« L’écriture du désastre », tel est le titre d’un ouvrage de Maurice Blanchot (1907-2003) qui fit de sa longue vie d’homme une lecture puis, parce que c’est là son prolongement naturel, une écriture. Blanchot n’est pas un maitre à penser. Proche de Charles Maurras dans sa jeunesse, il fit le grand écart vers Maurice Thorez à la maturité et n’en revint jamais. Ses adducteurs se rompirent à gauche. Ils y restèrent. Comme beaucoup d’autres, il fit le saut, disqualifiant, de l’intellectuel progressiste du XXe s. Son écriture, bien que travaillée, ne laisse au lecteur que peu de notes à recueillir.

Pourtant son « écriture du désastre » (1980) a le mérite de soulever l’épineuse question de la pensée nihiliste qui se développe dans l’académisme philosophique français dès les années d’après guerre. Ce qu’il constate et, à juste titre, l’inquiète, c’est que la pensée de ses contemporains à l’Université, se détache de l’étoile censée la guider. Il s’agit bien là d’un désastre au sens étymologique du terme, c’est-à-dire, de la perte de l’étoile. Perte de l’étoile du sens, perte de l’étoile du réel. Celui-ci devient impossible. De même de la perte du désir, il devient indésirable ; de l’héritage, il devient une insolence ; de la mémoire ou de l’histoire, elles deviennent des moteurs de progrès mais non plus des recours ni des leçons. Il s’agit de rompre avec les traditions, de jeter au feu le grand livre de la vie pour en brandir un autre, en retrait ou au mépris de Dieu, et de tout ce que l’héritage chrétien véhicula au cours des siècles passés.

On assiste là à un immense bûcher, à un redoutable autodafé de la pensée métaphysique classique. Tous disciples de Heidegger (1889-1976) – que la perte de la foi catholique propulsa au sommet de la spéculation intellectuelle d’un « Dieu sans l’Etre » -, les nouveaux philosophes, sans égaler jamais le maître, deviennent ces voleurs d’étoile qui ne veulent vivre que dans l’extrême facilité de l’agir. Ils se livrent à la déconstruction du logos pour se perdre dans d’insolites effets de sens. Qu’il s’agisse de Jacques Derrida, de Gilles Deleuze, de Pierre Bourdieu ou de Michel Foucault, tous travaillent à l’édification de la distorsion au réel, à cette transgression « des mots et des choses » en vue de susciter les écarts susceptibles de « faire sens ». Ils sont ces « cavaliers de l’apocalypse » dont parle Pierre Magnard et contre lesquels, à l’aune d’un Pierre Boutang, il se battit sans haine, sans rougir mais, hélas, sans succès. Car ces « hommes de sable », comme les appelle encore Magnard, sont toujours à l’étude dans les universités. Ils font des petits, s’étendent sur le champ désolé de la littérature ou de l’art contemporain en générant de bien vilaines créatures.

C’est ainsi, par exemple, que le souffle délétère du nihilisme a pénétré, en littérature, des esprits aussi endommagés que ceux d’une Christine Angot ou d’un Matthieu Jung. Ne parlons que de ces deux là, car la liste des « cadenassés » de cette espèce serait trop longue. Or, ils font l’actualité.

La première, longtemps tapie dans les méandres d’une sexualité outragée, ne contient plus aujourd’hui la rage nihiliste qui l’habite. Chacun de ses ouvrages dégoulinent, sous une plume assassine, de perversions intellectuelles et sexuelles. Tout n’est que possession et rejet, fantasme et désillusion, obsession d’un « moi » oscillant entre le sommet du rien et l’abîme du néant. Angot refuse à quiconque le moindre droit de réponse mais, plus encore, brûle avec sa langue de feu tout ce qui lui ressemble ou, au contraire, la contrarie. Elle est actuellement, le samedi soir, la gorgone de Ruquier à la télévision, revêt la face d’Euryale, et s’illustre, non sans larmes, dans ce rôle abject. Elle est au comble du nihilisme !

Le second, Matthieu Jung, vient de nous pondre un œuf intrinsèquement avarié. Ce nancéen de 47 ans, dont l’errance professionnelle lui fit rencontrer l’insupportable Frédéric Beigbeder dans les années 2000, s’est essayé à la littérature depuis lors, en se penchant sur « les inquiétudes souterraines à l’œuvre dans notre société » (Valeurs Actuelles). Il est vrai que le nihilisme préfère le souterrain à la lumière, la caverne des illusions au soleil des idées claires. Fidèle à lui-même et à son ami Beigbeder, cet auteur au cadenas intellectuel déjà rouillé, offre au lecteur qui n’en a pas assez, « le réalisme trash, la satire destroy, le pamphlet nihiliste, la poésie désabusée, l’exhibitionnisme froid, l’auto-fiction mythomane et l’imagination narcissique » de la pensée contemporaine. Dans son dernier ouvrage, « le Triomphe de Thomas Zins », il se livre, sur 752 pages (!), à l’exploration d’une adolescence sans but ni origine, sans foi ni vertu, qui se vautre dans l’abîme de la trahison, dans la souffrance compulsive, dans le cloaque de la séduction et le marasme de la concupiscence, sans négliger, bien sur, l’incontournable bain dans la fange sodomite. Tous les ingrédients du nihilisme y sont réunis pour le plus grand désarroi de la jeunesse qui nous entoure et des parents qui la portent.

Ces auteurs ne sont pas à lire. Ils sont à conspuer.

Notre époque est malade de tous ces malades qu’elle érige en hérauts, en soldats du vide, en prêt-à-penser du non-sens. Elle s’est emparée de la peinture et de l’écriture, les gifle de son flagrum plombé. Le Christ est toujours flagellé… Du crayon comme de la plume, elle fait l’écriture du désastre ou le désastre de l’écriture!

Gilles Colroy

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