Quatre historiens de la Fondation Napoléon, Thierry Lentz, Peter Hicks, François Houdecek et Chantal Prévot, ont établi, présenté et annoté cette édition, en indiquant au long du texte en quoi il diffère de la version imprimée du Mémorial de Sainte-Hélène.
Après le désastre de Waterloo (18 juin 1815) et sa seconde abdication (22 juin), ayant constaté qu’il ne lui serait pas possible de se rendre aux Etats-Unis et estimant « avoir terminé sa carrière politique », Napoléon se rendit, depuis l’île d’Aix, à bord du vaisseau britannique HMS Bellerophon pour solliciter l’hospitalité de son « plus constant ennemi ». Il comptait pouvoir terminer sa vie quelque part dans la campagne anglaise, entouré de quelques serviteurs et de ses livres, se livrant à la promenade, à l’étude et à l’écriture. Le gouvernement de Londres en décida autrement et fixa son lieu de séjour sur l’île de Sainte-Hélène, au milieu de l’Atlantique-Sud. Le 4 août 1815, accompagné des généraux Bertrand, Montholon et Gourgaud, du conseiller d’Etat Las Cases – admis à sa suite comme son secrétaire -, de divers membres de leurs familles et d’une poignée de domestiques, il fut transféré vers l’île-prison. L’exil durera cinq ans et demi et s’achèvera par la mort de Napoléon le 5 mai 1821.
Sur le navire qui l’amena à Sainte-Hélène, Napoléon avait commencé à travailler à la rédaction de ses Mémoires, tout en conversant plus librement sur sa vie et son œuvre avec ses compagnons d’infortune. Dès ce moment, son interlocuteur privilégié fut Emmanuel de Las Cases. Celui-ci tenait un journal que son fils, âgé de 15 ans en 1815, mettait quotidiennement au propre. L’Empereur en était informé et encourageait cette initiative. Plus tard, il put même lire des extraits du texte et, sûr que l’ouvrage ne le desservirait pas, donna apparemment son assentiment à une future publication.
C’est ainsi que prit naissance l’un des plus importants écrits « napoléoniens », à la fois Mémoires d’un personnage secondaire de l’épopée placé par les circonstances au premier plan de l’exil et paroles de Prométhée enchaîné à son rocher.
Pourtant, contrairement à d’autres mémorialistes – Montholon, Bertrand, le valet de chambre Marchand et le bibliothécaire Ali – qui restèrent aux côtés de Napoléon jusqu’à son décès, Las Cases ne passa sur l’île que 14 des 68 mois que dura l’exil de Sainte-Hélène. Il fut en effet arrêté (le 25 novembre 1816) puis expulsé (le 31 décembre) sur ordre du gouverneur anglais. A cette occasion, ses papiers furent confisqués, scellés et envoyés en Angleterre, pour être remis au secrétaire d’Etat à la Guerre, Henry Bathurst. Ils ne lui furent restitués que cinq ans plus tard, après la mort de l’Empereur. Le fameux journal en faisait partie. Après une nouvelle année de travail, Las Cases le publia sous le titre de Mémorial de Sainte-Hélène ou Journal où se trouve consigné, jour par jour, ce qu’a dit et fait Napoléon durant dix-huit mois. Les deux premiers volumes parurent en janvier 1823. Six autres tomes parurent jusqu’en novembre 1823. Le tout rencontra immédiatement un succès notable justifiant une première réimpression. Las Cases commença à modifier et augmenter le texte de l’édition originale et ne cessa de le faire pour les différentes rééditions publiées jusqu’à sa mort le 14 mai 1842. L’ensemble termina donc en huit volumes.
Tout au long de ces huit volumes, on entend Napoléon affirmer qu’il fut un monarque libéral, prônant l’avènement des nationalités. Digne héritier de la Révolution française, il prétendait en répandre les « bienfaits » sur le continent, voire dans le monde entier. Selon Napoléon, seule la coalition des « forces de l’Ancien Régime » et de la « féodalité » empêcha son succès. Pris au pied de la lettre, le bonapartisme du Mémorial était bien différent, voire contradictoire, de celui qui avait été à l’œuvre entre 1800 et 1815.
Au fil du temps, beaucoup de lecteurs attentifs mirent en doute le fait que les propos attribués à l’Empereur aient bien été prononcés par Napoléon. Dès le début du XXe siècle, des historiens émirent le souhait de comparer les huit volumes publiés par Las Cases à son texte manuscrit tel qu’il avait été saisi par les Anglais en 1816 puis restitué après la mort de Napoléon. Mais ce manuscrit original était introuvable. Mais en 2005, l’historien Peter Hicks en trouva une copie manuscrite conservée par les Anglais dans des fonds déposés par les descendants du secrétaire d’Etat britannique à la Guerre.
Or, ce manuscrit est assez sensiblement différent du Mémorial publié par Las Cases. L’intérêt du présent ouvrage, basé sur l’examen comparé du manuscrit et des huit volumes publiés ultérieurement est de distinguer les citations de Napoléon qui figurent dans le manuscrit et sont « de première main », de celles qui furent ajoutées par Las Cases dans les versions imprimées.
Il apparaît ainsi que beaucoup de grandes maximes attribuées à Napoléon et tirées du Mémorial n’ont jamais figuré dans le manuscrit !
Le Mémorial de Sainte-Hélène, Emmanuel de Las Cases, éditions Perrin, 840 pages, 42 euros
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