Yasha Levine, membre histoire de l’équipe du magazine eXile, à l’époque où la rédaction était encore à Moscou, est un excellent journaliste américain d’origine russe, auteur de « Surveillance Valley » remarquable ouvrage sur les origines de l’Internet, de l’US Army au Vietnam, jusqu’aux précurseurs hippies de la Silicon Valley à Berkeley. Il est aussi l’auteur du documentaire « Pistaccio Wars » où le dessèchement de toute la région de Los Angeles pour irriguer les plantations de pistaches des gros propriétaires terriens locaux (voir les récents incendies ou le film « Chinatown » de Roman Polanski avec Jack Nicholson).
C’est en outre un excellent spécialiste de la guerre de l’information. Nous recommandons aux lecteurs anglophones de s’abonner à son fil d’information « SUBSTACK ».
(Traduit de l’américain par Thierry Marignac)
Le Templier à la tête du Pentagone de Trump a fait une conférence sur les projets de l’administration américaine pour négocier avec la Russie au sujet de l’Ukraine — et ça a fait des remous. J’ai vu des gens très critiques sur le rôle de l’Amérique dans cette guerre et qui argumentaient en faveur d’une paix négociée, très opposés à ceux-ci… parlant d’une stratégie de négociations désastreuse, « une reddition à la Russie ». La raison en est que Peter Hegseth a déclaré tout de go que l’Ukraine n’entrerait pas dans l’OTAN, et qu’aucune force de paix de l’OTAN ne stationnerait en Ukraine pour garantir sa sécurité, que l’Ukraine ne retrouverait pas ses frontières de 2014. Certains y voient de trop importantes concessions à la Russie avant le début des négociations.
L’Ukraine va être défaite de façon significative
Je ne vois pas en quoi ces trois points seraient encore sujets à controverse. Personne en Occident ne veut d’une guerre directe avec la Russie — c’est pourquoi l’administration Biden a agité une éventuelle adhésion à l’OTAN sans jamais l’accorder. Et la « capitulation » sur la question des frontières ? C’est encore une évidence. Il ne s’agit pas de savoir si l’Ukraine retrouvera ses frontières de 2014, mais quelle portion de son territoire elle va perdre. Il est clair depuis un certain temps que l’Ukraine va être défaite de façon significative et céder du territoire à la Russie. La seule question est combien d’Ukrainiens et de Russes vont être encore envoyés à l’abattoir avant que ça arrive ? Et qu’exigera la Russie à ce moment-là ?
Mais il y a encore une question plus vaste — et c’est la revanche de Trump.
Il est clair que Trump snobe l’Ukraine massivement. Il l’écarte en passant par-dessus la tête de Zelenski pour s’adresser directement à Poutine. Il exclut la partie ukrainienne des négociations, tout en parlant de se faire payer par l’Ukraine en métaux rares pour toutes les aides à la guerre fournies par les États-Unis. Naturellement, les Ukrainiens en sont malades.
D’où vient la volonté de revanche de Trump ? Les gens ont la mémoire courte de nos jours. Mais j’ai observé cette histoire assez longtemps pour me souvenir que des acteurs-clés et des institutions de la société civile ukrainienne— de même que des Ukrainiens-Américains en cheville avec les Démocrates et des sous-marins de la CIA comme l’USAID — étaient aux premières loges d’une campagne de calomnie dépeignant Donald Trump comme un pantin de Poutine, et ça remonte à 2016.
Tout ça se faisait ouvertement, à l’époque. La société civile ukrainienne (financée par de l’argent américain) et les sphères dirigeantes de la Sécurité américaine étaient contre Trump. Les Ukrainiens étaient des pions volontaires dans une campagne très scabreuse pour écarter Trump en en faisant un agent russe… un pantin de Poutine… un otage du Kremlin à cause d’une bande-vidéo de pipi dans une chambre d’hôtel. Et sans se cacher. Parce qu’à ce moment-là, en 2016, personne ne croyait sérieusement à une victoire de Trump.
Mais il a gagné…
Le journaliste et politicien anticorruption et le NABU, une organisation anticorruption en Ukraine étaient au cœur de la précoce campagne de calomnies contre Trump. L’agent anticorruption ci-dessus a été mêlé ensuite à plusieurs scandales de corruption en Ukraine.
J’ai pas mal écrit à ce sujet pendant les audiences de destitution entreprises contre Trump, y compris sur la manière dont la diaspora Américano-ukrainienne était impliquée dans la campagne anti-Trump.
En voici une de 2019 : « Trump, l’Ukraine et les diasporas transformées en armes » :
(…) Mais l’affaire de l’implication ukrainienne contre Trump est plus importante que la simple affaire Biden.
Tout ça remonte à l’élection de 2016 et le RussiaGate — l’idée que Trump et ses partisans se seraient concerté avec Vladimir Poutine pour voler l’élection. Pendant presque trois ans, c’était parole d’Évangile dans presque tous les médias grand public. Puis en avril dernier, ces nouvelles en boucle ont été douchées par la froide réalité. Robert Mueller a bouclé cette enquête très attendue en donnant, eh bien, rien. Comme un gros titre du New York Times groggy l’a résumé : « MUELLER NE TROUVE AUCUN COMPLOT TRUMP-RUSSIE »
Les multiples sources qui alimentaient le RussiaGate étaient louches. Et ce que les gens oublient aujourd’hui, c’est qu’une grosse partie de ces « renseignements » était diffusée par les opérateurs politiques américains-ukrainiens qui en étaient à l’origine.
C’est exact : les Américains-Ukrainiens ont travaillé avec des officiels du gouvernement d’Ukraine, des activistes politiques et des journalistes pour générer des éléments compromettants, calculés pour démolir Trump avant de les disséminer dans l’écosystème politique américain. C’était particulièrement vrai pour les histoires de hackers dans la Convention Démocrate, et tout ce qui avait rapport avec Paul Manafort, le crapuleux lobbyiste américain Républicain, présenté dans le RussiaGate comme le génie du mal infecté par le renseignement militaire russe, et le cerveau derrière la subversion de la démocratie américaine par Poutine.
Ingérence ukrainienne dans les élections de 2016
Il est capital de se souvenir que les journalistes américains n’étaient que trop demandeurs des théories les plus fumeuses avant de les réemballer sous les couleurs de scoops venus de sources fiables. J’avais un collègue dans un grand journal américain qui se plaignait de l’insatiable appétit de ses chefs de service pour les histoires de collusion Trump-Russie. Ils n’en avaient jamais assez et ils publiaient tout ce qu’on voulait, sans poser de questions, même si ça se révélait 100% faux. Et ça arrivait souvent.
Trump et ses soutiens de droite — de Sean Hannity à l’Epoch Times et Rush Limbaugh — se plaignaient de l’ingérence ukrainienne dans les élections de 2016 depuis le début. Pour eux, il était clair que les officiels du Parti Démocrate se concertaient avec un pays étranger pour influer sur les élections — précisément ce dont Trump était accusé. La droite peut exagérer ici ou là mais dans l’ensemble, c’était plutôt vrai : des Américains travaillaient effectivement avec un pays étranger dans une tentative de gagner les élections contre Trump — et au moins quelques Américains-Ukrainiens participaient massivement à cet effort.
Leur rôle n’était pas un secret. Ceux qui le jouaient s’en vantaient ouvertement dans la presse. Et pourquoi pas ? En 2016 personne ne pensait que Trump arriverait à la présidence, alors pourquoi s’en cacher ?
C’était il y a neuf ans maintenant.
Trump est revenu au pouvoir, bien mieux organisé et cherchant à régler les vieux comptes. Snober l’Ukraine, c’est ça, ainsi que son attaque en règle contre l’USAID.
Rétrospectivement, se mêler d’une opération de l’ombre contre Trump, n’était sans doute pas l’entreprise la plus intelligente pour la société civile ukrainienne. Mais l’Ukraine était depuis longtemps un élément important pour l’appareil d’agents d’influence des organes de sécurité américains, alors elle n’avait pas le choix. La revanche fait mal.
Donald Trump n’était pas le seul candidat à la présidence dont la campagne a été soutenue par des officiels d’un pays ex-soviétique.
Les officiels du gouvernement ukrainien ont tenté d’aider la campagne d’Hillary Clinton et de saper celle de Trump en mettant en question sa légitimité. Ils ont également disséminé des documents impliquant un assistant de Trump haut placé dans des affaires de corruption, suggérant qu’une enquête était en cours, avant de battre en retraite après l’élection. Et ils ont aidé les alliés de Clinton dans la recherche d’informations dommageables à Trump et ses conseillers a pu déterminer une enquête de Politico.
Cet article vous a plu ? MPI est une association à but non lucratif qui offre un service de réinformation gratuit et qui ne subsiste que par la générosité de ses lecteurs. Merci de votre soutien !