Une centaine de députés russes avaient saisi la Cour constitutionnelle afin qu’elle examine si la Russie, qui a signé la Convention européenne des droits de l’Homme en 1996, était obligée d’appliquer toute décision de la CEDH, même en cas de contradiction avec la Constitution russe. La Cour Constitutionnelle de Russie vient de répondre à cette interrogation en affirmant la primauté des décisions de justice ou de lois russes, sur les décisions de justice ou les lois internationales, ce qui en fait élargi le champ d’application au-delà de la seule CEDH:
« La Cour de Strasbourg a le droit d’indiquer aux pays les erreurs constatées dans leurs lois, mais si les décisions de la CEDH vont à l’encontre de la Constitution de la Russie, cette dernière doit agir compte tenu de ses intérêts nationaux », avait estimé le président de la Cour constitutionnelle Valeri Zorkine dans un article paru en octobre 2010 dans le quotidien Rossiïskaïa Gazeta.
« La CEDH n’est pas une instance supérieure aux juridictions nationales. Un arrêt de la CEDH ne peut donc pas annuler une décision judiciaire rendue sur le territoire d’un Etat signataire de la Convention européenne des droits de l’Homme », a indiqué Dmitri Viatkine, représentant de la Douma (chambre basse du parlement russe) à la Cour constitutionnelle.
“Les organes judiciaires suprêmes de pays européens comme l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche ou la Grande-Bretagne respectent également le principe de la primauté de leurs lois fondamentales dans l’application des décisions de la CEDH”, a affirmé la Cour.
“En effet, tous les pays ne reconnaissent pas la juridiction des institutions internationales des droits de l’Homme”, a déclaré Sergueï Pachine membre du Conseil pour les droits de l’Homme auprès du Kremlin.
“La Russie paye régulièrement de petites compensations de quelques milliers d’euros”, auxquelles elle est souvent condamnée par la CEDH suite à des plaintes de particuliers, rappelle M. Pachine.
“Mais quand il s’agit de sommes importantes comme dans le cas de Ioukos”, le nouveau principe [de la primauté russe] “peut être appliqué”, explique-t-il.
Le ministère russe de la Justice a déjà déclaré mardi qu’il agirait “conformément à la décision de la Cour constitutionnelle de Russie” dans le règlement de l’affaire des ex-actionnaires de Ioukos.
Cette précision apportée par la cour constitutionnelle de Russie n’est pas arrivée sans raison. Fin juillet 2014, la CEDH (Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg) avait condamné la Russie à verser près de 2,5 milliards d’euros aux ex-actionnaires du groupe Ioukos, lequel appartenait surtout à l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski, tandis que le même mois la Cour internationle d’arbitrage de La Haye condamnait la Russie à verser 50 milliards de dollars aux mêmes.
Ce verdict des Cours de justice internationales contredit frontalement les jugements rendus en Russie contre Khodorkovski et son groupe. D’emblée la Russie avait averti qu’elle n’avait pas l’intention de s’exécuter. Par cet arrêt de la la Cour constitutionnelle de Russie, c’est chose faite.
Poutine contre l’oligarque Khodorkovski
Mikhaïl Khordokovski fait partie des oligarques qui profitèrent de la déliquescence du pouvoir russe à la chute de l’empire soviétique, durant la présidence de Eltsine; il fait partie d’un groupe de sept oligarques, appelé « Semibankirchtchina » (= « les 7 banquiers »), qui aida et finança la réélection de Boris Eltsine en 1996. Dans les années 90, les entreprises publiques étaient dilapidées et bradées au profit d’aventuriers mafieux sans scrupules, aux mains tachées de sang. C’est ainsi qu’en:
– 1995, Khodokovski a acquis pour 360 millions de dollars, le groupe pétrolier Ioukos, privatisé pour l’occasion. Huit ans plus tard, en:
– 2003, l’entreprise sera estimée à plus de 10 milliards de dollars.
A cette date, Mikhaïl Khodorkovski, parti de zéro, est la plus grosse fortune du pays, avec 15 milliards de dollars, selon le magazine Forbes.
Le peuple russe a donc été grossièrement lésé de plusieurs milliards de dollars dans cette opération. C’est de cette façon que la plus grande partie du patrimoine russe est passé dans des mains privées au grand bonheur du grand capital occidental qui se vautrait avec délectation dans ses dépouilles.
En 2003, alors que Vladimir Poutine qui avait promis de libérer la Russie des mains des oligarques est au pouvoir, Khodorkovski envisage un mariage entre Ioukos et l’américain ExxonMobil. Autant dire qu’une grosse partie des ressources énergétiques russes allait passer sous contrôle américain. Ayant eu vent de l’affaire pourtant gardée secrète, Vladimir Poutine fait aussitôt arrêter l’oligarque qui sera jugé pour “vol par escroquerie à grande échelle” et “évasion fiscale”. Puis à nouveau pour «blanchiment d’argent» et «détournement de biens», « vente illégale de pétrole ». L’Allemagne qui a perdu un grand fournisseur de gaz plaide auprès du nouveau président russe, Dmitri Medvedev, pour sa libération, mais celui-ci la refuse.
Khodorkovski en prison
Après un redressement fiscal de 27 milliards de dollars, le groupe pétrolier Ioukos est placé en liquidation judiciaire, avant d’être re-nationalisé pour rentrer dans les avoirs de l’entreprise publique Rosneft.
Condamné à 14 ans de camp en Sibérie, l’ancien numéro un du pétrole en Russie, à peine grâcié par Vladimir Poutine, est parti faire appel devant les Cours européennes des jugements qui l’avaient condamné en Russie. La CEDH avait finalement condamné la Russie à verser 2,5 milliards de dédommagements aux ex-actionnaires de Ioukos.
Par ailleurs la cour d’arbitrage de la Haye avait de son côté condamné en juillet 2014, la Russie a verser la somme exorbitante de 50 milliards de dollars en dédommagement aux mêmes ex-actionnaires de Ioukos, dont principalement Khodorkovski.
La décision de la Cour constitutionnelle de Russie est donc la réponse de la Russie à l’Occident: Khodorkovski peut s’asseoir sur Ioukos.
La Belgique bloque les avoirs russes dans ses banques
Néanmoins pour faire pression sur la Russie, la Belgique, le mois denier, agissant sous mandat judiciaire, avait gelé les comptes de l’ambassade russe en Belgique, ainsi que ceux des représentations permanentes de Russie auprès de l’UE et de l’Otan à Bruxelles. Ce qui est contraire aux usages internationaux les plus élémentaires. La diplomatie russe qui avait menacé la Belgique de mesures de rétorsion, avait rapidement réglé le problème et les avoirs russes ont été libérés quelques jours plus tard.
On le voit, les capitalistes occidentaux enragent que Vladimir Poutine ait ôté de leurs mains rapaces le gaz et le pétrole russe.
Le verdict de la CEDH n’est qu’un épisode de la lutte de l’Empire mondialiste pour la domination du monde et de ses ressources. Une affaire à multiple facettes, dont la moindre n’est pas la guerre civile en Ukraine et la mise sous tutelle américaine du pays.
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