Le nouvel ordre sexuel mondial est en marche et la théorie du genre se propage partout. Depuis quelques semaines, le sujet suscite des controverses au Canada et une résistance vigoureuse s’y fait entendre. Le site Pour une école libre a publié une analyse intéressante de Mathieu Bock-Côté qui revient sur l’offensive vécue au Canada et le récent livre de Bérénice Levet, La théorie du genre ou le monde rêvé des anges .
Début février, l’école Saint-Constant, sur la Rive-Sud de Montréal, invitait ses élèves, le temps d’une journée, à se travestir. Les garçons devaient s’habiller en filles, et les filles, en garçons et cela, pour promouvoir la tolérance – on connait le refrain. Sans surprise non plus, les parents se révoltèrent. L’école a battu en retraite en expliquant qu’il s’agissait en fait d’une activité ludique, festive, humoristique, même, et qu’il n’y avait là aucune matière à scandale. Ce n’est pas surprenant. Chaque fois qu’une telle initiative explose médiatiquement, c’est cette ligne de défense qui est adoptée, comme s’il fallait désamorcer les critiques en expliquant que rien de grave ne vient de se passer, et qu’on peut vite passer à autre chose. En juin 2014, en semblable situation, une autre école qui avait lancé une journée de la jupe (les garçons devaient s’habiller en jupe pour lutter contre le sexisme) avait répondu qu’il s’agissait en fait d’une initiative du conseil des élèves. Réponse semblable en France quand un lycée de Nantes avait proposé lui aussi sa journée de la jupe, en mai 2014. Mais où les élèves avaient-ils pigé ces idées ? En réalité, il s’agit à chaque fois d’un épisode parmi d’autres — et ils sont appelés à se multiplier — d’une grande querelle qui s’amplifiera dans les années à venir : celle portée par les promoteurs de la théorie du genre qui se sont engagés dans une opération de réingénierie sociale et identitaire sans précédent dans les sociétés libérales. De nombreux journalistes de chez nous, par exemple, citent avec admiration les sociétés scandinaves qui en sont apparemment déjà familières, notamment l’initiative de cette garderie suédoise où on a mis de l’avant un pronom impersonnel, « hen » pour ne plus dire il ou elle, afin d’éviter de marquer sexuellement l’éducation des enfants – désormais, on ne vise plus l’égalité des sexes, mais une société sexuellement neutre. On pourrait multiplier les exemples sans trop chercher : la réalité en abonde. Pensons simplement à la dénonciation de plus en plus hargneuse des « jouets genrés », comme s’il y avait quelque chose de fondamentalement malfaisant à offrir à Noël un camion à son garçon et une poupée à sa fille, ou à peindre la chambre du premier en bleu et celle de la seconde en rose – ce qui ne veut pas dire, naturellement, qu’on ne devrait pas offrir des Légos aux enfants des deux sexes ! Pensons à ces parents qui entendent offrir aussi à leurs enfants une éducation non genrée pour les protéger contre les stéréotypes sexués circulant dans la société. Nous rencontrerons d’autres exemples, probablement plus inquiétants, au fil du texte.
Au nom de la lutte contre les préjugés et les discriminations, les militants du genre entendent transformer radicalement nos représentations du masculin et du féminin – en fait, c’est une révolution qu’ils veulent accomplir, et on verra ici pourquoi et comment. Je me souviens de ma première rencontre avec cette théorie, et plus particulièrement avec Judith Butler, sa figure iconique : c’était il y a une douzaine d’années, au début d’une maîtrise en philosophie que j’ai vite abandonnée pour passer à la sociologie. Le séminaire portait sur les philosophies de l’identité, et je m’étais intéressé au néo-féminisme contemporain. Lisant Butler, et les théoriciens du genre, j’avais l’impression de faire une plongée dans les profondeurs du nihilisme académique, celui qui permet à des esprits souvent limités de se piquer d’originalité théorique en prenant à revers la société dans ses évidences les plus fondamentales. Cette théorie, je n’ai jamais cessé d’en suivre le développement et j’ai constaté, comme tant d’autres, au fil des ans, qu’elle s’était imposée dans toutes les sociétés occidentales et prétendait accomplir une véritable révolution anthropologique. Chez nous, sans qu’on ne s’en rende compte, elle s’est imposée à la manière d’une nouvelle vérité révélée, à la fois dans l’université et les mouvements sociaux qui font officiellement la lutte au sexisme. On ne s’en rendait pas compte, en fait, tellement on la trouvait aberrante – et on ne pouvait imaginer qu’elle soit autre chose qu’une excentricité appelée à passer comme passent souvent les modes. Et pourtant, depuis l’élection de François Hollande, en 2012, elle s’est largement répandue en France, même si elle cheminait déjà à bon rythme avec la droite au pouvoir. Le socialisme de gouvernement s’en réclame : alors que la gauche française renonce encore une fois à ses ambitions économiques, elle trouve là une manière de renouveler son programme politique et idéologique autour des questions identitaires et culturelles, en espérant ainsi associer, encore une fois, le camp adverse à celui de la réaction. Pour mieux comprendre ce mouvement, on se tournera avec grand profit vers le récent livre de Bérénice Levet, La théorie du genre ou le monde rêvé des anges, (Grasset, 2014) qui l’explore brillamment, et qui vient d’ailleurs d’arriver dans les librairies québécoises. Sa lecture contribuera à éclairer le débat public sur cette question trop souvent déformée par les exagérations des uns et des autres. Bérénice Levet est philosophe, et c’est à la lumière de la philosophie politique qu’elle mène son enquête. Elle retrace l’origine de la théorie du genre, en éclaire les enjeux, en dévoile les conséquences. En fait, elle entre au cœur du sujet, ne se laisse pas entraîner sur de fausses pistes et explicite le malaise de ceux qui devinent que quelque chose de grave se passe ici.
Une humanité indifférenciée
Au cœur de la théorie du genre, on trouve une thèse forte : la différence sexuelle, ou si on préfère, la division sexuée de l’humanité, serait une construction strictement historique, sans quelque fondement que ce soit dans la nature, qui ne serait qu’une mystification censée justifier l’asservissement des femmes. Le masculin comme le féminin seraient de pures constructions sociales, des dispositifs idéologiques coercitifs assignant aux individus un sexe pour mieux les contrôler et les discipliner. L’humanité, dans sa vérité originelle, serait indifférenciée, et c’est à cette situation primitive qu’il faudrait revenir, avant l’apparition des catégories sociales et identitaires qui assignent à chacun une identité selon son sexe biologique[1]. Les catégories sociales, ici, sont considérées comme des catégories arbitraires, sans raison d’être, qui enferment l’individu dans un univers de possibles restreints, l’empêchent de s’inventer en pleine liberté, à la manière d’une œuvre d’art, ce qui était l’obsession de Michel Foucault, l’un des maîtres philosophes de notre temps.
[ce qui semble a priori une caricature est, en fait, un véritable drame moderne !]
Il y a ici un fantasme du retour à l’origine, avant que l’être humain ne chute dans l’histoire, avant qu’il ne soit souillé par la culture qui l’enserrerait, qui le définirait de l’extérieur, qui le condamnerait au règne de l’hétéronomie. Comme le note Bérénice Levet, le genre « entend hâter l’avènement de ce monde où il n’y aurait plus ni homme ni femme, seulement des individus rendus à une neutralité première, antérieure à cette chute dans la civilisation qu’est la naissance, libres de s’inventer des identités multiples vagabondant à travers les genres et la sexualité » (p.106-107). N’est-ce pas d’ailleurs une tendance lourde de la philosophie politique contemporaine, qui éradique les sexes, les peuples, les cultures et les civilisations, selon le principe de l’interchangeabilité des êtres ? L’humanité contemporaine ne veut plus se reconnaître d’autres différences qu’accidentelles, insignifiantes et le plus facilement possible révocables. L’homme contemporain veut emprunter une identité le temps d’un désir, puis la jeter. C’est évidemment plus compliqué lorsqu’il est question de l’identité sexuelle, qui représente la part irrépressible de la nature dans le social, celle qui semble la moins contestable. Comment peut-on choisir ce qui semble donné dès la naissance, sauf exception ? Il y a certainement plusieurs manières d’être homme ou d’être femme. Mais encore une fois, sauf exception, peut-on vraiment faire le choix d’être homme ou femme ? Selon la théorie du genre, oui. Le sexe biologique serait négligeable, et il n’y aurait pas d’éternel féminin non plus que d’éternel masculin. Pour la théorie du genre, comme le souligne Levet, « L’identité sexuelle n’est plus un “donné”, mais une expérience purement subjective » (p.19). Libérer l’être humain de l’assignation sexuelle, c’est lui donner la possibilité d’expérimenter tous les possibles, comme s’il pouvait naître de sa propre volonté, comme s’il était délivré de l’héritage et du donné. C’est lui permettre de céder, en fait, au fantasme de l’autoengendrement. De telles réflexions éclairent de récentes observations de la vie politique québécoise et canadienne. C’est ainsi qu’on a vu en 2013 un groupe comme Juripop réclamer qu’un individu puisse changer juridiquement de sexe sans avoir à passer par la chirurgie – simplement parce qu’il se sent appartenir à l’autre sexe. La subjectivité triomphe ici de tout : l’individu sera ce qu’il veut être, tout simplement et l’État doit se plier à ses désirs – car de telles revendications se formulent inévitablement dans le registre des droits fondamentaux. Le réel peut se dissoudre dans le fantasme d’une humanité asexuée. De même, le Parti libéral du Canada a ouvertement débattu de la reconnaissance possible d’un troisième sexe, indéterminé, pour ceux qui disent ne pas se reconnaître comme homme ou comme femme – un droit reconnu depuis 2014 en Australie. D’autres luttent contre l’assignation obligatoire d’un sexe à la naissance : ce serait une violence faite à l’enfant, l’obligeant à se couler dans un moule qui serait peut-être contraire à celui qu’il se découvrira plus tard. On a même déjà trouvé l’insulte pour ceux qui avoueront éprouver quelques réserves devant un tel programme : ils seront accusés de transphobie[2].
Nous sommes ici au cœur d’une alternative philosophique que Bérénice Levet explicite très bien : « le choix ici est entre l’idée d’un homme précédé, qui ne se construit pas en dehors de tout donné, donné naturel et culturel, un homme limité et le postulat d’un être indéterminé, ouvert à une palette de possibilités auxquelles il doit pouvoir s’essayer sans entrave » (p.33). Elle le dit aussi autrement : le conflit ici repéré n’est pas entre « l’ordre naturel ou divin et la liberté, mais entre deux idées de l’individu et de sa liberté » (p.33). Un peu plus loin, elle précise encore une fois son propos : les camps dans la querelle du genre sont les suivants : « d’un côté, les champions d’une liberté illimitée, d’une indétermination originelle que la société n’aurait d’autre obsession que d’entraver, normaliser, surveiller et punir : de l’autre, les dépositaires d’une pensée de la finitude » (p.34). C’est de notre compréhension de la culture dont il est question. On comprend l’effet de séduction de cette théorie pour nos contemporains : leur idéal n’est-il pas celui d’une indétermination absolue, et conséquemment, d’une autocréation absolue de soi ? Le donné, ce qui précède et structure l’existence au-delà de la volonté, n’est-il pas ressenti comme une violence absolue ? Levet le note bien, « la différence anthropologique par excellence se voit retraduite dans le langage de l’injustice, de la discrimination. L’égalité ne peut s’attester que dans l’interchangeabilité » (p.35). Nos contemporains sont charmés par l’idée d’une « plasticité intégrale de l’individu » (p.51). Ne peuvent-ils pas ainsi se prendre pour des dieux ? C’est ce que Levet appelle justement « l’ivresse des possibles » (p.83). Nous voulons pouvoir tout être, nous ne nous voulons conditionnés par rien. Cette vision ne joue-t-elle pas un grand rôle dans la vie amoureuse de nos contemporains, qui se croient plus riches de mille histoires possibles que d’une histoire réelle ? En un mot, le féminin comme le masculin n’existent pas et c’est la mission historique de la théorie du genre de les déconstruire, de les démystifier. « Le féminin et le masculin étant de purs produits de la société, n’existant pas en soi, ils ne sauraient être pensés en eux-mêmes (…). Seuls les rapports sociaux de sexe peuvent être étudiés. La femme n’a pas, à proprement parler, de réalité en soi puisqu’elle est une construction qui varie selon le temps et le lieu » (p.55). Conséquemment, la masculinité et la féminité comme prédispositions existentielles – et non comme catégories absolument fermées et une fois pour toutes définies, faut-il le préciser – relèvent de l’illusion. Il faudra tout transgresser et bricoler aux frontières du féminin et du masculin pour déconstruire le plus possible ces catégories. De là la fascination pour l’androgyne qui fait éclater ces catégories et qui apparaît à la manière d’une créature plus évoluée, ayant enfin transcendé la division sexuelle et la fracture entre l’homme et la femme. L’androgyne serait délivré.
La théorie du genre – Un projet politique
Le programme est politique : il pousse à sa possibilité maximale l’entreprise contre-culturelle engagée dans les années 1970. La figure idéologisée du transgenre devient le point d’appui pour une critique de toutes les identités substantielles, dans la mesure où elle vient transgresser la division sexuelle, qui fondait la plus fondamentale d’entre elles. Laurent McCutcheon en fera même l’assise d’un nouveau projet politique : « Il est plausible d’imaginer qu’un jour viendra où, à la naissance, on ne cherchera pas à assigner un mode de vie conforme au sexe biologique et à imposer les stéréotypes de la masculinité et de la féminité. Il est aussi plausible d’imaginer qu’au-delà de la tenue vestimentaire et des rôles sociaux, la société ne sera plus divisée entre les hommes et les femmes. Une personne sera tout simplement une personne. L’évolution de la société, l’ouverture d’esprit, l’éducation, les moyens technologiques et médicaux permettent maintenant d’envisager cette possibilité » [3]. Dès lors, le transphobe sera celui qui cherchera à contenir cette révolution[4]. On devine l’objection légitime : les troubles de l’identité sexuelle ne sont quand même pas la seule invention de militants progressistes obsédés par la déconstruction de la civilisation occidentale ! Bien sûr que non, et une société civilisée cherche à les accommoder le plus possible. Mais c’est une chose que d’accommoder les marginaux, et c’en est une autre de faire exploser des repères indispensables à l’immense majorité des gens[5] – cela fait naturellement penser aux luttes minoritaires annexées et instrumentalisées par la gauche radicale, dans les années 1970, lorsqu’elle comprit que les classes populaires ne jouaient pas leur rôle de chair à canon révolutionnaire et chercha un nouveau point d’appui sociologique, un nouvel exclu à conscrire pour mener en son nom une transformation sociale majeure. La gauche radicale n’a jamais cessé de chercher un nouveau sujet révolutionnaire et c’est sans surprise qu’elle instrumentalise les trans. De ce point de vue, même si elle se présente avec un masque compassionnel pour les hommes et les femmes en détresse, qui sentent leur âme étrangère à leur corps, la théorie du genre est d’abord une lutte idéologique qui promet l’émancipation définitive du genre humain, en faisant sauter le dernier verrou de la nature dans l’ordre social et en disqualifiant toute assignation identitaire venue de l’ordre social et des codes culturels qui le structurent. L’être humain se libérerait en s’arrachant à ses déterminations[6]. Ce qui est amusant, et Levet le note bien, c’est que les partisans de la théorie du genre se masquent derrière une prétention à la scientificité, comme si leurs « révélations » n’avaient rien d’un projet politique et tout d’un dévoilement de vérités longtemps étouffées auxquelles il faudrait finalement faire droit (p.42) [7]. D’ailleurs, mais c’est une ruse à laquelle nous sommes maintenant habitués, ils contestent l’existence même d’une théorie du genre : il n’y aurait que des études sur le genre qui contribueraient à la construction d’un nouveau paradigme pour comprendre la vraie nature de la division sexuée de l’humanité, en révélant sa part artificielle et les dispositifs de pouvoir qui assureraient sa capacité à réprimer ceux qui la contestent (tout comme les partisans du multiculturalisme contestent souvent son existence et le maquillent idéologiquement en une simple réalité factuelle à laquelle il faudrait s’adapter). Les études sur le genre relèveraient des sciences sociales ordinaires et nous renseigneraient sur le réel.
Il ne faut pas se laisser bluffer par la quincaillerie conceptuelle de ces idéologues. La théorie du genre est aussi scientifique que l’était le marxisme des années rouges, quand n’importe quel universitaire rédigeait un articulet reprenant les concepts d’Althusser se prenait pour un grand esprit et se moquait des attardés qui ne savaient pas que le socialisme était scientifique. Le jargon des théoriciens du genre – par exemple leur loufoque dénonciation de « l’hétérosexisme » ou de « l’hétéronormativité » — relève de l’intimidation académique la plus classique et il faut savoir non pas leur opposer un jargon contraire, mais simplement le bon sens et la moquerie qu’on doit aux faux savants. Mais on ajoutera, en s’en inquiétant, que de tels concepts sont aujourd’hui repris dans les politiques publiques et qu’ils doivent être soumis à un examen rigoureux pour expliciter la vision du monde qu’ils expriment – tout comme en son temps, il fallut aussi démontrer encore et encore l’inanité scientifique du marxisme académique. C’est une simple question d’hygiène intellectuelle, encore une fois. La théorie du genre se réclame du féminisme – c’est du moins le cas de ceux et celles qui la diffusent avec le plus d’ardeur médiatique. Mais sommes-nous encore vraiment dans l’univers du féminisme ? Il faut tout de même souligner que le féminisme du genre n’est pas le même que celui de celles qui luttaient pour l’égalité des sexes – sexes dont elles reconnaissent l’existence, faut-il le préciser ? On fait ainsi passer pour de la lutte au sexisme l’éradication de la différence sexuelle. Ce n’est évidemment pas la même chose. Peut-on en conclure qu’il y a dans le néo-féminisme contemporain attaché à la théorie du genre une usurpation d’héritage ? À tout le moins, on comprend mieux, à la lecture de Bérénice Levet, les tensions entre les différents courants qui se revendiquent aujourd’hui du féminisme, comme c’était le cas au moment du débat sur la Charte des valeurs à l’automne 2013 et au printemps 2014. Alors que les néo-féministes du genre faisaient du voile islamique une simple expression des préférences identitaires d’un individu désirant exprimer socialement ce qu’il est (comme si la culture ne comptait pour rien), les féministes traditionnelles (devrait-on dire les féministes conservatrices ?) s’occupaient plutôt à affranchir les femmes réelles de symboles représentant leur asservissement dans des cultures où elles étaient effectivement asservies. On notera toutefois que la critique de Bérénice Levet vise le féminisme en général, et qu’elle n’hésite pas à lui lancer quelques piques. Elle se demande ainsi si nous ne pouvons tout simplement pas dire que le programme du féminisme classique est accompli, que son mandat est achevé. Bérénice Levet dit les choses clairement, et on devine qu’on le lui reprochera : « infléchir les relations des hommes et des femmes dans le sens d’une égalisation des conditions était un projet légitime, mais il est rempli. Abolir l’ordre sexué sur lequel reposait la société, rendre interchangeables l’homme et la femme en est un autre, qu’il convient d’interroger » (p.29). Elle se moque du grand délire sur le patriarcat occidental qu’il faudrait combattre, alors qu’il est abattu depuis longtemps et que l’égalité entre les sexes n’est plus remise en question, même si bien évidemment, aucune société n’est jamais absolument fidèle à ses idéaux, ce qui dégage par définition un espace pour l’engagement politique et les luttes sociales. Chose certaine, nous ne vivons plus dans une société patriarcale et contrairement à ce que veut la formule consacrée, nous n’avons peut-être plus beaucoup de chemin à faire.
Le fanatisme des militants du genre – Portrait de la gauche religieuse
Depuis qu’ils ont accédé à la reconnaissance médiatique, on l’a constaté souvent, les partisans de la théorie du genre sont d’une intransigeance qui frise le fanatisme. Ils sont en guerre, en croisade. Ils représentent bien cette gauche religieuse qui entend nous libérer du mal et ne permettra à personne de l’en empêcher. Leur perspective ne peut être nuancée : c’est la lutte du bien contre le mal – le bien de l’utopie postsexuelle, le mal de l’histoire sexuée. Pourquoi feraient-ils des compromis avec les défenseurs du vieil ordre sexué, « hétérosexiste » et « patriarcal » qu’ils se sont donné pour mission d’abattre à tout prix, pour que naisse enfin ce nouveau monde, qui rendra possible un homme nouveau, sans sexe ni préjugés, et ajoutons le, sans patrie et sans histoire, seulement occupé à porter son identité du jour, avant d’en changer le lendemain[8]? Pour faire de ce monde un paradis post-sexuel, ils n’hésiteront pas à vouer aux enfers ceux qui n’ont pas pour leur cause le même enthousiasme qu’eux. Tel est le prix à payer si on veut vraiment reprendre l’histoire à zéro. Les militants du genre sont convaincus d’avoir enfin décrypté le secret de l’aliénation humaine. Ils savent comment libérer l’humanité asservie depuis la nuit des temps, et ne se laisseront pas distraire par ceux qui souhaiteraient un débat contradictoire sur les vertus et limites de leur philosophie. Ils ont le fanatisme de ceux qui croient conjuguer la vérité scientifique et la vertu morale et souhaitent la rééducation de la société, pour la convertir à leurs vues. D’ailleurs, l’école n’est-elle pas transformée en laboratoire idéologique appelé à inculquer cette théorie et ses commandements aux générations à venir ? L’objectif des militants du genre, c’est une resocialisation complète de l’humanité – ce qui présuppose d’ailleurs une désocialisation préalable. C’est à l’école qu’on doit arracher le plus tôt possible les enfants à leurs préjugés venus du fond de l’histoire. Et si jamais on avait l’étrange idée d’enseigner à ces enfants les œuvres classiques, on cherchera moins à les faire admirer par les élèves qu’à les amener à y trouver les stéréotypes et préjugés qu’elles relaient. Mais ce fanatisme qui ne dit pas son nom s’alimente aussi par la résistance du réel, qui ne se laisse pas avaler et reconfigurer par le fantasme du genre. Il se trouve que l’homme et la femme existent dans la réalité et n’en demandent pas la permission aux théoriciens du genre. La féminité et la masculinité s’exacerbent même dans ce qu’elles ont de plus caricatural, lorsqu’on cherche à les nier, comme en témoignent aujourd’hui l’hypersexualisation des femmes et la quête d’une virilité aussi exacerbée qu’ostentatoire (et terriblement appauvrie, faut-il le préciser ?) des jeunes hommes nord-américains. Autrement dit, la féminité et la masculinité, lorsqu’elles ne sont pas civilisées par la culture et par les mœurs, dégénèrent dans leurs représentations archaïques. C’est justement le raffinement de la civilisation qui adoucit le commerce entre les sexes, qui peut le rendre agréable, et qui amène les sexes à se savoir complémentaires et égaux. Les militants du genre ne se rendent pas compte qu’ils provoquent à bien des égards ce qu’ils dénoncent[9].
Le sexe [naturel], voilà l’ennemi !
Mais qu’en est-il, justement, dans l’univers du genre, du commerce entre les sexes ? Ce n’est pas une question banale, elle innerve la civilisation (Levet la croit même au cœur de la littérature française) ? Mais les militants du genre sont parvenus à la politiser intégralement, comme si encore une fois, il fallait faire entrer toute la vie sexuelle à l’intérieur d’une théorie politique avec des bons et des méchants. Qu’en est-il aussi de la sexualité ? Car, au cœur de la relation entre l’homme et la femme, il y a bien évidemment le désir sexuel, sa part mystérieuse, les pulsions qui s’y jouent et les tentatives d’un sexe pour plaire à l’autre, chacun à sa manière, et cela, depuis la nuit des temps. Faut-il même dire que d’une culture à l’autre, les hommes et les femmes ne se séduisent pas de la même manière, même si on retrouve des archétypes qui semblent présents dans chacune ? Mais le simple fait de dire cela, aujourd’hui, peut vous valoir les pires épithètes. Les idéologues du genre, Levet le constate, parce qu’ils ne tolèrent pas ce subtil commerce entre les sexes, déploient un nouveau puritanisme pour expurger chacun de ses fantasmes particuliers. Le sexe entre les sexes serait sordide, et c’est un système de domination particulièrement abject qu’il faudrait démonter. C’est la sexualité elle-même qui est désormais frappée de suspicion, comme en témoignait récemment la loi californienne Yes Means Yes qui pousse très loin la quête d’une transparence absolue du désir[10]. Évidemment, le consentement est la chose la plus fondamentale qui soit en matière sexuelle. Le harcèlement doit être dénoncé vertement. C’est même la chose la plus élémentaire[11]. Mais doit-on assimiler au harcèlement la simple expression du désir masculin, comme en viennent à le suggérer celles pour qui le moindre compliment non sollicité lorsqu’elles se promènent en robe blanche dans la rue relève déjà de l’agression ? N’y a-t-il pas une part irréductiblement insaisissable et ambiguë dans le désir sexuel ? Le consentement ainsi formalisé à outrance repose en fait sur une négation de la sexualité, dont ne survivront, finalement, que peu de choses. Les dérives sont à prévoir et on a même assisté à la création, dans les suites de la loi californienne, d’une application pour téléphone intelligent permettant de formaliser le consentement à chaque étape de la relation sexuelle, des préliminaires jusqu’au coït — adieu les ébats passionnés, bonjour les formulaires détaillés[12]. La vision du monde qui traverse l’idéologie du genre suggère en fait la nature inévitablement prédatrice et criminelle du désir masculin, qui dirait sa vérité dans la tentation du viol – c’est ce que dit par exemple une philosophe du genre comme Betriz Preciado qui propose une grève de l’utérus pour réduire à néant le diabolique phallus. Conséquemment, on cherchera à l’étouffer, à le censurer. Comme le dit Bérénice Levet, « la criminalisation des hommes avance à grand pas » (p.158). C’est la bonne relation entre les sexes qui s’en portera plus mal. Je le redis, bientôt, chacun, s’il veut s’envoyer en l’air, devra amener son formulaire de consentement, et faire cocher, à chaque étape, sa ou son partenaire en volupté. Enfin, le sexe régulé, encadré, domestiqué, inhibé, contenu, culpabilisé, diabolisé. C’est le contractualisme intégral, et on imagine les intégristes de tout poil s’en féliciter ! Selon le genre, tout homme qui aime conquérir est un barbare violeur en puissance, toute femme qui aime les hommes est une esclave colonisée mentalement par un système avilissant. Quand on pense au puritanisme sexuel, aujourd’hui, il faudra moins se tourner vers Rome que vers Stockholm. Le catholicisme, aussi moralisateur puisse-t-il être, et il est vrai qu’il se laisse aisément caricaturer en seule morale sexuelle, sait l’homme « pécheur » et entend moins nier la pulsion sexuelle que la transcender. On en pensera ce qu’on voudra, mais au moins, il ne nie pas le réel, il sait la bête humaine tiraillée, et ce qu’il cherche à encadrer, il consent d’abord à en reconnaître l’existence et n’en nie pas la part de beauté, peut-être à regret. Étrangement, il est peut-être finalement moins coercitif que le néo-féminisme à la scandinave, qui diabolise le sexe et s’imagine qu’en changeant les mentalités, de manière coercitive s’il le faut, qu’en politisant toute la réalité, on pourra arracher le mal du cœur de l’être humain, le purifier de son passage par l’histoire, et le faire renaître avec la pureté d’un ange.
Comment résister au genre ?
« Nier par principe la nature, c’est sombrer dans une funeste abstraction » (p.167). C’est un judicieux conseil que donne ici Levet. On pourrait ajouter que l’idée de nature, aussi difficile à concrétiser soit-elle, entrave par définition la tentation totalitaire, en rappelant que l’homme, lorsqu’il lui arrive de se vouloir démiurge, rencontrera toujours une part de lui-même qui n’est pas réformable par la seule volonté politique, que l’homme, être social, n’est toutefois pas qu’une créature de la société, qu’une part de lui-même s’y dérobe et s’y dérobera toujours, qu’il s’agisse de sa part pulsionnelle ou de sa part spirituelle. Une part de l’homme ne se laisse pas complètement absorber par le social, ce qui fait d’ailleurs qu’en tout régime, même le plus oppressif, une part de lui-même y résiste et peut l’amener à renouer avec la liberté. Paradoxe, mais seulement en apparence : c’est dans sa nature, dans sa part socialement insaisissable, que l’homme trouve en partie les conditions de sa liberté. Au terme de son ouvrage, Levet pose les fondements d’une critique éclairée du genre, qui passe non pas par une absolutisation de la nature (elle se montre sévère, et avec raison, envers ceux qui se contentent d’opposer au genre une série d’études scientifiques relevant de la biologie ou leur foi bétonnée par les textes bibliques, comme c’est trop souvent le cas chez certains de ses adversaires français), mais plutôt, par une ressaisie de l’histoire, [tradition occidentale] pensée non pas comme un amas de préjugés et de stéréotypes, mais parce qu’elle « recèle des trésors d’expérience » (p.29). C’est à partir d’un donné naturel que le féminin et le masculin se sont construits, mais c’est à travers l’histoire qu’ils se sont déployés, nuancés, révisés, retravaillés, réinventés. Levet a raison d’ajouter que nous n’avons pas attendu la théorie du genre pour apprendre qu’il y avait des variations historiques et culturelles dans le masculin et le féminin. Je dirais la chose ainsi : si les cultures et les civilisations ont chacune pensé le masculin et le féminin à leur manière, et si dans cette diversité de manière, c’est la liberté humaine qui se déploie, aucune n’a cru possible d’abolir ces deux catégories irremplaçables de l’esprit humain. Il s’agit donc de ressaisir l’histoire et de la délivrer de cette vision victimaire qui la réduit à la tyrannie de l’homme blanc hétérosexuel sur le reste de l’espèce humaine, aujourd’hui en révolte contre lui. Levet se fait sévère envers le féminisme : « c’est lui qui s’est employé à repeindre le passé du commerce entre les sexes aux couleurs de la seule domination » (p.150). Quoi qu’en pensent les spécialistes autoproclamées du féminisme académique, les rapports sociaux de sexe ne sont pas que de domination, et toute disparité entre les sexes ne s’explique pas automatiquement non plus par une telle discrimination. Levet le précise à ceux qui voudraient lui faire un mauvais procès : « il ne s’agit évidemment pas de défendre les stéréotypes, mais de prendre garde à ne pas rabattre toute pensée de la différence des sexes sur des stéréotypes, des préjugés sexistes » (p.129). Et Levet de confirmer son inquiétude : « toute pensée de la différence des sexes n’est-elle pas menacée d’être requalifiée de stéréotype sexiste » (p.130) ? Trop souvent, nous pensons l’histoire comme un formatage dont on devrait se délivrer à tout prix. « L’horrible mot de formatage, comme celui de normalisation, tous deux très en vogue aujourd’hui, transforment le monde de signification institué dans lequel nous entrons en un ramassis de préjugés, tout processus de transmission en technique de manipulation et les acteurs de cette transmission, les parents, les professeurs, en agents de reproduction d’un monde vieux, crispé, frileux, rétrograde, replié sur lui-même, bref en collaborateurs de normes qui étoufferaient l’originalité » (p.137). C’est ainsi que s’est corrompue la belle idée de transmission : on l’a présenté, suite à Bourdieu, comme un simple discours de légitimation de l’ordre social. Pourtant, la tradition aussi éduque à la liberté : elle rappelle que l’homme ne naît pas d’hier, que le présent n’épuise jamais sa réalité, et donne une valeur à ce qu’il faut conserver du passé, contre ceux qui sont pris d’une furie destructrice contre l’héritage.
Levet a le souci de la culture, et plus particulièrement, de la culture française, qui a si subtilement pensé les rapports entre l’homme et la femme (p.131). Qu’arrive-t-il à l’héritage quand « cette traque aux préjugés sexistes atteint déjà sans discernement tout ce qui a été pensé sous les catégories du masculin et du féminin » ? Elle se porte à la défense des mœurs françaises (p.151) et se désole que « le démantèlement de la civilisation occidentale en générale et de la civilisation française en particulier ne préoccupe plus personne » (p.155). Contre une idéologie, estime-t-elle, il faut moins en brandir une autre, qu’une philosophie qui soit attachée au réel. Rappeler qu’un homme est un homme, une femme est une femme, et que s’ils ne sont heureusement pas figés dans des rôles une fois pour toutes établis, ils ne sont pas absolument interchangeables non plus. Pour s’opposer au nihilisme, c’est dans le réel qu’il faut s’ancrer. La théorie du genre pousse à l’individualisme radical et représente une tentative de déracinement et de déculturation sans nom des hommes et des femmes. Je l’ai suggéré plus haut : elle est animée par une pulsion religieuse. Elle entend décréer le monde pour le recréer, l’être humain ne résistant pas à la tentation démiurgique, à la pensée de l’illimité, et rêvant finalement d’accoucher de lui-même, un fantasme qu’alimente d’ailleurs la technologie contemporaine, qui n’entend pas seulement améliorer la condition humaine, mais la transfigurer si radicalement qu’elle la relèguerait, telle que nous l’avons connue jusqu’à présent, à n’être plus qu’une forme de préhistoire sans intérêt. Elle incarne bien la barbarie universaliste de ceux qui croient nécessaire de dénuder l’homme pour l’émanciper. La modernité radicale croit que l’émancipation de l’homme passe par sa désincarnation – et par sa fuite hors de l’histoire. À travers la question du genre, ce beau livre de Bérénice Levet formule avec un brio exceptionnel les termes de la question anthropologique pour notre époque. C’est une des grandes victoires du dernier siècle : la culture a gagné du terrain sur la nature. L’homme et la femme y ont gagné en liberté. Ils se sont dépris de rôles trop étouffants qui comprimaient exagérément les possibilités de chacun. Il fallait certainement défiger la différence sexuelle, lui redonner de l’air, la déhiérarchiser aussi, mais il appartient aujourd’hui à l’individu de la redéployer dans une société remodelée par l’égalité. Dans la théorie du genre, on verra certes une forme d’individualisme radical, mais qui pour s’épanouir, exige que l’État pilote de manière autoritaire la déconstruction de la culture et le démontage des grands repères identitaires qui la symbolisent. Ce en quoi l’individualisme libertaire, pour s’accomplir, a besoin d’un étatisme autoritaire et thérapeutique[13]. Car l’homme, laissé à lui-même, ne veut pas sacrifier son héritage et sa mémoire, et les théoriciens du genre n’hésitent pas alors à verser dans un totalitarisme inédit pour le transformer en monade et le reconstruire selon leurs désirs. On l’aura compris, la question anthropologique ouvre sur celle du régime politique.
[1] Ce dernier devrait ainsi être ramené à sa part minimale. À tout le moins, et nous y reviendrons, il ne devrait conditionner aucunement le genre, l’identité sexuelle. On espère lui laisser une part résiduelle, à défaut de l’éradiquer complètement.
[2] En novembre 2014, la Journée mondiale contre l’homophobie est ainsi devenue la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie.
[3] Laurent McCutcheon, « La transidentité : la prochaine révolution sexuelle », Le Devoir, 10 juillet 2014.
[4] On voit là la dynamique de pathologisation du désaccord propre qui caractérise le politiquement correct : le marginal devient la norme, et le refus de la société de reconnaître l’inversion de son système normatif devient le signe d’une maladie sociale, une phobie, contre laquelle il faudra lutter en transformant les mentalités.
[5] On nous dira que c’est faire preuve de discriminations que de distinguer entre l’immense majorité et certaines personnes en situation difficile : on répondra qu’il y des limites à voir dans chaque trace du réel qui ne cadre pas avec les consignes de l’égalitarisme radical un système discriminatoire.
[6] Dans son remarquable essai Populisme : les demeurés de l’histoire (Éditions du Rocher, 2015), Chantal Delsol montre bien comment la modernité se pense comme une dynamique d’arrachement radical à soi, de virtualisation de l’existence, pour devenir disponible à tout, sans être conditionné par rien. De ce point de vue, tout ancrage dans une histoire particulière, ou dans un des deux sexes, apparaîtra inévitablement, tôt ou tard, comme une prison. Delsol plaide, quant à elle, pour un renouvellement de la dynamique entre l’émancipation et l’enracinement, en rappelant que les deux termes sont constitutifs de la condition humaine et qu’on ne saurait condamner l’homme à la pure désincarnation, non plus qu’à l’identification absolue à ses ancrages culturels et naturels.
[7] Et Bérénice Levet identifie bien la figure principale de la théorie du genre (et plus exactement, des queer studies), Judith Butler, dont l’œuvre, est célébrée et admirée sur les camps nord-américains, ce qui en dit beaucoup sur l’appauvrissement intellectuel de nos milieux académiques.
[8] On lira aussi de Bérénice Levet un texte absolument remarquable, « Le droit à la continuité historique », paru dans la revue Le Débat, certainement une des contributions les plus importantes à la sociologie de la question identitaire qu’on a pu lire ces dernières années. Bérénice Levet, « Le droit à la continuité historique », Le Débat, no177, novembre-décembre 2013, p.14-22.
[9] Au moment d’envoyer ce texte, je termine la lecture d’un ouvrage absolument exceptionnel de Camille Froidevaux-Metterie, La Révolution du féminin (Gallimard, 2015) qui propose, à travers une réflexion aussi savante que brillante, une réhabilitation anthropologique du féminin sans renoncer par ailleurs à la perspective féministe.
[10] Par exemple, si un jeune homme et une jeune femme sont sous l’effet de l’alcool, le consentement sera considéré comme problématique. On devine dès lors les dérapages programmés dans une telle disposition légale. Faudra-t-il proscrire les relations sexuelles à la sortie des bars, où les jeunes hommes et les jeunes femmes se draguent, l’alcool servant là encore plus qu’ailleurs de lubrifiant social ?
[11] Faut-il vraiment le préciser, le viol est absolument abject tant il est fondé non pas sur le désir, mais l’appropriation sauvage de la femme par l’homme, qui profite de sa plus grande force physique pour l’asservir. Mais la notion de culture du viol, qui s’est imposée en quelques mois dans la vie publique nord-américaine, ne repose-t-elle pas sur une extension insensée de la référence au viol ? Que le simple fait de poser la question puisse aujourd’hui suffire à vous faire suspecter de sympathie pour la violence sexuelle à l’endroit des femmes en dit beaucoup sur le délire idéologique dans lequel nous évoluons.
[12] Fabien Déglise, « Sexualité des jeunes : une application pour le consentement ou l’abstinence », Le Devoir, 2 octobre 2014.
[13] Ou si on préfère, l’atomisation de la société n’est pas sans lien avec son étatisation de part en part, dans la mesure où l’individu, déraciné de toutes ses appartenances, est ainsi condamné à se livrer aux différentes administrations qui prétendent le prendre en charge, en rationalisant le lien social, en le vidant de tout ce qui ne cadre pas avec les prescriptions gestionnaires d’une utopie qui décrète la réalité absolument transparente et qui entend reconstruire la société selon les prescriptions exclusives d’un égalitarisme radicalisé.
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