D’un côté, la Chine avec un territoire de 9 598 054 km², une population surabondante de 1,315 milliard de personnes, une densité de population de 137 habitants au km². De l’autre, la Russie et son territoire aux dimensions inégalées : 17 075 400 km², une relativement maigre population constituée de 145 millions de personnes, une densité de population extrêmement faible de seulement 8 habitants au km². Sachant que les trois quarts des Russes vivent à l’ouest de l’Oural, soit sur un quart de leur gigantesque territoire, on comprend que la Sibérie est plus que jamais une immensité vide d’hommes, mais riche en ressources naturelles de toutes sortes. Entre les deux : une frontière terrestre de 4250 km. « La nature a horreur du vide », comme on dit. L’appel d’air est extrêmement puissant. La tentation est vive pour les Chinois d’un jour coloniser – que ce soit pacifiquement, par un processus d’immigration progressive, par capillarité ou bien de manière plus violente – cet immense espace s’étalant insolemment sous leurs fenêtres. Les dirigeants russes ont bien conscience de la situation et appréhendent bien sûr le jour où des masses d’innombrables Chinois se déverseront sur le sol russe.
La controverse autour de la sinisation à terme de la Sibérie a été relancée en Russie en juin 2015 par la nouvelle d’un accord conclu entre le kraï (l’équivalent d’une région) de Transbaïkalie et la compagnie chinoise Zoje Resources Investment portant sur la location d’un territoire de plus de cent mille hectares. Si certains y ont vu une bonne occasion de développer l’agriculture dans l’immense et dépeuplé Extrême-Orient russe, d’autres ont émis de sérieuses craintes.
Le protocole d’intention signé au cours du « Forum économique de Saint-Pétersbourg » prévoyait la location par l’entreprise chinoise Zoje Resources Investment de 115 000 hectares pendant 49 ans pour y établir des exploitations agricoles. En sus, le gouverneur du kraï de Transbaïkalie évoquait alors la location de 200 000 hectares supplémentaires en cas d’évaluation positive du projet.
Ce phénomène de location de terres arables à des Chinois n’est pas vraiment récent. La nouveauté est dans l’ampleur de ce projet mis en œuvre par le gouvernement de Transbaïkalie alors que, jusqu’à présent, seuls de petits terrains étaient loués pour de courtes durées. Les autorités régionales en question ont justifié leur action en arguant de la mauvaise situation économique et de la réticence des investisseurs russes à s’impliquer dans le développement de l’agriculture de la Sibérie orientale dont le climat est connu pour sa rudesse.
Sans surprise, la location à des Chinois de si grandes étendues de terre pour près de 50 ans n’a pas que des partisans. « Si on fait cela, dans 20 ans, le gouverneur de Transbaïkalie sera chinois. » avait notamment déclaré à ce sujet Igor Lebedev, député à la Douma venant du parti libéral-démocrate (LDPR, présidé par Vladimir Jirinovski, père d’Igor Lebedev). Au-delà des prises de position parfois caricaturales du clan Jirinovski, on peut effectivement se demander ce qu’il adviendra dans 50 ans lorsque le bail expirera et que les paysans chinois qui se seront installés, voire enracinés avec leurs familles, seront censés plier bagages et rentrer en Chine. Cela dépendra notamment du nombre de familles chinoises implantées et du rapport de force numérique qui prévaudra alors.
Bien conscientes de l’enjeu, les autorités fédérales multiplient ces dernières années les projets et programmes économiques afin de développer l’Extrême-Orient russe. Dernier exemple en date : le président russe Vladimir Poutine vient de signer ce lundi 2 mai une loi offrant un hectare de terres arables à chaque Russe souhaitant s’établir en Extrême-Orient. La « loi sur un hectare en Extrême-Orient » prévoit à partir de juin 2016 l’attribution gratuite et pour une période de cinq ans de terrains d’une superficie d’un hectare aux citoyens russes qui s’installent en Iakoutie, au Kamtchatka, dans les territoires du Primorié et de Khabarovsk, dans les régions de l’Amour, de Magadan et de Sakhaline, dans la région autonome juive (de Birobidjan) et dans le district autonome des Tchouktches. Au bout de cette période, un terrain resté inemployé devra être restitué à l’Etat tandis que l’hectare de terre utilisé pour toute activité économique légale deviendra la propriété de l’exploitant sans que celui-ci ne débourse un seul kopek pour l’acheter.
Les étrangers sont bien entendu exclus de ce système réservé aux citoyens russes. Un sondage a révélé que 28 % des Russes sont prêts à s’installer en Extrême-Orient afin de travailler leur lopin de terre.
Baudouin Lefranc
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