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Le pape François supprime Ecclesia Dei, abroge Summorum Pontificum, et rallume la guerre liturgique

Le pape François a publié ce jour le Motu Proprio Traditionis custodes (1) qui supprime ce qu’il restait de la commission Ecclesia Dei. Il y révoque encore toutes les dispositions prises par le Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI. Alors que Jean-Paul II avait accordé une certaine tolérance à l’usage de la messe traditionnelle tout en condamnant la Tradition et les sacres épiscopaux de 1988, Benoît XVI avait reconnu le droit de tout prêtre à célébrer la messe traditionnelle, sans pour autant remettre en cause le missel néo-protestant de Paul VI.

Le temps des compromis semble révolu.

Le texte du pape François est clair : toutes les dispositions antérieures sont annulées. Seul le missel de Paul VI a droit de cité, et si l’évêque diocésain est encore en droit de tolérer la messe traditionnelle en certains cas toujours plus restreints, c’est uniquement pour « pourvoir au bien de ceux qui sont enracinés dans la forme précédente de célébration et qui ont besoin de revenir en temps voulu au rite romain promulgué par les saints [sic] Paul VI et Jean-Paul II » (lettre d’accompagnement adressée aux évêques).

Outre la dureté de ton de ce Motu Proprio et de la lettre l’accompagnant (2), deux premiers constats s’imposent :

1- Les Instituts dits Ecclesia Dei sont en danger de mort, tout simplement parce que la Commission romaine initialement fondée pour les protéger est désormais entièrement détruite. Aussi les mois à venir risquent sans doute de rebattre profondément la configuration du monde ecclésial traditionnel. Des moments particulièrement difficiles se préparent hélas pour ces Instituts, leurs membres et leurs fidèles. Les grandes luttes des années 70 vont sans doute reprendre, car nouveau motu proprio est une véritable déclaration de guerre faite à la messe traditionnelle.

2- Le combat dans la crise de l’Église retrouve d’une certaine manière une vraie cohérence. En effet, il n’est pas possible de dissocier les aspects doctrinaux et liturgiques. Si le pape François affirme que « les livres liturgiques promulgués par saint Paul VI et saint Jean-Paul II, conformément aux décrets du Concile Vatican II, sont l’unique expression de la lex orandi du rite romain », la déclaration solennelle que Mgr Lefebvre faisait le 21 novembre 1974 redouble d’actualité : « On ne peut modifier profondément la lex orandi sans modifier la lex credendi. A messe nouvelle correspond catéchisme nouveau, sacerdoce nouveau, séminaires nouveaux, universités nouvelles, Église charismatique, pentecôtiste, toutes choses opposées à l’orthodoxie et au magistère de toujours. »

Ce motu proprio aussi dramatique qu’agressif illustre à quel point la guerre entre l’Église catholique et le parasite conciliaire qui l’agresse est une lutte à mort. En ces temps difficiles et ô combien troublés, plus que jamais les âmes ont besoin de la doctrine catholique et des sacrements véritables. Plus que jamais l’Église a besoin d’évêques intégralement catholiques, secondés par des prêtres désireux non seulement de garder la messe de toujours, mais prêts à défendre les plus grands biens de l’Église contre toute attaque, quoiqu’il puisse leur en coûter personnellement. Prions pour eux.


(1) LETTRE APOSTOLIQUE
EN FORME DE MOTU « PROPRIO »
DU SOUVERAIN PONTIFE FRANÇOIS

« TRADITIONIS CUSTODES »

SUR L’USAGE DE LA LITURGIE ROMAINE AVANT LA RÉFORME DE 1970

Gardiens de la tradition, les évêques, en communion avec l’évêque de Rome, constituent le principe visible et le fondement de l’unité dans leurs Églises particulières. [1] Sous la conduite de l’Esprit Saint, par l’annonce de l’Évangile et par la célébration de l’Eucharistie, ils gouvernent les Églises particulières qui leur sont confiées. [2]

Pour promouvoir l’harmonie et l’unité de l’Église, avec une sollicitude paternelle envers ceux qui, dans certaines régions, ont adhéré aux formes liturgiques antérieures à la réforme voulue par le Concile Vatican II, mes vénérables prédécesseurs, saint Jean-Paul II et Benoît XVI, ont accordé et réglementaient la faculté d’utiliser le Missel romain publié par saint Jean XXIII en 1962. [3] De cette manière, ils entendaient « faciliter la communion ecclésiale à ces catholiques qui se sentent liés à certaines formes liturgiques antérieures » et non à d’autres. [4]

Suite à l’initiative de mon vénérable prédécesseur Benoît XVI d’inviter les évêques à vérifier l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum , trois ans après sa publication, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a procédé en 2020 à une large consultation des évêques, la dont les résultats ont été soigneusement examinés à la lumière de l’expérience acquise ces dernières années.

Maintenant, après avoir considéré les vœux formulés par l’épiscopat et écouté l’avis de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, je souhaite, avec cette Lettre apostolique, continuer encore plus dans la recherche constante de la communion ecclésiale. Par conséquent, j’ai trouvé approprié d’établir ce qui suit :

Article 1. Les livres liturgiques promulgués par les Saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II, conformément aux décrets du Concile Vatican II, sont la seule expression de la lex orandi du Rite romain.

Article 2. L’évêque diocésain, en tant que modérateur, promoteur et gardien de toute la vie liturgique dans l’Église particulière qui lui est confiée, [5] est chargé de régler les célébrations liturgiques dans son propre diocèse. [6] Par conséquent, il est de sa compétence exclusive d’autoriser l’utilisation du Missale Romanum de 1962 dans le diocèse, en suivant les directives du Siège Apostolique.

Article 3. L’évêque, dans les diocèses où il y a jusqu’à présent la présence d’un ou plusieurs groupes célébrant selon le Missel avant la réforme de 1970 :

§ 1. est de veiller à ce que de tels groupes n’excluent pas la validité et la légitimité de la réforme liturgique, des préceptes du Concile Vatican II et du Magistère des Souverains Pontifes ;

§ 2. indique un ou plusieurs lieux où les fidèles adhérents à ces groupes peuvent se réunir pour la célébration eucharistique (mais pas dans les églises paroissiales et sans ériger de nouvelles paroisses personnelles) ;

§ 3. établir à l’endroit indiqué les jours où les célébrations eucharistiques sont autorisées avec l’usage du Missel romain promulgué par saint Jean XXIII en 1962. [7] Dans ces célébrations, les lectures doivent être proclamées en langue vernaculaire, en utilisant les traductions de l’Écriture sainte à usage liturgique, approuvée par les Conférences épiscopales respectives ;

§ 4. nommer un prêtre qui, en tant que délégué de l’évêque, est chargé des célébrations et de la pastorale de ces groupes de fidèles. Le prêtre est apte à cet office, est compétent pour utiliser le Missale Romanum antérieur à la réforme de 1970, a une connaissance de la langue latine qui lui permet de bien comprendre les rubriques et les textes liturgiques, est animé d’une vive charité pastorale, et un sens de la communion ecclésiale. Il faut en effet que le prêtre responsable ait à cœur non seulement la célébration digne de la liturgie, mais le soin pastoral et spirituel des fidèles.

§ 5. dans les paroisses personnelles érigées canoniquement au profit de ces fidèles, il procède à une évaluation appropriée de leur utilité réelle pour la croissance spirituelle, et évalue s’il convient ou non de les maintenir.

§ 6. veillera à ne pas autoriser la constitution de nouveaux groupes.

Article 4. Les prêtres ordonnés après la publication de ce Motu proprio, qui ont l’intention de célébrer avec le Missale Romanum de 1962, doivent en faire la demande formelle à l’Évêque diocésain qui consultera le Siège Apostolique avant d’accorder l’autorisation.

Article 5. Les prêtres qui célèbrent déjà selon le Missale Romanum de 1962 demanderont à l’évêque diocésain l’autorisation de continuer à faire usage de la faculté.

Article 6. Les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique, érigés à l’époque par la Commission pontificale Ecclesia Dei, relèvent de la compétence de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique.

Article 7. La Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements et la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique, pour les matières de leur compétence, exerceront l’autorité du Saint-Siège, surveillant l’observation de ces dispositions .

Article 8. Les normes, instructions, concessions et usages qui ne sont pas conformes aux dispositions du présent Motu Proprio sont abrogés.

Tout ce que j’ai délibéré avec cette Lettre Apostolique en forme de Motu Proprio , j’ordonne qu’elle soit observée dans toutes ses parties, malgré tout contraire, même si digne de mention particulière, et j’établis qu’elle soit promulguée par la publication dans le journal « L’Osservatore Romano », entrant immédiatement en vigueur et publié par la suite dans le Commentaire officiel du Saint-Siège, Acta Apostolicae Sedis .

Donné à Rome, à Saint-Jean de Latran, le 16 juillet 2021 Mémoire liturgique de Notre-Dame du Mont-Carmel, neuvième de Notre Pontificat

FRANCESCO

____________________

[1] Voir CONC. ÉCUM. T.V.A. II, Constitution dogmatique. sur l’Église « Lumen Gentium », 21 novembre 1964, n. 23 : AAS 57 (1965) 27.

[2] Voir CONC. ÉCUM. T.V.A. II, Constitution dogmatique. Sur l’église « Lumen Gentium », 21 novembre 1964, n. 27 : AAS 57 (1965) 32 ; CONC. ÉCUM. T.V.A. II, décr. sur la mission pastorale des évêques dans l’Église « Christus Dominus », 28 octobre 1965, n. 11 : AAS 58 (1966) 677-678 ; Catéchisme de l’ Église catholique , n. 833.

[3] Voir JEAN-PAUL II, Litt. App. Motu proprio datae « Ecclesia Dei », 2 juillet 1988 : AAS 80 (1998) 1495-1498 ; BENOÎT XVI, Litt. App. Motu proprio datae « Summorum Pontificum », 7 juillet 2007 : AAS 99 (2007) 777-781 ; Litt. App. Motu proprio datae « Ecclesiae unitatem », 2 juillet 2009 : AAS 101 (2009) 710-711.

[4] JEAN-PAUL II, Litt. App. Motu proprio datae « Ecclesia Dei », 2 juillet 1988, n. 5 : AAS 80 (1988) 1498.

[5] Voir CONC. ÉCUM. T.V.A. II, Constitution sur la liturgie sacrée « Sacrosanctum Concilium », 4 décembre 1963, n. 41 : AAS 56 (1964) 111 ; Caeremoniale Episcoporum , n. 9 ; CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN ET LA DISCIPLINE DES SACREMENTS, Instr. sur certaines choses qui doivent être observées et évitées concernant la Très Sainte Eucharistie « Redemptionis Sacramentum », 25 mars 2004, nn. 19-25 : AAS 96 (2004) 555-557.

[6] Cf. CIC , can. 375, § 1 ; pouvez. 392.

[7] Voir CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, Décret « Quo magis » sur l’approbation de sept nouvelles préfaces pour la forme extraordinaire du Rite romain, 22 février 2020, et le Décret « Cum sanctissima » sur la célébration liturgique à l’honneur des saints sous la forme extraordinaire du rite romain, 22 février 2020 : L’Osservatore Romano , 26 mars 2020, p. 6.

[01014-FR.01] [Texte original : italien]

(2) LETTRE AUX EVÊQUES ACCOMPAGNANT LE MOTU PROPRIO « TRADITIONIS CUSTODES »  

Chers frères dans l’épiscopat,

Comme mon prédécesseur Benoît XVI l’a fait avec Summorum Pontificum, j’ai moi aussi l’intention d’accompagner le Motu proprio Traditionis custodes d’une lettre, pour illustrer les raisons qui m’ont conduit à cette décision. Je m’adresse à vous avec confiance et franchise (parrhesia, en grec dans le texte, ndlr), au nom de ce partage du « souci de toute l’Église, qui contribue par excellence au bien de l’Église universelle », comme le rappelle le Concile Vatican II[1].

Les raisons qui ont poussé saint Jean-Paul II et Benoît XVI à accorder la possibilité d’utiliser le Missel romain promulgué par saint Pie V, publié par saint Jean XXIII en 1962, pour la célébration du sacrifice eucharistique sont évidentes pour tous. La faculté, accordée par indult de la Congrégation pour le culte divin en 1984[2] et confirmée par saint Jean-Paul II dans le Motu proprio Ecclesia Dei de 1988[3], était avant tout motivée par la volonté de favoriser la recomposition du schisme avec le mouvement guidé de Mgr Lefebvre. La demande, adressée aux Évêques, d’accueillir généreusement les « justes aspirations » des fidèles qui demandaient l’usage de ce Missel, avait donc une raison ecclésiale pour recomposer l’unité de l’Église.

Cette faculté a été interprétée par beaucoup au sein de l’Église comme la possibilité d’utiliser librement le Missel Romain promulgué par saint Pie V, déterminant une utilisation parallèle au Missel Romain promulgué par saint Paul VI. Pour régler cette situation, Benoît XVI est intervenu sur la question bien des années plus tard, régulant un fait interne à l’Église, du fait que de nombreux prêtres et de nombreuses communautés avaient « avec reconnaissance utilisé la possibilité offerte par le Motu proprio » de saint Jean-Paul II. Soulignant combien cette évolution n’était pas prévisible en 1988, le Motu proprio Summorum Pontificum de 2007 entendait introduire « une réglementation juridique plus claire »[4]. Pour faciliter l’accès à ceux – même aux jeunes -, « qui découvrent cette forme liturgique, se sentent attirés par elle et y trouvent une forme particulièrement appropriée pour eux, de rencontre avec le Mystère de la Très Sainte Eucharistie »[5], a déclaré Benoît XVI » le Missel promulgué par saint Pie V et de nouveau publié par le bienheureux Jean XXIII comme une expression extraordinaire de la même lex orandi« , accordant une « possibilité plus large d’utiliser le Missel de 1962 »[6].

A l’appui de son choix se trouvait la conviction que cette disposition ne remettrait pas en cause l’une des décisions essentielles du Concile Vatican II, en en minant ainsi l’autorité : le Motu proprio reconnaissait pleinement que « le Missel promulgué par Paul VI est l’expression ordinaire de la lex orandi de l’Église catholique de rite latin »[7]. La reconnaissance du Missel promulguée par saint Pie V « comme une expression extraordinaire de la lex orandi elle-même » ne voulait en aucun cas méconnaître la réforme liturgique, mais était dictée par le désir de répondre aux « prières insistantes de ces fidèles » , leur permettant de « célébrer le Sacrifice de la Messe selon l’édition typique du Missel Romain promulgué par le bienheureux Jean XXIII en 1962 et jamais abrogé, comme forme extraordinaire de la Liturgie de l’Église »[8]. Il était réconforté dans son discernement par le fait que ceux qui souhaitaient « retrouver la forme, qui leur est chère, de la sainte Liturgie », « acceptaient clairement le caractère contraignant du Concile Vatican II et étaient fidèles au Pape et aux évêques »[9]. Il a également déclaré infondée la crainte de scissions dans les communautés paroissiales, car « les deux formes d’usage du rite romain auraient pu s’enrichir mutuellement »[10]. C’est pourquoi il a invité les évêques à surmonter les doutes et les peurs et à recevoir les normes, « en veillant à ce que tout se passe dans la paix et la sérénité », avec la promesse que « des moyens pourraient être recherchés pour trouver un remède », si « de graves difficultés se révélaient » dans l’application de la législation après « l’entrée en vigueur du Motu proprio »[11].

Treize ans plus tard, j’ai chargé la Congrégation pour la doctrine de la foi de vous adresser un questionnaire sur l’application du Motu proprio Summorum Pontificum. Les réponses reçues ont révélé une situation douloureuse qui m’inquiète, me confirmant la nécessité d’intervenir. Malheureusement, l’intention pastorale de mes prédécesseurs, qui avaient entendu « tout mettre en œuvre pour que tous ceux qui désirent vraiment l’unité puissent rester dans cette unité ou la retrouver »[12], a souvent été gravement négligée. Une possibilité offerte par saint Jean-Paul II et avec encore plus de magnanimité par Benoît XVI pour recomposer l’unité du corps ecclésial dans le respect des diverses sensibilités liturgiques a été utilisée pour augmenter les distances, durcir les différences, construire des contrastes qui blessent l’Église et ils entraver sa progression, l’exposant au risque de divisions.

Je suis également attristé par les abus de part et d’autre dans la célébration de la liturgie. Comme Benoît XVI, je stigmatise moi aussi que « dans de nombreux endroits on ne célèbre pas de façon fidèle aux prescriptions du nouveau Missel, mais qu’il soit même compris comme une autorisation voire une obligation à la créativité, qui conduit souvent à des déformations à la limite de ce qui est supportable »[13]. Mais je ne suis pas moins attristé par une utilisation instrumentale du Missale Romanum de 1962, de plus en plus caractérisée par un rejet croissant non seulement de la réforme liturgique, mais du Concile Vatican II, avec l’affirmation infondée et insoutenable qu’il a trahi la Tradition et la « vraie Église ». S’il est vrai que le chemin de l’Église doit être compris dans le dynamisme de la Tradition, « qui tire son origine des Apôtres et qui progresse dans l’Église avec l’assistance de l’Esprit Saint » (DV 8), il constitue l’étape la plus récente de ce dynamisme, le Concile Vatican II au cours duquel l’épiscopat catholique s’est mis à l’coute pour discerner le chemin que l’Esprit indiquait à l’Église. Douter du Concile, c’est douter des intentions mêmes des Pères, qui exerçaient de façon solennelle leur pouvoir collégial cum Petro et sub Petro au concile œcuménique[14], et, finalement, c’est douter de l’Esprit-Saint lui-même qui guide l’Église.

Le Concile Vatican II lui-même éclaire le sens du choix de revoir la concession permise par mes prédécesseurs. Parmi les voeux que les Évêques ont indiqué avec le plus d’insistance, émerge celui de la participation pleine, consciente et active de tout le Peuple de Dieu à la liturgie[15], dans la ligne de ce qui a déjà été affirmé par Pie XII dans l’encyclique Mediator Dei sur la renouveau de la liturgie[16]. La constitution Sacrosanctum Concilium a confirmé cette demande, en délibérant sur « la réforme et la croissance de la liturgie »[17], en indiquant les principes qui devraient guider la réforme[18]. En particulier, il a établi que ces principes concernaient le Rite Romain, tandis que pour les autres rites légitimement reconnus, il demandaient qu’ils soient « prudemment révisés de manière intégrale dans l’esprit de la saine tradition et qu’on les dote d’une vigueur nouvelle selon les circonstances et les besoins de le temps »[19]. C’est sur la base de ces principes, que la réforme liturgique s’est faite, sa plus haute expression étant le Missel romain, publié in editio typica par saint Paul VI[20] et révisé par saint Jean-Paul II[21]. Force est donc de constater que le Rite Romain, adapté plusieurs fois au cours des siècles aux nécessités des époques, a non seulement été conservé, mais renouvelé « dans le fidèle respect de la Tradition »[22]. Quiconque désire célébrer avec dévotion selon la forme liturgique antécédente n’aura aucune difficulté à trouver dans le Missel Romain réformé selon l’esprit du Concile Vatican II, tous les éléments du Rite Romain, en particulier le canon romain, qui constitue un des éléments les plus caractéristiques.

Il y a une dernière raison que je veux ajouter au fondement de mon choix : elle est toujours plus évidente dans les paroles et dans les attitudes de beaucoup la relation étroite entre le choix des célébrations selon les livres liturgiques précédant le Concile Vatican II et le rejet de l’Église et de ses institutions au nom de ce qu’ils considèrent comme la « vraie Église ». Il s’agit d’un comportement qui contredit la communion, nourrissant cette incitation à la division – « Je suis à Paul ; Moi, par contre, à Apollos ; Je suis de Céphas ; Je suis du Christ » – contre laquelle l’apôtre Paul a réagi fermement[23]. C’est pour défendre l’unité du Corps du Christ que je suis contraint de révoquer la faculté accordée par mes prédécesseurs. L’usage déformé qui en a été fait est contraire aux raisons qui les ont conduits à leur laisser la liberté de célébrer la messe avec le Missale Romanum de 1962. Puisque « les célébrations liturgiques ne sont pas des actions privées, mais des célébrations de l’Église, qui est » sacrement de l’unité »[24], elles doivent se faire en communion avec l’Église. Le Concile Vatican II, tout en réaffirmant les liens extérieurs d’incorporation à l’Église – la profession de la foi, des sacrements, de la communion – affirmait avec saint Augustin que c’est une condition pour que le salut que de demeurer dans l’Église non seulement « avec le corps », mais aussi « avec le cœur »[25].

Chers frères dans l’épiscopat, Sacrosanctum Concilium a expliqué que l’Église comme « sacrement de l’unité » est telle parce qu’elle est le « Peuple saint rassemblé et ordonné sous l’autorité des évêques »[26]. Lumen gentium, tout en rappelant à l’Évêque de Rome d’être « le principe perpétuel et visible et le fondement de l’unité à la fois des évêques et de la multitude des fidèles », dit que vous êtes le « principe visible et le fondement de l’unité dans vos Églises locales, à partir desquelles il existe la seule et unique Église catholique »[27].

Répondant à vos demandes, je prends la ferme décision d’abroger toutes les normes, instructions, concessions et coutumes antérieures à ce Motu Proprio, et de conserver les livres liturgiques promulgués par les Saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II, conformément aux décrets du Concile Vatican II, comme la seule expression de la lex orandi du Rite Romain. Je suis réconforté dans cette décision par le fait qu’après le Concile de Trente, saint Pie V a également abrogé tous les rites qui ne pouvaient se vanter d’une antiquité prouvée, établissant un seul Missale Romanum pour toute l’Église latine. Pendant quatre siècles, ce Missale Romanum promulgué par saint Pie V fut ainsi l’expression principale de la lex orandi du rite romain, remplissant une fonction unificatrice dans l’Église. Pour ne pas contredire la dignité et la grandeur de ce Rite, les Evêques réunis en concile œcuménique on demandé qu’il soit réformé ; leur intention était que « les fidèles n’assistent pas au mystère de la foi comme des étrangers ou des spectateurs silencieux a mais, qu’avec une pleine compréhension des rites et des prières, ils participent à l’action sacrée consciemment, pieusement et activement »[28]. Saint Paul VI, rappelant que le travail d’adaptation du Missel Romain avait déjà été commencé par Pie XII, déclara que la révision du Missel Romain, menée à la lumière des sources liturgiques les plus anciennes, avait pour but de permettre à l’Église d’élever, dans la variété de langues, « une seule et même prière » qui exprime son unité[29]. J’ai l’intention de rétablir cette unité dans toute l’Église de Rite Romain.

En décrivant la catholicité du Peuple de Dieu, le Concile Vatican II rappelle que « dans la communion ecclésiale il y a des Églises particulières, qui jouissent de leurs propres traditions, sans préjudice de la primauté de la chaire de Pierre qui préside à la communion universelle de charité, garantit les diversités légitimes et en même temps veille à ce que le particulier non seulement ne nuise pas à l’unité, mais qu’il la serve »[30]. Alors qu’en exerçant mon ministère au service de l’unité, je prends la décision de suspendre la faculté accordée par mes prédécesseurs, je vous demande de partager ce poids avec moi comme une forme de participation à la sollicitude pour toute l’Église. Dans le Motu proprio, j’ai voulu affirmer qu’il appartient à l’Evêque, en tant que modérateur, promoteur et gardien de la vie liturgique dans l’Eglise dont il est le principe d’unité, de régler les célébrations liturgiques. Il vous appartient donc d’autoriser dans vos Eglises, en tant qu’Ordinaires locaux, l’usage du Missel Romain de 1962, en appliquant les normes de ce Motu proprio. C’est avant tout à vous de travailler pour revenir à une forme festive unitaire, en vérifiant au cas par cas la réalité des groupes qui célèbrent avec ce Missale Romanum.

Les indications sur la marche à suivre dans les diocèses sont principalement dictées par deux principes : d’une part, pourvoir au bien de ceux qui sont enracinés dans la forme de célébration précédente et ont besoin de temps pour revenir au Rite romain promulgué par les saints Paul VI et Jean-Paul II ; d’autre part, interrompre l’érection de nouvelles paroisses personnelles, liées plus au désir et à la volonté de certains prêtres qu’au besoin réel du « saint peuple de Dieu fidèle ». En même temps, je vous demande de veiller à ce que chaque liturgie soit célébrée avec décorum et avec fidélité aux livres liturgiques promulgués après le Concile Vatican II, sans excentricités qui dégénèrent facilement en abus. Les séminaristes et les nouveaux prêtres doivent être éduqués à cette fidélité aux prescriptions du Missel et aux livres liturgiques, qui reflètent la réforme liturgique souhaitée par le Concile Vatican II.

Pour vous, j’invoque l’Esprit du Seigneur ressuscité, afin qu’il vous rende forts et fermes dans le service du Peuple que le Seigneur vous a confié, afin que, par vos soins et votre vigilance, il exprime la communion même dans l’unité d’un seul Rite, dans lequel est gardée la grande richesse de la tradition liturgique romaine. Je prie pour vous. Vous priez pour moi.

FRANÇOIS

Notes de bas de page

(1) Cf. ECUM. TVA. II, Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium 21 novembre 1964, n. 23 : AAS 57 (1965) 27.
(2) Cf. Congrégation pour le culte divin, Lettre aux Présidents des Conférences épiscopales Quattuor abhinc annos, 3 octobre 1984 : AAS 76 (1984) 1088-1089.
(3) Jean-Paul II, Litt. Ap. Motu proprio datae Ecclesia Dei, 2 juillet 1988 : AAS 80 (1998) 1495-1498.
(4) Benoît XVI, Epistula Episcopos Catholicae Ecclesiae Ritus Romani, 7 juillet 2007 : AAS 99 (2007) 796.
(5) Benoît XVI, Epistula Episcopos Catholicae Ecclesiae Ritus Romani, 7 juillet 2007 : AAS 99 (2007) 796.
(6) Benoît XVI, Epistula Episcopos Catholicae Ecclesiae Ritus Romani, 7 juillet 2007 : AAS 99 (2007) 797.
(7) Benoît XVI, Litt. Ap. Motu proprio datae Summorum Pontificum, 7 juillet 2007 : AAS 99 (2007) 779.
(8) Benoît XVI, Litt. Ap. Motu proprio datae Summorum Pontificum, 7 juillet 2007 : AAS 99 (2007) 779.
(9) Benoît XVI, Epistula Episcopos Catholicae Ecclesiae Ritus Romani, 7 juillet 2007 : AAS 99 (2007) 796.
(10) XVI, Epistula Episcopos Catholicae Ecclesiae Ritus Romani, 7 juillet 2007 : AAS 99 (2007) 797.
(11) Benoît XVI, Epistula Episcopos Catholicae Ecclesiae Ritus Romani, 7 juillet 2007 : AAS 99 (2007) 798.
(12) Benoît XVI, Epistula Episcopos Catholicae Ecclesiae Ritus Romani, 7 juillet 2007 : AAS 99 (2007) 797-798.
(13) Benoît XVI, Epistula Episcopos Catholicae Ecclesiae Ritus Romani, 7 juillet 2007 : AAS 99 (2007) 796.
(14) Cf. Ecum. VA. II, Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, 21 novembre 1964, n. 23 : AAS 57 (1965) 27.
(15) Cf. Acta et documenta concilio oecumenico vaticano II apparando, Série I, Volumen II, 1960.
(16) Pie XII, Litt. Encyc. Mediator Dei et hominum, 20 novembre 1947 : AAS 39 (1949) 521-595.
(17) Cf. Ecum. VA. II, Constitution Sacrosanctum Concilium, 4 décembre 1963, nos 1, 14 : AAS 56 (1964) 97.104.
(18) Cf. Ecum. VA. II, Constitution Sacrosanctum Concilium, 4 décembre 1963, n. 3 : AAS 56 (1964) 98.
(19) Cf. Ecum. VA. II, Const. Sacrosanctum Concilium, 4 décembre 1963, n. 4 : AAS 56 (1964) 98.
(20) Missale romanum ex decreto Sacrosancti Oecumenici Concilii Vaticani II instauratum auctoritate Pauli PP. VI promulgatum, editio typica, 1970.
(21) Missale romanum ex decreto Sacrosancti Oecumenici Concilii Vaticani II instauratum auctoritate Pauli PP. VI promulgatum Ioannis Pauli PP. II cura recognitum, editio typica altera, 1975 ; editio typica tertia, 2002 ; (reimpressio emendata, 2008).
(22) Cf. Conc. ecum. VA. II, Const. Sacrosanctum Concilium, 3 décembre 1963, n. 3 : AAS 56 (1964) 98.
(23) 1 Cor 1, 12-13.
(24) Cf. Ecum. VA. II, Constitution Sacrosanctum Concilium, 3 décembre 1963, n. 26 : AAS 56 (1964) 107.
(25) Cf. Ecum. TVA. II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, 21 novembre 1964, n. 14 : AAS 57 (1965) 19.
(26) Cf. Ecum. TVA. Concile Œcuménique Vatican II, Constitution Sacrosanctum Concilium, 3 décembre 1963, n. 6 : AAS 56 (1964) 100.
(27) Cf. Ecum. VA. II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, 21 novembre 1964, n. 23 : AAS 57 (1965) 27.
(28) Cf. Ecum. TVA. II, Constitution Sacrosanctum Concilium, 3 décembre 1963, n. 48 : AAS 56 (1964) 113.
(29) Paul VI, Constitution apostolique Missale Romanum (3 avril 1969), AAS 61 (1969) 222.
(30) Cf. Ecum. VA. II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, 21 novembre 1964, n. 13 : AAS 57 (1965) 18.

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