Doctrine nouvellement définie, certes, mais croyance ancrée dans la Tradition et, avant tout, aimable parce que « révélée de Dieu », ainsi que le proclamait la Bulle. Refuser d’y croire «avec fermeté et constance » serait désormais avoir fait « naufrage hors de la foi et quitté l’unité de l’Église ». Hormis quelques théologiens en disputes légitimes, tous y croyaient déjà. Encore plus depuis 1830 et la rue du Bac où la Ste Vierge avait demandé qu’on frappât une médaille avec l’invocation « O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ». Désormais le doute était interdit.
Quatre ans après, aux indécis, aux peureux, aux faibles, aux protestants d’esprit ou de cœur, la Sainte Vierge, marquerait sa tendresse en venant répéter ses miracles à Lourdes. Et quand Mgr Laurence, l’évêque de Tarbes, déclarait « très vraisemblable l’hallucination[i]1 » de la petite Bernadette, Elle, confierait dans son patois chantant : « Que soy era Immaculada Conceptiou ». Le 25 mars 1858, fête de l’Annonciation. On ne pourrait même plus oser douter.
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Une fête venue de France ? Avant Lourdes, Rome, Paris, il y eut Dom Guéranger et son Mémoire sur l’Immaculée Conception. Dom Delatte2 a rapporté l’immense rayonnement de l’ouvrage, paru en 1850. Pour Mgr Pie, c’était un chef d’œuvre. Pie IX l’apprécia fort, y trouvant comme « l’expression la plus achevée de la foi de l’Église ». Avec une clairvoyance inspirée, n’avait-il pas balisé le chemin des trois conditions suffisantes pour un dogme : que l’Immaculée Conception ait été révélée de Dieu, qu’elle soit présente dans les Écritures et la Tradition, que l’Église l’établisse par une proclamation solennelle.
Cela faisait vingt années que la Médaille Miraculeuse multipliait ses miracles quand survint la définition, levant lesdites conditions. Un historien du temps 3 notait avec finesse qu’elle « renvers(ait) toutes les erreurs monstrueuses de ce temps, le panthéisme, le communisme et le socialisme, erreurs que bien des hommes condamnent sans prendre garde que leurs propres systèmes ne sont que des variétés de ceux-là ; la définition dogmatique les renverse en affirmant de nouveau la faiblesse de l’homme, sa chute, la Rédemption et la nécessité de la grâce pour être sages, pour être intelligents des grandes vérités, pour être purs à l’exemple de Marie ».
Il ajoutait que cette croyance depuis des siècles commune aux deux églises, d’Orient et d’Occident, (n’) « avait été traitée de « dogme nouveau » (que) par l’hérésie, par l’impiété déclarée qui ne paraissent pas fort compétentes dans cette affaire et, il faut bien l’avouer, par quelques catholiques qui sont arrivés peu à peu à ne plus rien croire de ce que nous croyons, rien aimer de ce que nous aimons, ni rien savoir de ce que l’Église enseigne ».
Par une mystérieuse inversion des nombres, ces « quelques catholiques » de l’époque se sont multipliés, au point d’occuper les premiers rangs de l’Église. N’a-t-on pas vu, sur la tombe même de saint Pierre, que ces derniers jours le Pape avait sinon vénéré – qui pourrait oser l’affirmer ? – laissé vénérer, en sa présence, une idole de bois, hideuse « mère porteuse » de toutes les sottises les plus éculées.
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Curieusement, on pense que ces « quelques catholiques »-là pourraient bien être ces ennemis de l’Église, mitrés ou non, dénoncés le lendemain par Pie IX, dans son allocution au consistoire du 9 décembre 1854, devant les mêmes deux cents évêques, archevêques et cardinaux de la veille : « Ces affiliés des sociétés secrètes qui, liés entre eux par un pacte criminel, ne négligent aucun moyen pour essayer de bouleverser, de détruire l’Église et l’État, même au mépris et par la violation de tous les droits4 ».
On pense alors, forcément, à tous ceux qui, depuis, ont voulu détruire l’Église, avec et par le dernier Concile : « Il nous faut avoir le courage, écrivait un Père Calmel, de voir ce qui est : par un processus insensible, une église apparente est en train de se substituer à l’Église véritable. Nous savons qu’elle ne réussira pas ; mais enfin la confusion et la corruption peuvent aller très loin et jusqu’à séduire, s’il se pouvait, les élus eux-mêmes. C’est surtout, me semble-t-il, par l’extension de l’Église apparente que se réalise la montée de l’apostasie : un christianisme mis à jour, un christianisme sans grâce et sans péché, sans Paradis ni damnation, sans vie surnaturelle ni pénitence, sans Christ Rédempteur ni Vierge Immaculée Mère de Dieu»5. N’est-ce pas comme le « compendium » d’Amoris laetitia, et le reste ?
On pense aussi à un Mgr Descamps, un Mgr Onclin envoyés fureter à Ecône pour y trouver prétexte à fermer le « séminaire sauvage », comme promis par Mgr Etchegaray, alors archevêque de Marseille. Du 11 au 13 novembre 1974, interrogatoires, entretiens, intimidations : la virginité de Marie ? un mythe . La résurrection du Christ ? une image. La virginité des prêtres ? plutôt leur mariage …, une fatalité ». N’était-ce pas, déjà, ce « christianisme mis à jour /…/ sans Rédempteur ni Vierge Immaculée que l’on a vu théorisé, béni même, lors du synode de l’Amazonie ? Béni soit Mgr Lefebvre et sa réaction inspirée du 21 novembre suivant, neuf jours plus tard6.
On pense à un Cardinal Muller connu, lui aussi, pour des dénégations et blasphèmes semblables, plus ou moins ambigus et toujours niés. Parvenu comme au sommet de la Curie, il semble être « arrivé, peu à peu à ne plus rien croire de ce que nous croyons, rien aimer de ce que nous aimons, ni rien savoir de ce que l’Église enseigne » ? C’est l’avertissement du 9 décembre 1854.
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On pense alors à la lucidité du condamné, nécessairement le seul « excommunié » de cette « église apparente » : « Actuellement le démon est déchaîné contre l’Église, car c’est bien de cela qu’il s’agit, nous assistons peut-être à une de ses dernières batailles, une bataille générale. Il attaque sur tous les fronts et si Notre Dame de Fatima a dit un jour qu’il monterait jusque dans les plus hautes sphères de l’Église, c’est que cela pourrait arriver. Je n’affirme rien de moi-même, cependant il y a des signes qui peuvent nous faire penser que, dans les organismes romains les plus élevés, des gens ont perdu la foi ». 7
On ne peut manquer de faire le rapprochement avec le saint de Clairvaux, lorsqu’il s’adressait au Pape de son temps, citant le psaume : « Levez un front menaçant sur ceux qui font le mal ! »8 Et de faire sien le conseil du lumineux père dominicain, garder confiance : « Plus je vois la situation se dégrader, sur tous les plans, plus j’essaie d’être petit, confiant, abandonné, reconnaissant, étant absolument sûr que la vertu de la Rédemption acquise par la croix n’est en rien diminuée par la malice des homme »9.
A ses dirigés pleins de courage de ses multiples petits bastions il ajoutait même, joignant la parole à la réflexion : « Les oiseaux chantent même lorsque le temps est couvert. Faisons comme eux » !
Alors, chantons sans inquiétude de nombreux Ave Maria : « Par l’Ave Maria le péché se détruira ». 1 « Histoire de Lourdes d’après les documents et les témoins », Père Cros, Beauchesne, 1925.
Edmond René
2 « Dom Guéranger, Abbé de Solesmes », par un moine bénédictin, Plon, 1910.
3 « Histoire de Pie IX et de son pontificat », Alex. de Saint-Albin, Palme, 1870.
4 Pie IX, « Singulari quidam ».
5 Itinéraires, Théologie de l’histoire, Père Calmel, 1966.
6 « L’évêque suspens, Mgr Lefebvre », Yve Montagne, 1977, reproduisant le script de l’interrogatoire du 3 mars 1975 au cours duquel le cardinal Garrone refuta la relation faite par son accusé, Mgr Lefebvre, des propos scandaleux des visiteurs : « Mgr Descamps n’est aucunement un homme suspect ! Si les séminaristes lui ont sorti des énormités, il se devait de répondre ».
7 « Lettre ouverte aux catholiques perplexes », Mgr Lefebvre, Albin Michel, 1985.
8 « Traité de la considération », S. Bernard.
9 Itinéraires n° 132, Père Calmel, 1969.
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