Pourtant l’un comme l’autre sont des fruits bien mûrs du concile Vatican II et de son libéralisme doctrinaire, doctrinal et idéologique. Les deux sont des partisans ardents de toutes les réformes conciliaires. Mais si l’un, le cardinal Marx, est disposé à porter la révolution libérale aussi sur le plan moral et fait partie, peut-être grâce à cette position, de la garde rapprochée d’El papa argentin, l’autre, le cardinal Müller, face aux conséquences dévastatrices qu’il entrevoit de la révolution anthropologique en cours, freine des quatre fers. Peut-être est-ce à cause de cette position qu’il est rejeté par François le révolutionnaire…
Si le premier promeut au sein de l’Église l’homo-hérésie et les sacrements pour tous, le second, ancien préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a cependant promu auparavant d’autres sortes d’hérésie plus théologiques mais tout aussi dangereuses. Il y a quelques jours MPI titrait un de ses articles Pas une larme pour l’hérétique cardinal Müller. A relire pour mieux cerner l’état d’esprit cet ecclésiastique moralement conservateur mais théologiquement progressiste qui vient de répondre longuement aux questions du vaticaniste Matteo Matzuzzi, journaliste au quotidien italien Il Foglio, au cours d’un entretien exclusif dont voici la traduction :
« Votre Éminence, avez-vous une idée pourquoi le Pape a décidé de vous décharger de la responsabilité de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ?
« Non, je ne sais pas parce que le Pape ne me l’a pas dit. Il m’a juste informé que mon mandat ne serait pas renouvelé. Il y a eu beaucoup de spéculations dans les médias récemment et je dirais que la nomination du nouveau Secrétaire de la Congrégation (Mgr Giacomo Morandi) rendue publique mardi dernier, est une clé dans la compréhension de ces manœuvres. »
Le Cardinal Gerhard Ludwig Muller est serein : théologien allemand et préfet pendant cinq ans de ce qui fut autrefois le Saint-Office, nommé par Benoît XVI, il fut confirmé à ce poste par François qui cependant lui a fait part, le 10 juin dernier, de sa décision de se passer de lui.
Avec Il Foglio, il retrace une fois de plus les étapes qui l’ont conduit à son éloignement, aux controverses sur l’interprétation de l’Exhortation post-synodale Amoris Laetitia et, plus en général, il réfléchit au (mauvais) état de la religion en Europe. Il est vrai qu’on parlait depuis un certain temps déjà de sa révocation si bien qu’il y avait même eu des spéculations de la part des médias quant aux éventuelles destinations diocésaines de l’éditeur de l’ « Opera omnia » de Joseph Ratzinger.
« J’ai toujours été serein » répond cependant Müller « Je pense que j’ai accompli mon devoir, encore plus que ce qui était nécessaire. Personne ne doute de ma compétence théologique. J’ai toujours été fidèle au Pape, comme notre foi catholique et notre ecclésiologie le demandent. Cette fidélité a toujours été accompagnée de la compétence théologique si bien que cette fidélité n’a jamais été réduite à une adulation pure ». Et cela parce que « le Magistère a besoin de conseillers théologiques compétents comme du reste c’est bien décrit dans Lumen Gentium au numéro 25 et comme le prévoit de façon claire le don du Saint-Esprit à travers lequel agissent les évêques et le Pape lui-même en tant que chef du Collège Épiscopal. Cependant, nous sommes tous des hommes et nous avons besoin de conseillers ; le contenu de la foi ne peut être expliqué sans une bonne formation fondée sur les études bibliques. La même chose vaut, continue-t-il, pour le développement du dogme. Personne ne peut élaborer sur un document magistériel sans connaître les Pères de l’Église et les grandes décisions dogmatiques sur la théologie morale des divers Conciles. Pour cette raison il existe la Congrégation de la Doctrine de la Foi qui est la plus importante congrégation de la Curie Romaine. Elle dispose de deux commissions théologiques outre les conseillers. En bref, elle a une tâche claire et une grande responsabilité par rapport à l’orthodoxie de l’Église».
Est-il vrai, comme cela a été écrit parfois, que votre dernière conversation avec François a été tendue et froide ?
« Ce sont des reconstructions totalement fausses. Le Pape m’a simplement informé de sa décision de ne pas renouveler mon mandat. Rien de plus. Ce fut une réunion de travail normale à la fin de laquelle le Saint-Père m’a fait part de sa décision. Le lendemain, j’étais renvoyé. »
Cependant, certaines hypothèses ont été émises sur les raisons de la rupture et, à part la lenteur présumée dans la poursuite des cas d’abus cléricaux, plusieurs agences d’information ont écrit au sujet de votre présence excessive dans les médias, qui faisait souvent contrepoids au Pape. Il y a eu en effet un modus operandi différent par rapport à celui de vos deux prédécesseurs immédiats.
Le cardinal Muller sourit : « Il me semble pouvoir dire que la présence médiatique du cardinal Ratzinger dans les médias était très évidente, même seulement avec ses grands livres-interviews. Cela fait partie de la charge du préfet, qui n’est un travail purement et simplement bureaucratique. Par ailleurs, j’étais déjà connu auparavant comme théologien avec de nombreuses publications. Et, de toute façon, si je puis dire, même le Pape utilise le moyen des entretiens. Le fait est qu’aujourd’hui nous devons utiliser les instruments modernes de communication. Les jeunes ne lisent pas toujours des livres et des journaux. Ils utilisent les réseaux sociaux, l’Internet. Et si nous voulons promouvoir la Foi, – qui est je vous le rappelle la tâche principale de la congrégation-, nous devons entrer en dialogue avec eux sur ces plateformes. Je n’ai jamais parlé de ma pensée, de moi-même dans ces entretiens mais de la foi ! Et puis, je vous rappelle, je suis un évêque et un évêque a l’obligation de répandre l’Évangile, non seulement dans ses homélies, mais aussi à travers des discussions scientifiques avec ses contemporains. Nous, ajoute-t-il, ne sommes pas une religion privée, un club. Nous sommes une Église en dialogue, la religion de la Parole de Dieu que le Christ lui-même a confiée à ses apôtres, les exhortant à la prêcher et à l’enseigner au monde entier».
Très bien, mais une certaine tension intra ecclesiam existe, on peut le constater assez facilement. Prenons, par exemple, Amoris Laetitia, le document produit après les deux Synodes sur la morale familiale. Son Éminence Christoph Schönborn, théologien lui-aussi et inspirateur de la solution d’ouverture, a récemment réitéré combien sa position était contraire à celle de Müller. Alors ?
« Peut-être que le cardinal Schönborn a une vision contraire à la mienne, mais peut-être qu’il a une position contraire à celle qu’il avait auparavant, étant donné qu’il a changé de position. Je pense que les paroles de Jésus-Christ doivent toujours être le fondement de la doctrine de l’Église. Et personne, jusqu’à hier, ne pouvait dire que ce n’était pas vrai. C’est clair : nous avons la révélation irréversible du Christ. Et l’Église est chargée du depositum fidei, à savoir l’ensemble du contenu de la vérité révélée. Le Magistère n’a pas le pouvoir de corriger Jésus-Christ. Au contraire, c’est Lui qui nous corrige. Et nous sommes obligés de Lui obéir ; nous devons être fidèles à la doctrine des Apôtres, clairement développée dans l’esprit de l’Église ».
Pardonnez-moi, mais alors pourquoi avez-vous voté le rapport du petit groupe de langue allemande, écrit par Schönborn lui-même et approuvé par Walter Kasper ?
« Le Synode dit clairement que chaque évêque est responsable de ce chemin, afin d’amener les gens à la pleine grâce sacramentelle » répond le cardinal Müller à Il Foglio. « Cette interprétation existe, sans doute, mais je n’ai jamais changé ma position personnelle et subjective. Mais comme évêque et cardinal, je représentais là la doctrine de l’Église, que je connais dans ses développements fondamentaux partant du Concile de Trente à Gaudium et Spes, les deux lignes directrices. Cela est catholique, le reste appartient à d’autres croyances. Je ne comprends pas, explique-t-il, comment on peut faire concorder diverses interprétations théologiques et dogmatiques avec les paroles claires de Jésus et de Saint Paul. Les deux ont clarifié que l’on ne peut se marier une deuxième fois si le conjoint légitime est encore en vie ».
Comprenez-vous les raisons qui ont amené les cardinaux Burke, Brandmüller, Caffarra et le défunt Meisner à présenter au Pape les cinq Dubia à propos de l’Exhortation ?
« Je ne comprends pas pourquoi une discussion calme et sereine n’a pas débuté. Je ne comprends pas où sont les obstacles. Pourquoi permettre seulement aux tensions d’émerger même publiquement ? Pourquoi ne pas organiser une réunion pour parler ouvertement de ces thèmes qui sont fondamentaux ? Jusqu’à présent, je n’ai entendu que des invectives et des insultes contre ces cardinaux. Mais ce n’est pas le ton, ni la manière d’aller de l’avant. Nous sommes tous frères dans la foi et je ne peux pas accepter de discours de catégories comme «ami du Pape » ou «ennemi du Pape ». Pour un cardinal, c’est absolument impossible d’être contre le Pape. Néanmoins, continue l’ancien préfet du Saint-Office, nous, les évêques, avons le droit, je dirais divin, de discuter librement. Je voudrais rappeler que lors du premier Concile tous les disciples ont parlé franchement, favorisant même des controverses. À la fin, Pierre a donné son explication dogmatique qui vaut pour toute l’Église. Mais seulement après, à la fin d’une longue discussion animée. Les conciles n’ont jamais été des rassemblements harmonieux ».
La question est de savoir si Amoris Laetitia est ou non une forme de discontinuité par rapport à l’enseignement précédent. Oui ou non ?
« Le Pape, explique Müller, a plusieurs fois déclaré qu’il n’y a pas de changement dans la doctrine dogmatique de l’Église, et cela est évident, puisque cela ne pourrait être possible. François voulait attirer à nouveau ces personnes qui se trouvent en situation irrégulière en ce qui concerne le mariage ; autrement dit, comment les rapprocher des sources de la grâce sacramentelle. Il existe des moyens, aussi canoniques. Dans tous les cas, qui veut communier et se trouve dans un état de péché mortel, doit d’abord recevoir le sacrement de la Réconciliation, qui consiste dans la contrition sincère, avec un ferme propos de ne plus pécher, dans la confession des péchés et dans la conviction d’agir selon la Volonté de Dieu. Et personne ne peut modifier cet ordre sacramentel qui a été fixé par Jésus-Christ. Nous pouvons changer les rites extérieurs, mais pas ce noyau central. L’ambiguïté dans Amoris Laetitia ? Peut-être mais je ne sais pas si c’était voulu. Les ambiguïtés, si elles existent, sont liées à la complexité du sujet et de la situation dans laquelle les hommes se trouvent aujourd’hui, dans la culture dans laquelle ils sont immergés. De nos jours, presque tous les fondamentaux et les éléments essentiels pour les populations qui superficiellement se disent chrétiennes ne sont plus compréhensibles. Les problèmes surgissent de là, ajoute le cardinal. Nous avons deux défis devant nous : tout d’abord, préciser quelle est la Volonté rédemptrice de Dieu et, ensuite, nous interroger sur la façon d’aider pastoralement ces frères à cheminer le long de la voie indiquée par Jésus ».
La réception de la Communion par les divorcés-remariés était une vieille demande de l’épiscopat Allemand.
« C’est vrai, il y avait trois évêques Allemands : Kasper, Lehmann et Saïer, qui ont lancé la proposition au début des années 1990. Mais la Congrégation de la Doctrine de la Foi l’a rejetée définitivement. Tous ont convenu qu’il était nécessaire d’en discuter encore et jusqu’à présent personne n’a abrogé le document».
A propos de l’Église allemande : c’est de là qu’au cours des trois dernières années ont soufflé les vents les plus forts du changement, avec le cardinal Marx qui a dit devant les micros que « Rome ne nous dira jamais ce qu’il faut faire ou ne pas faire en Allemagne ». Alors, quelle est la situation aujourd’hui en Allemagne ?
« Dramatique » répond immédiatement Mgr Müller, qui a été l’évêque de Ratisbonne pendant dix ans avant d’être appelé à Rome par Benoît XVI. « La participation active a beaucoup diminué et aussi la transmission de la foi, non comme une théorie mais comme une rencontre avec Jésus-Christ, a faibli. De même pour les vocations religieuses. Ce sont les signes, les facteurs à partir desquels nous pouvons voir la situation de l’Église, mais c’est toute l’Europe qui connaît désormais un processus de déchristianisation forcée qui va bien au-delà de la simple sécularisation. C’est la déchristianisation de toute la base anthropologique, avec l’homme défini strictement sans Dieu et sans transcendance. La religion est vécue comme un sentiment, non pas comme l’adoration de Dieu, Créateur et Sauveur. Dans ce grand contexte, ces facteurs ne sont pas favorables pour la transmission d’une foi chrétienne vivante et, pour cette raison, il est nécessaire de ne pas gaspiller nos énergies dans des luttes internes, dans des affrontements les uns contre les autres, avec les soi-disant progressistes qui luttent pour la victoire en chassant les soi-disant conservateurs. Si l’on raisonne comme ça, dit Muller, on donne l’idée que l’Église est quelque chose de fortement politisée. Notre à priori n’est pas être conservateur ou progressiste. Notre a priori est Jésus. Croire en la Résurrection, dans l’Ascension et le Retour du Christ au dernier jour est-ce une foi traditionaliste ou progressiste ? C’est tout simplement la Vérité. Nos catégories doivent être la vérité et la justice et non pas les catégories qui vont selon l’esprit du temps ».
Le cardinal définit la situation actuelle « grave » puisque « la pratique sacramentelle, l’oraison et la prière ont diminué. Tous les éléments de la Foi vivante, la Foi populaire, se sont effondrés. Le drame, c’est qu’on ne ressent plus la nécessité de Dieu, de la parole sacrée et visible de Jésus. La vie est vécue comme si Dieu n’existe pas. Notre grand défi est de répondre à tout cela. Nous ne sommes pas des agents de propagande de nos propres vérités mais des témoins de la vérité rédemptrice. Non pas d’une idée de la foi, mais de la réalité vécue de la présence du Christ dans le monde ».
Votre Éminence, pensez-vous que même à l’intérieur de l’Église, il y a un certain respect de la Zeitgeist, l’esprit du temps ?
« Le Pape Émérite Benoît XVI a parlé au sujet de l’esprit du temps, mais Saint Paul avait déjà parlé de l’Esprit de Dieu et de l’esprit du monde. Ce contraste est très important et doit être connu. L’affirmation de la foi, de l’Église et des évêques, n’est pas donnée par les applaudissements d’une masse non avertie. C’est autre chose : notre travail est apprécié et approuvé lorsque nous sommes en mesure de convaincre les personnes de s’offrir entièrement à Jésus-Christ, en mettant leur propre existence entre les mains de Jésus. Dans sa première lettre, Saint Pierre parle de Jésus-Christ, le Berger des âmes. »
Aujourd’hui ne parle-t-on pas de la responsabilité pour la culture et pour l’environnement ?
« Oui, mais nous avons beaucoup des laïcs compétents pour cela. Les personnes qui ont une responsabilité politique ; nous avons les gouvernements et les parlements, et ainsi de suite. Jésus n’a pas confié le gouvernement séculier aux apôtres. Des Princes-Évêques ont existé dans le passé, et ça n’a pas été une bonne chose pour l’Église ».
En ce qui concerne la déchristianisation, nous avons demandé au cardinal Müller ce qu’il pensait du livre « The Benedict Option » [ L’Option Benoît ], le thème lancé il y a quelques années par l’écrivain Rod Dreher qui émet l’hypothèse d’une façon de vivre en tant que chrétiens dans un Occident non christianisé ou, comme le dit l’ancien Préfet de la Doctrine de la Foi, déchristianisé.
« La chose essentielle à dire, explique Mûller, est que les chrétiens ne peuvent pas retourner dans les catacombes. La dimension missionnaire est essentielle pour l’Église catholique. Nous ne pouvons pas éviter les conflits contemporains. Le Christ a dit qu’il n’était pas venu dans le monde pour obtenir une paix superficielle mais pour nous mettre au défi afin que les chrétiens gagnent la grâce pour vivre selon le chemin qu’Il a indiqué. Et nous devons le faire même lorsque les conditions, comme celles d’aujourd’hui, ne sont pas favorables ».
Est-il exact de dire que sous l’actuel pontificat la vision centrée sur l’Europe de l’Église a diminué ?
« Le centre de l’Église est le Christ et là où Il est, c’est le centre. Ces réflexions sur l’euro-centrisme de l’Église sont orientées uniquement pour en donner une lecture politisée. Au lieu de parler de l’Évangile ou de la doctrine catholique, nous nous complaisons dans les stratégies et les théories. Culturellement, c’est vrai, l’Europe a eu un grand rôle pour le monde avec des éléments positifs et négatifs comme conséquence. Parmi les effets négatifs, je mentionne le colonialisme ; parmi les aspects positifs, la philosophie de la réalité, la métaphysique et le droit ».
Une dernière question, sur un sujet à propos duquel le cardinal Müller a eu un rôle de premier plan, l’hypothétique réconciliation avec la Fraternité Saint-Pie X, la communauté fondée par l’évêque français Marcel Lefebvre :
«Le rapprochement de ce groupe avec l’Église catholique est absolument nécessaire. Jésus ne voulait pas de séparations. Mais quelles sont les conditions pour vivre la pleine communion ? Je pense que les conditions doivent être les mêmes pour tous. Nous avons la profession de Foi, on ne peut pas choisir ce qu’on accepte et ce qu’on n’accepte pas. Tout le monde doit la professer. Tous les Conciles œcuméniques doivent être acceptés, ainsi que le Magistère vivant de l’Église. Considérer Vatican II comme une refondation de l’Église est une absurdité. Les abus, les idéologies et les malentendus ne sont certainement pas une conséquence de Vatican II ». (Traduction de Francesca de Villasmundo)
Francesca de Villasmundo
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