Le 19 mai 2022, le bon Dieu a rappelé à lui l’abbé Hubert Fleury,
prêtre diocésain en poste à Marzy (dans la Nièvre) depuis 1963
La maladie a eu raison de son courage et de sa ténacité qui lui donnaient toujours l’espoir de retrouver son église, sa paroisse Saint-André.
Il y avait célébré sa première messe dominicale le 29 septembre 1963, fête de saint Michel, nommé par Mgr Patrice Flynn (1874-1970), l’évêque de Nevers qui l’avait ordonné prêtre le 29 juin 1957, après avoir suivi ses études ecclésiastiques au grand séminaire de Nevers. 65e année de sacerdoce, 59e année de présence à Marzy ! Cette fidélité sacerdotale force le respect et oblige tous ceux qui l’ont connu à une expression de gratitude, à des prières pour le repos de son âme, à un hommage pour le courageux et vaillant défenseur de la foi que fut l’abbé Fleury.
Nombreux furent d’ailleurs les paroissiens et anciens paroissiens venus prier pour lui le jour de ses obsèques, le 23 mai 2022, la messe étant célébrée par l’abbé Dominique Rousseau (prêtre ayant appartenu à la FSSPX et lui-même ancien paroissien de Marzy). Ayant moi-même fréquenté régulièrement cette paroisse de 1975 jusqu’à mon entrée au séminaire (1993) et mon ordination sacerdotale (1999), je ressens la perte que connaissent les derniers fidèles de tous âges qui l’auront connu et assisté jusqu’à sa mort. Je mesure aussi ce que je dois à ce prêtre, à cette paroisse, à cette église de Marzy. De nombreux souvenirs se bousculent et remontent à ma mémoire, des visages, des noms de fidèles qui nous ont quittés, mais aussi de tous ceux qui se sont dévoués jusqu’au bout dans cette vie paroissiale, une paroisse unique, brûlant de la flamme vivante du culte catholique, étonnante survivance d’un temps disparu.
Nous garderons de l’abbé Fleury le souvenir de la grande dignité avec laquelle il célébrait la sainte messe, dans une certaine intemporalité, une suspension du temps, comme un lien tangible avec l’éternité, loin de ces messes précipitées qui dénotent une routine ecclésiastique chez certains prêtres oublieux de la réalité sacrée qu’ils accomplissent. Recueillement et profondeur dans l’accomplissement des gestes liturgiques, attention aux textes et méditation du chant grégorien dont il était épris et qu’il cherchait à communiquer… il est difficile de résumer les impressions qui se dégageant de ce que nous avons connu à Marzy.
Lorsque l’abbé Fleury est arrivé dans sa paroisse en 1963, c’était l’époque du concile Vatican II (1962-1965). Le pape Jean XXIII venait de mourir en juin 1963 et le Cardinal Montini lui avait succédé au Souverain Pontificat, quelques jours plus tard. Le nouveau pape Paul VI prépara alors la deuxième session du concile et très vite « l’esprit du concile » souffla sur l’Eglise, enchaînant l’abandon de tout ce qui constituait la vie traditionnelle de l’Eglise : catéchisme, sacrements, esprit de mortification, culte des saints… Un tourbillon révolutionnaire ringardisait la pratique religieuse des paroisses et chacun y ajoutait une touche personnelle de sa créativité liturgique.
Les rares paroissiens de l’église Saint-André de Marzy venus accueillir leur nouveau prêtre ce 29 septembre 1963 ne se doutaient pas qu’ils allaient connaître l’une des plus longues présences de quasi curé à la tête de leur clocher. Ils ignoraient que l’église romane du XIIe siècle dédiée à saint André deviendrait un lieu de préservation de la messe traditionnelle quelques années plus tard, mais aussi la dernière paroisse diocésaine à garder la messe dite de Saint Pie V, contre vents et marées, en l’occurrence épiscopaux, défendant avec le culte catholique l’esprit de paroisse, la solennité du culte dominical et, pendant des années, les vêpres chantées.
En septembre 1963, le nouveau venu venait de fêter ses 30 ans et déjà 6 ans de sacerdoce. En première affectation, il avait été nommé professeur au petit-séminaire de Nevers, puis vicaire à l’église Saint-Jacques de Cosne-sur-Loire, ensuite aumônier du collège catholique de Saint-Didier-en-Velay. Enfin, il avait rejoint la cathédrale de Sens, comme vicaire, où il retrouvait Mgr Frédéric Lamy (1887-1976), archevêque de Sens qui prendrait sa retraite fin 1962 et qui avait joué un rôle décisif dans sa vie spirituelle.
Dans toutes les églises, les réformes liturgiques se succédaient rapidement, touchant des usages antiques, déroutant et choquant bon nombre de fidèles, conduisant le clergé à toujours plus d’audaces « progressistes », irrespectueuses du sens de la foi des chrétiens et de la Tradition bimillénaire de l’Eglise. L’abbé Fleury entra lui aussi dans le mouvement mais il se rendit compte rapidement qu’avec la nouvelle messe de Paul VI (1969) la foi était sérieusement mise en danger. Il comprit la dérive et réagit. Tout ce qui avait préparé cette messe imprégnée d’idées protestantes rongeait peu à peu la sève de la vie chrétienne, corrompait la foi tout simplement, constituant une menace pour le salut des âmes. Et parce que l’expression de la liturgie est en lien étroit avec le contenu de la foi, il se résolut à renouer avec la liturgie traditionnelle de l’Eglise et ne l’abandonna plus, jusqu’à sa dernière messe, célébrée le 1er mai 2022.
Il se fixa sur la liturgie romaine qui, d’une part, empruntait aux temps précédant le mouvement liturgique du XXe siècle et, d’autre part, était marquée par l’influence bénédictine qui l’avait touché au point de devenir oblat de la Pierre-qui-Vire (abbaye fondée en 1850 par le Père Jean-Baptiste Muard, dans l’Yonne, au diocèse de Sens) et qui lui avait fait songer étant jeune à la vocation monastique. L’abbé Fleury en avait toujours gardé le goût du chant grégorien et de la psalmodie. Le chant de l’office de Tierce précéda longtemps la messe dominicale à Marzy.
C’est donc dans cette église Saint-André que l’on pouvait encore voir célébrée la semaine sainte selon le rite antérieur à la réforme opérée par Pie XII en 1955. C’est à Marzy que demeurèrent pendant de nombreuses années les processions des Rogations, mais surtout les Fête-Dieu dont les reposoirs qui accueillaient le Saint-Sacrement étaient préparés, dans la mesure du possible, chez des habitants qui avaient un enfant ayant fait sa communion solennelle le dimanche précédent, à la fête de la Sainte-Trinité. L’abbé Fleury avait restauré les confréries de sainte Agathe pour les dames et de saint Vincent, patron des vignerons pour les hommes, avec leur messe annuelle respective et leur participation en corps constitués pour toutes les grandes cérémonies et processions. On se souvient aussi des bénédictions de la Saint-Christophe, à la fin du mois de juillet, où toutes sortes de véhicules (dont quelques petits avions qui décollaient de l’aérodrome voisin et survolait l’église à plusieurs reprises…) mais aussi des animaux domestiques soigneusement décorés ou fleuris, défilaient fièrement devant le parvis pour obtenir la bénédiction du célébrant. La dévotion réparatrice des 9 premiers vendredis du mois au Sacré-Cœur et celle des 5 premiers samedis du mois au Cœur immaculé de Marie étaient pratiquées depuis longtemps. Très tôt la paroisse avait été consacrée à saint Michel archange, au Mont-Saint-Michel, et, dans les années 1980 au Cœur immaculé de Marie.
La découverte du combat de préservation du sacerdoce catholique et de la sainte messe mené par Mgr Marcel Lefebvre (1905-1991) et la FSSPX qu’il avait fondée en 1970 renforcèrent sa résolution de maintenir le bon combat de la foi et de garder la cap de la fidélité à la Tradition. L’abbé Fleury se rendit régulièrement à Ecône pour les ordinations sacerdotales. Présent à mon sous-diaconat, il fut mon prêtre assistant lors de la cérémonie d’ordination sacerdotale, tandis qu’il fêtait lui-même le 42e anniversaire de son sacerdoce. Le dimanche suivant, il m’ouvrait sa belle église de Marzy pour que j’y célèbre ma première messe dominicale, retrouvant une communauté de fidèles toujours vaillante dont beaucoup étaient venus à Ecône. En septembre 2013, l’abbé Fleury m’invita à prêcher à la messe du 50e anniversaire de sa présence à Marzy. L’enfant de la paroisse pouvait ainsi rendre à son curé un hommage sacerdotal et reconnaissant.
L’abbé Fleury avait un caractère trempé, parfois abrupt, intimidant au premier abord. Il n’hésitait pas à rudoyer les fidèles, comme pour tester leur obéissance et leur fidélité. Mais ceux qui en acceptaient les aspérités savaient que ces traits cachaient une personnalité sensible, attentive aux soucis de ses ouailles, gardant en mémoire les blessures de leurs vies, cherchant à les en guérir, ayant appris à patienter pour que les âmes s’ouvrent à Dieu, recentrant tout sur la sainte Messe et y réunissant son troupeau composé de fidèles venus souvent de loin. En effet, une partie des habitants de Marzy dédaignait ce prêtre d’un autre âge et se plaignait de ne pas avoir des offices modernes, moins longs, mais ils s’inclinaient devant sa personnalité et ses exigences qui forçaient le respect.
Les déboires qu’il connut avec ses évêques successifs ont blessé intérieurement l’abbé Fleury. Attaché à son statut de prêtre diocésain, à son cher diocèse de Sens puis de Nevers, il accepta cependant d’être ostracisé plutôt que de renoncer à la défense de la vraie messe et de tout ce qu’elle irrigue dans la vie chrétienne. En 2015, l’intégration de Marzy à un énième regroupement paroissial, dont le nouveau curé nommé imposa provisoirement la célébration de la nouvelle messe le samedi soir, préluda à la restriction de ministère que l’évêque de Nevers imposa à l’abbé Fleury. On ne lui accorda plus que le droit de célébrer la messe. Nul doute que ces persécutions continuelles aient contribué à altérer sa santé, sans pour autant pouvoir entamer sa détermination à mener jusqu’au bout le combat de la foi, sans compromission avec les autorités religieuses dès lors qu’elles corrompent la foi de toujours. L’abbé Fleury a été inhumé dans le caveau de sa mère, au cimetière de Lury-sur-Arnon, dans le Cher, petit village situé au sud de Vierzon. Sa disparition laisse des paroissiens orphelins, une église vide, des cœurs désemparés. Que le travail accompli par l’ouvrier à la Vigne du Seigneur continue d’inspirer la vie chrétienne de ceux qui l’ont connu. Que ceux-ci restent fidèles à la sainte messe et par elle au combat de la foi catholique, sans se laisser capter par les séductions de la religion qui détrône le Christ-Roi et promeut l’œcuménisme destructeur de la foi. Que sainte Bernadette qui repose à quelques kilomètres de l’église Saint-André obtienne de la Vierge Immaculée la protection des âmes de cette belle paroisse pour qu’elles transmettent à leur tour ce sens de la fidélité dont l’abbé Hubert Fleury demeure un exemple sacerdotal.
Abbé Philippe Bourrat
Source : La Porte Latine du 8 juin 2022
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