seigneur qui a pitié d’elle, mais aussi de la justice qui requiert qu’elle ne pêche plus.
Que dire du Jubilé de la miséricorde ?
J’ai un peu parlé de cela pour introduire la fausse miséricorde du pape François et du Concile.
Entre autre, on continue à dire qu’il y a des erreurs mais les personnes sont intouchables, on les met au-dessus du bien commun. Théoriquement, on reconnaît qu’il y a des erreurs, des péchés mais pratiquement, on ne veut pas exercer la justice envers les personnes. En outre, la perte du sens du péché fait oublier que celui-ci est une grave atteinte au bien commun. Car Dieu est le bien commun suprême. Le jubilé du pape François a explicitement comme objectif : célébrer les 50 ans de la clôture du Concile Vatican II. Lui-même le dit dans les documents qu’il a lui-même écrits ou publiés avant le jubilé de cette année. Il dit : « L’Eglise ressent le besoin de garder vivant cet événement – le Concile- qui est une nouvelle étape », et donc célébrer, par-là, la fausse notion de miséricorde cultivée par le Concile. C’est, en même temps, célébrer l’anniversaire du Concile et aussi encourager à pratiquer la fausse miséricorde innovée à l’occasion du Concile ou mise en avant à l’occasion du Concile.
De plus, le contexte que nous avons connu avec le Synode sur la famille et cette fausse miséricorde envers les divorcés remariés et autres, ne peut que nous encourager à ne pas prendre part à ce jubilé.
Peut-on participer à ce jubilé ? La réponse repose-t-elle sur la prudence ou sur un principe de foi ?
Il me semble qu’on ne peut pas célébrer et participer à ce jubilé, et on peut difficilement dissocier le fait de l’obtention de l’indulgence avec la célébration des 50 ans du Concile. Il est beaucoup mieux d’obtenir des indulgences plénières à travers des pratiques qui sont sûres.
Tout à l’heure, je disais qu’on pouvait gagner tous les jours une indulgence plénière par des moyens sûrs, par exemple en lisant l’Ecriture sainte (c’est quelque chose à la portée de tous pendant une demi-heure), et en faisant les autres pratiques, cela est quelque chose de sûr.
Il y a une forte ambigüité dans cette pratique du jubilé de la miséricorde de cette année et, ce n’est pas du tout nécessaire, il est beaucoup mieux de ne pas s’immiscer dans cette forte ambigüité qui n’est pas bonne. Comme le jubilé est très lié avec le Concile, c’est plus une question de foi qu’une question de prudence. Parce que Monseigneur Lefebvre a toujours dit que l’adhésion au Concile et aux réformes modernes était un péril contre la foi. Là, c’est une manière d’aller dans ce mauvais sens et donc d’atténuer les biens de la foi à travers cette participation. Et même, le refus que nous en faisons est une manière de pratiquer la confession publique de la foi. C’est aussi une imprudence, car à force de vivre comme si on était d’accord, on finit par minimiser les erreurs et on se dispose à les justifier. Malheureusement, comme le dit l’adage : « Qui ne dit mot consent ». Si on ne dit rien contre le mal, on commence à glisser vers le mal, malheureusement.
Et donc, dans son homélie du 8 décembre 2015, le Pape évoque l’ouverture vers le monde et il dit : « Le Concile a été une rencontre entre l’Eglise et les hommes de notre temps ». Le Pape conclut : « Le jubilé nous provoque à cette ouverture et nous oblige à ne pas négliger l’esprit qui a jailli du concile Vatican 2, donc celui du Samaritain (souligné dans le texte) ». Il continue en disant : « Comme l’a rappelé le bienheureux Paul VI lors de la conclusion du Concile : ‘’ Franchir la Porte sainte nous engage à faire nôtre la miséricorde du bon samaritain’’ ». Mais c’est cette nouvelle miséricorde qui ne correspond pas du tout à celle enseignée par Notre-Seigneur et par la Tradition de l’Eglise.
Que répondez-vous à ceux qui vous objecteront que Mgr Lefebvre a participé en 1975 à l’Année sainte par un pèlerinage à Rome ?
Pour bien comprendre la différence entre le jubilé de 1975 et celui de 2015, il faut en voir le motif premier, c’est-à-dire ce qui a engendré d’une part celui de 1975 sous Paul VI et, d’autre part, celui de 2015 sous le pape François. Donc, en 1975, le pape Paul VI s’est interrogé sur l’opportunité de renouveler le jubilé car, depuis de très nombreuses années, même des siècles, tous les 25 ans la naissance du Sauveur est fêtée sous forme de jubilé. Et donc le Pape n’a fait que continuer cette pratique de célébrer, tous les 25 ans, la Rédemption et la naissance de notre Sauveur.
Paul VI n’était pas très partant pour ce jubilé de 1975, mais finalement il l’a rattaché au Concile, fini, terminé dix ans plus tôt. Mais le motif premier reste l’anniversaire de l’Incarnation, et ensuite il l’a rattaché au Concile et à ses nouveautés. Mais nous pouvons adhérer à ce motif premier qui est le plus important et qui, là, se retrouve bien dans la Tradition.
Fêter les 50 ans d’un Concile, c’est quelque chose de tout à fait nouveau, qui ne correspond pas aux pratiques traditionnelles. Bien sûr. Quel est le motif premier du jubilé de 2015 ? Comme nous l’avons vu, c’est fêter Vatican II et promouvoir la fausse notion de la miséricorde. Mgr Lefebvre a estimé que le Jubilé [de 1975] était traditionnel du fait que, tous les 25 ans, on fête l’Incarnation.
N’est-ce pas un principe libéral que de nous pousser à poser des actes qui nous emmènent in fine dans les bras des ennemis de l’Eglise ?
C’est un peu le consensus du libéralisme pratique de commencer, tout en restant, demeurant attaché théoriquement aux principes fondamentaux de la vérité, de poser des actes qui ne sont pas en cohérence, et plutôt en contradiction avec ces principes théoriques et c’est comme cela que l’on glisse doucement dans le libéralisme pratique. Notre monde moderne, et l’Eglise elle-même, est complètement enfouie dans le fonctionnement du libéralisme pratique. Et bien sûr aujourd’hui, l’Eglise officielle adhère au libéralisme théorique même si elle expose encore, de temps en temps, des vérités fondamentales. Donc il nous faut nous défier de ces pratiques dangereuses qui doucement nous font glisser dans le camp ennemi. C’est l’adage qui dit très bien : « Quand on ne vit pas comme l’on pense, on finit pas penser comme l’on vit ». Et cela peut se faire très insensiblement. Donc il faut, tout en demeurant charitable, et condescendant peut-être pour certains qui ne comprennent pas ces choses, il nous faut bien rester fermes dans les pratiques traditionnelles de l’Eglise, comme je l’ai évoqué tout à l’heure ; ne pas hésiter, pour gagner des indulgences, à dire le chapelet en commun (même dire le chapelet devant le Saint-Sacrement, on peut gagner une indulgence plénière), par d’autres bonnes pratiques, d’autres pèlerinages. Il y aura le Pèlerinage du Puy au mois d’avril qui permet de gagner une indulgence plénière aussi.
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