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Le patriarche Sako se plaint que le Pape le laisse seul face aux attaques du gouvernement irakien

Le Patriarche Sako abandonné par le Pape François face au gouvernement irakien

Le cardinal Louis Raphaël Sako, patriarche des Chaldéens, a manifesté son indignation au sujet du silence du Vatican face à l’attaque que son Église subit en Irak de la part des autorités du pays. « J’ai écrit au pape François après la visite de Rayan au Vatican, il ne m’a toujours pas répondu », dit-il.

Le patriarche des Chaldéens a accordé l’interview suivante à Asia News, dans laquelle il exprime son étonnement face au fait que personne à Rome ne veut défendre l’Église en Irak alors que le chef de l’État veut retirer sa reconnaissance officielle au patriarche chaldéen.

Votre Béatitude, depuis des semaines, vous menez personnellement et au nom de toute la communauté chrétienne – pour sa propre survie – un combat contre les plus hautes institutions irakiennes et les dirigeants chrétiens autoproclamés. Comment expliquez-vous cette situation ?

En fin de compte, c’est un projet qui vise à faire taire la voix de l’Église et la mienne. Au cours de ces 10 années en tant que patriarche ( ndlr : la nomination remonte à janvier 2013) j’ai toujours défendu les droits de l’homme, sans distinction de croyance ou d’appartenance ethnico-religieuse, j’ai essayé de protéger les chrétiens et je n’ai jamais voulu justifier la formation d’une prétendue milice « chrétienne ». J’ai rejeté tout cela, d’où le but de vengeance de la part d’une faction ( ndlr : les Brigades babyloniennes de Rayan al-Kildani). Cela a une arrière-pensée : pousser les chrétiens à partir, les faire émigrer pour reprendre leurs maisons, leurs biens, leurs propriétés. C’est pourquoi ils veulent aussi créer un environnement instable, et c’est pourquoi ils s’opposent à l’idée de citoyenneté, que j’ai toujours revendiquée comme base de l’appartenance à la nation. Cependant, une mentalité sectaire prévaut dans le pays dans lequel les gens se battent pour avoir plus de pouvoir, de visibilité et gagner plus d’argent. Il n’y a pas de volonté de construire un État fondé sur le droit et la justice. La confusion et l’anarchie règnent.

Une confusion qui surgit également dans les fonctions et pouvoirs des plus hautes institutions ?

C’est l’un des éléments fondamentaux : le Président de la République n’a pas le pouvoir de retirer les décrets pris dans le passé, il peut les dicter mais il ne peut certainement pas les annuler arbitrairement. De plus, cela va à l’encontre d’une tradition vieille de plusieurs siècles, remontant à l’époque du califat abbasside, puis de l’Empire ottoman et enfin de la République. En une seconde, le chef de l’État a voulu effacer 14 siècles d’histoire et de tradition, mais je n’ai pas peur et je n’ai rien à perdre… peut-être ma vie, mais je suis prêt à le faire aussi. Tout cela est fait pour intimider les chrétiens et les inciter à quitter le pays, et c’est pourquoi je les encourage encore une fois, et encore plus fortement, à rester et à garder espoir !

Leur combat est donc fondé sur le droit, pour le pays tout entier, et pas seulement pour les chrétiens…

Bien sûr ! Je ne me bats pas seulement pour eux, mais pour tous les Irakiens. Et je dois reconnaître qu’en tant que peuple, la communauté chrétienne est à mes côtés et me soutient dans ce combat. De plus, récemment, un groupe de 13 avocats musulmans a également déposé un recours devant la Cour suprême contre le retrait du décret présidentiel décidé par le Président de la République. En ce moment, nous faisons l’expérience d’une cohésion, d’un soutien fort et d’une unité au niveau du village et de la communauté chrétienne, alors qu’il existe des divisions entre les Églises. Un exemple parmi tant d’autres, les propos d’un patriarche qui a qualifié le Président de la République de « sage et avec une vision claire », ou d’autres évêques et prêtres qui profitent de la vente de maisons et de propriétés.

Après l’invasion américaine, la succession d’attentats et de violences et la montée de l’État islamique, avec sa logique de terreur et de mort, une nouvelle menace plane-t-elle sur l’avenir ?

C’est un autre style, une autre modalité peut-être plus cachée et sournoise mais avec le même objectif : pousser les chrétiens à partir. Une approche différente de celle d’Isis, mais avec la même logique sous-jacente.

Y a-t-il des réalités, des institutions, même au sein de l’Église, dont vous attendiez plus de solidarité et de proximité ?

Je suis déçu par la position du Saint-Siège, qui depuis près de cinq mois n’est pas intervenu pour désavouer les actions du Président de la République, pour rejeter les attaques contre la personne du Patriarche, pour prendre ses distances avec ceux qui se disent dirigeants chrétiens. La visite de ce monsieur ( ndlr : référence au « bref salut de circonstance » de Rayan le Chaldéen à la fin de l’audience générale début septembre, tel que décrit dans une brève note de clarification du Vatican) et la rencontre avec le pape François sur la place Saint-Pierre à la fin de l’audience de mercredi qu’il a ensuite relayé sur ses propres réseaux sociaux, en quête de légitimité auprès d’une autorité ecclésiastique ! Ses propos ont été un véritable choc pour les chrétiens et les musulmans d’Irak, car il s’est présenté une fois de plus comme le véritable représentant des chrétiens, lui et non le patriarche dont le pape aurait accepté la démission. Le silence face à ces déclarations est inacceptable.

Le silence finit-il par légitimer les attaques contre lui et contre l’Église chaldéenne toute entière ?

Exact. Le Saint-Siège aurait pu prendre la parole, il aurait pu dire que la propagande de cet homme n’est pas vraie, il aurait pu tenter de calmer le peuple, les nombreux chrétiens et musulmans en Irak qui subissent ces nouvelles attaques, ces mensonges qui blessent avant tout notre communauté. Le nonce apostolique m’invite au dialogue, pas pour humilier le président… mais ici c’est le président qui humilie l’Église et son peuple. Il dit que nous devons abandonner le décret et accepter une décision de justice. Mais il doit comprendre la mentalité locale et soutenir l’Église : il peut nier l’instrumentalisation et les mensonges de Rayan, demander aux évêques qui reçoivent de l’argent de lui d’arrêter de le faire, trouver une solution qui ne va pas à l’encontre de l’Église chaldéenne.

Désormais, presque chaque semaine, des plaintes sont déposées contre moi en justice, et dans les prochains jours je devrai me présenter au tribunal et je ne pourrai pas assister aux Rencontres Méditerranéennes à Marseille. J’ai écrit au pape François après la visite de Rayan au Vatican, il ne m’a toujours pas répondu. Nous sommes une Église persécutée depuis longtemps… qui lutte pour survivre, mais pour cela nous avons aussi besoin de soutien, de proximité, de solidarité.

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