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L’art comptant pour rien

Ce titre, ironique et grinçant, jeu de mots pour désigner « l’art contemporain« , a été utilisé, maintes et maintes fois ; il est tellement vrai ! Tout a été dit et bien dit sur la vulgarité d’exposer, dans un lieu aussi prestigieux que le château de Versailles, quintessence de l’art classique français, des « artistes » comme Jeff Koons avec ses homards en plastique, en passant par Joana Vasconcelos et son lustre monumental composé de milliers de tampons hygiéniques, pour finir avec l’inénarrable « vagin de la reine » d’Anish Kapoor, provocation ultime d’un « art » à la dérive. Tout a été dit sur le scandale des fonds régionaux d’art contemporain (Frac), subventionnés par l’argent public, qui achètent à des imposteurs, copains de copains, des immondices, qui ne devraient avoir leurs places que dans des poubelles. Et qui illustrent parfaitement bien ce qu’est devenu, globalement, l’art d’aujourd’hui : l’expression de la décadence d’une société où les fumistes ont la possibilité de marchander leur dernière petite astuce « artistique » qui fera pâmer d’aise le bobo intellectualiste et toute l’élite du dernier cartel mondain. L’art contemporain n’est plus qu’une affaire financière, parmi d’autres, dans un marché mondialisé où la stratégie marketing remplace le talent et les qualités artistiques, pour combler, avec beaucoup de mots, le vide émotionnel des inepties vendues.  

Heureusement, tout l’art contemporain, ne compte pas pour rien. Même si Picasso écrivit en 1952 à son ami Giovanni Papini : « Je suis seulement un amuseur public qui a compris son temps et épuisé le mieux qu’il a pu l’imbécillité, la vanité, la cupidité de ses contemporains […] J’ai contenté ces maîtres et ces critiques avec toutes les bizarreries changeantes qui me sont passées en tête. Et moins ils comprenaient, plus ils m’admiraient », il reste un authentique artiste. Très prolifique, son travail pourrait se résumer par sa période d’apprentissage, de formation académique, et par ses dernières créations où la simplification extrême de son geste explique la recherche picturale de tout le reste : on en oublie sa cupidité. Il est un des rares plasticiens à avoir accompli, à la fin de sa vie, son objectif de faire une œuvre d’art expressive, d’une beauté saisissante, chargée de signification, en trois coups de crayon. Il est emblématique de l’art du vingtième siècle et de la création artistique universelle : avant d’être génial, comme tous les grands artistes avant lui, il a peaufiné les bases de son instruction classique – dans son cas, exemplaire – pour ensuite donner libre cours à sa créativité en déconstruisant les schémas appris.

Sans bases classiques d’apprentissage, un artiste ne peut pas faire ce qu’il veut. Sauf peut-être, en tout cas pour ce qui concerne la peinture, deux exceptions caractéristiques : Aloïse et Jean-Michel Basquiat. La première, mystique et schizophrène, n’avait jamais touché un crayon de sa vie avant son internement à l’âge de 32 ans ; c’est à l’hôpital qu’elle commence à dessiner et à colorier, sur papier, toutes sortes de personnages fantastiques. Encouragée par le directeur de l’établissement, qui pense que cela va l’apaiser, elle produira, pendant 46 ans, des œuvres magistrales, hautes en couleurs et d’une justesse de composition époustouflante. Elle est aujourd’hui considérée comme la grande prêtresse de l’art brut. Le second, dès sa petite enfance, est sensibilisé à la peinture par sa mère qui l’emmène régulièrement dans les musées et qui l’encourage dans ses talents de dessinateur. À 16 ans, sans jamais avoir fait d’école d’art, il se signale comme un impressionnant graffeur de rue et devient très vite populaire dans la mouvance de l’art « underground« . Il expose ses toiles dans toutes les grandes galeries de New York et à l’âge de 23 ans, pourtant au faîte de sa gloire, il prend quelques cours de dessin anatomique, qui lui serviront à affiner son geste. Il meurt à l’âge de 27 ans, d’une overdose, en laissant une œuvre originale, puissante, qui traduit, avec toute la beauté du trait et de la couleur, la violence de ses tourments, mais aussi de la rue.

Si la schizophrénie et la drogue ont été, quelquefois, opérants pour des artistes, les imposteurs de l’art contemporain, eux, sont bien dans leurs baskets et sont de redoutables spéculateurs qui ont bien compris l’idéologie de leur époque : la tartufferie. Ils profitent d’un système qui n’a plus de repères, qui privilégie l’esbroufe, et qui a dévoyé le but initial de l’art d’être une belle parenthèse spirituelle pour rendre la réalité plus supportable.

Claude PICARD

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