Jeudi Saint en la Cène du Seigneur

A Rome, la Station est dans la Basilique de Latran. La grandeur de ce jour, la réconciliation des Pénitents, la consécration du Chrême, ne demandaient pas moins que cette métropole de la ville et du monde. De nos jours cependant, la fonction papale a lieu au palais du Vatican, et ainsi que nous l’avons dit plus haut, la bénédiction apostolique est donnée par le Pontife Romain, à la loggia de la Basilique de Saint-Pierre.

La sainte Église se proposant aujourd’hui de renouveler, avec une solennité toute particulière, l’action qui fut accomplie par le Sauveur dans la dernière Cène, selon le précepte qu’il en fit à ses Apôtres, lorsqu’il leur dit : « Faites ceci en mémoire de moi », nous allons reprendre le récit évangélique que nous avons interrompu au moment où Jésus entrait dans la salle du festin pascal. Il est arrivé de Béthanie ; tous les Apôtres sont présents, même le perfide Judas, qui garde son affreux secret. Jésus s’approche de la table sur laquelle l’agneau est servi ; ses disciples y prennent place avec lui ; et l’on observe fidèlement les rites que le Seigneur prescrivit à Moïse pour être suivis par son peuple. Au commencement du repas, Jésus prend la parole, et il dit à ses Apôtres : « J’ai désiré ardemment de manger avec vous cette Pâque, avant de souffrir. » Il parlait ainsi, non que cette Pâque eût en elle-même quelque chose de supérieur à celles des années précédentes, mais parce qu’elle allait donner occasion à l’institution de la Pâque nouvelle qu’il avait préparée dans son amour pour les hommes ; car « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, dit saint Jean, il les aima jusqu’à la fin ». Pendant le repas, Jésus, pour qui les cœurs n’avaient rien de caché, proféra cette parole qui émut les disciples : « En vérité, je vous le dis, l’un de vous me trahira ; oui, l’un de ceux qui mettent en ce moment la main au plat avec moi est un traître. » Que de tristesse dans cette plainte ! que de miséricorde pour le coupable qui connaissait la bonté de son Maître ! Jésus lui ouvrait la porte du pardon ; mais il n’en profite pas : tant la passion qu’il avait voulu satisfaire par son infâme marché avait pris d’empire sur lui ! Il ose même dire comme les autres : « Est-ce moi, Seigneur ? » Jésus lui répond à voix basse, pour ne pas le compromettre devant ses frères : « Oui, c’est toi ; tu l’as dit ». Judas ne se rend pas ; il reste, et va souiller de sa présence les augustes mystères qui se préparent. Il attend l’heure de la trahison.

Le repas légal est terminé. Un festin qui lui succède réunit encore à une même table Jésus et ses disciples. Les convives, selon l’usage de l’Orient, se placent deux par deux sur des lits qu’a préparés la munificence du disciple qui prête sa maison et ses meubles au Sauveur pour cette dernière Cène. Jean le bien-aimé est à côté de Jésus, en sorte qu’il peut, dans sa tendre familiarité, appuyer sa tête sur la poitrine de son Maître. Pierre est placé sur le lit voisin, près du Seigneur, qui se trouve ainsi entre les deux disciples qu’il avait envoyés le matin disposer toutes choses, et qui représentent l’un la foi, l’autre l’amour. Ce second repas fut triste ; les disciples étaient inquiets par suite de la confidence que leur avait faite Jésus ; et l’on comprend que l’âme tendre et naïve de Jean eût besoin de s’épancher avec le Sauveur, sur le lit duquel il était étendu, par les touchantes démonstrations de son amour. Mais les Apôtres ne s’attendaient pas qu’une troisième Cène allait succéder aux deux premières. Jésus avait gardé son secret ; mais, avant de souffrir, il devait remplir une promesse. Il avait dit en présence de tout un peuple : « Je suis le pain vivant descendu du ciel ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, pour la vie du monde. Ma chair est vraiment nourriture, et mon sang est vraiment breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. » Le moment était venu où le Sauveur allait réaliser cette merveille de sa charité pour nous. Mais comme il avait promis de nous donner sa chair et son sang, il avait dû attendre l’heure de son immolation. Voici maintenant que sa Passion est commencée ; déjà il est vendu à ses ennemis ; sa vie est désormais entre leurs mains ; il peut donc maintenant s’offrir en sacrifice, et distribuer à ses disciples la propre chair et le propre sang de la victime. Le second repas finissait, lorsque Jésus se levant tout à coup, aux yeux des Apôtres étonnés, se dépouille de ses vêtements extérieurs, prend un linge, s’en ceint comme un serviteur, met de l’eau dans un bassin, et annonce par ces indices qu’il s’apprête à laver les pieds à des convives. L’usage de l’Orient était qu’on se lavât les pieds avant de prendre part à un festin ; mais le plus haut degré de l’hospitalité était lorsque le maître de la maison remplissait lui-même ce soin à l’égard de ses hôtes. C’est Jésus qui invite en ce moment ses Apôtres au divin repas qu’il leur destine, et il daigne agir avec eux comme l’hôte le plus empressé. Mais comme ses actions renferment toujours un fonds inépuisable d’enseignement, il veut, par celle-ci, nous donner un avertissement sur la pureté qu’il requiert dans ceux qui devront s’asseoir à sa table. « Celui qui est déjà lavé, dit-il, n’a plus besoin que de se laver les pieds » ; comme s’il disait : Telle est la sainteté de cette divine table, que pour en approcher, non seulement il faut que l’âme soit purifiée de ses plus graves souillures ; mais elle doit encore chercher à effacer les moindres, celles que le contact du monde nous fait contracter, et qui sont comme cette poussière légère qui s’attache aux pieds. Nous expliquerons plus loin les autres mystères signifiés dans le lavement des pieds. Jésus se dirige d’abord vers Pierre, le futur Chef de son Église. L’Apôtre se refuse à permettre une telle humiliation à son Maître ; Jésus insiste, et Pierre est contraint de céder. Les autres Apôtres qui, ainsi que Pierre, étaient restés sur les lits, voient successivement leur Maître s’approcher d’eux et laver leurs pieds. Judas même n’est pas excepté. Il avait reçu un second et miséricordieux avertissement quelques instants auparavant, lorsque Jésus, parlant à tous, avait dit : « Pour vous, vous êtes purs, mais non pas tous cependant. » Ce reproche l’avait laissé insensible. Jésus, ayant achevé de laver les pieds des douze, vient se replacer sur le lit près de la table, à côté de Jean.

Alors, prenant du pain azyme qui était resté du repas, il élève les yeux au ciel, bénit ce pain, le rompt et le distribue à ses disciples, en leur disant : « Prenez et mangez ; ceci est mon corps ». Les Apôtres reçoivent ce pain devenu le corps de leur Maître ; ils s’en nourrissent ; et Jésus n’est plus seulement avec eux à la table, il est en eux. Ensuite, comme ce divin mystère n’est pas seulement le plus auguste des Sacrements, mais qu’il est encore un Sacrifice véritable, qui demande l’effusion du sang, Jésus prend la coupe ; et, transformant en son propre sang le vin dont elle est remplie, il la passe à ses disciples, et leur dit : « Buvez-en tous ; car c’est le sang de la Nouvelle Alliance, qui sera répandu pour vous. » Les Apôtres participent les uns après les autres à ce divin breuvage, et Judas à son tour ; mais il boit sa condamnation, comme tout à l’heure, dans le pain sacré, il a mangé son propre jugement. L’inépuisable bonté du Sauveur cherche cependant encore à faire rentrer le traître en lui-même. En donnant la coupe aux disciples, il a ajouté ces terribles paroles : « La main de celui qui me trahit est avec moi à cette table. » Pierre a été frappé de cette insistance de son Maître. Il veut connaître enfin le traître qui déshonore le collège apostolique ; mais n’osant interroger Jésus, à la droite duquel il est place, il fait signe à Jean, qui est à la gauche du Sauveur, pour tâcher d’obtenir un éclaircissement. Jean se penche sur la poitrine de Jésus et lui dit à voix basse : « Maître, quel est-il ? » Jésus lui répond avec la même familiarité : « Celui à qui je vais envoyer un morceau de pain trempé. » Il restait sur la table quelques débris du repas ; Jésus prend un peu de pain, et l’ayant trempé, il l’adresse à Judas. C’était encore une invitation inutile à cette âme endurcie à tous les traits de la grâce ; aussi l’Évangéliste ajoute : « Après qu’il eut reçu ce morceau, Satan entra en lui. » Jésus lui dit encore ces deux mots : « Ce que tu as à faire, fais-le vite. » Et le misérable sort de la salle pour l’exécution de son forfait. Telles sont les augustes circonstances de la Cène du Seigneur, dont l’anniversaire nous réunit aujourd’hui ; mais nous ne l’aurions point suffisamment racontée aux âmes pieuses, si nous n’ajoutions un trait essentiel. Ce qui se passe aujourd’hui dans le Cénacle n’est point un événement arrivé une fois dans la vie mortelle du Fils de Dieu, et les Apôtres ne sont pas seulement les convives privilégiés de la table du Seigneur. Dans le Cénacle, de même qu’il y a plus qu’un repas, il y a autre chose qu’un sacrifice, si divine que soit la victime offerte par le souverain Prêtre. Il y a ici l’institution d’un nouveau Sacerdoce. Comment Jésus aurait-il dit aux hommes : « Si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon sang, vous n’aurez point la vie en vous », s’il n’eût songé à établir sur la terre un ministère par lequel il renouvellerait, jusqu’à la fin des temps, ce qu’il vient d’accomplir en présence de ces douze hommes ?

Or voici ce qu’il dit à ces hommes qu’il a choisis : « Vous ferez ceci en mémoire de moi. » Il leur donne par ces paroles le pouvoir de changer, eux aussi, le pain en son corps et le vin en son sang ; et ce pouvoir sublime se transmettra dans l’Église, par la sainte ordination, jusqu’à la fin des siècles. Jésus continuera d’opérer, par le ministère d’hommes mortels et pécheurs, la merveille qu’il accomplit dans le Cénacle ; et en même temps qu’il dote son Église de l’unique et immortel Sacrifice, il nous donne, selon sa promesse, par le Pain du ciel, le moyen de « demeurer en lui, et lui en nous ». Nous avons donc à célébrer aujourd’hui un autre anniversaire non moins merveilleux que le premier : l’institution du Sacerdoce chrétien. Afin d’exprimer d’une manière sensible aux yeux du peuple fidèle la majesté et l’unité de cette Cène que le Sauveur donna à ses disciples, et à nous tous en leur personne, la sainte Église interdit aujourd’hui aux Prêtres la célébration des Messes privées, hors le cas de nécessité. Elle veut qu’il ne soit offert dans chaque église qu’un seul Sacrifice, auquel tous les Prêtres assistent ; et au moment de la communion, on les voit tous s’avancer vers l’autel, revêtus de l’étole, insigne de leur sacerdoce, et recevoir le corps du Seigneur des mains du célébrant.

La Messe du Jeudi saint est une des plus solennelles de l’année ; et quoique l’institution de la fête du Très-Saint-Sacrement ait pour objet d’honorer avec plus de pompe le même mystère, l’Église, en l’établissant, n’a pas voulu que l’anniversaire de la Cène du Seigneur perdît rien des honneurs auxquels il a droit. La couleur adoptée à cette Messe pour les vêtements sacrés est le blanc, comme aux jours mêmes de Noël et de Pâques ; tout l’appareil du deuil a disparu. Cependant plusieurs rites extraordinaires annoncent que l’Église craint encore pour son Époux, et qu’elle ne fait que suspendre un moment les douleurs qui l’oppressent. A l’autel, le Prêtre a entonné avec transport l’Hymne angélique : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! » Tout à coup les cloches ont retenti en joyeuse volée, accompagnant jusqu’à la fin le céleste cantique ; mais à partir de ce moment elles vont demeurer muettes, et leur silence durant de longues heures va faire planer sur la cité une impression de terreur et d’abandon. La sainte Église, en nous sevrant ainsi du grave et mélodieux accent de ces voix aériennes, qui chaque jour parcourent les airs et vont jusqu’à notre cœur, veut nous faire sentir que ce monde, témoin des souffrances et de la mort de son divin Auteur, a perdu toute mélodie, qu’il est devenu morne et désert ; et joignant un souvenir plus précis à cette impression générale, elle nous rappelle que les Apôtres, qui sont la voix éclatante du Christ, et sont figurés par les cloches dont le son appelle les fidèles à la maison de Dieu, se sont enfuis et ont laissé leur Maître en proie à ses ennemis.

Le Sacrifice poursuit son cours ; mais au moment où le Prêtre élève l’Hostie sainte et le Calice du salut, la cloche reste déjà dans son silence, et rien n’annonce plus au dehors du temple l’arrivée du Fils de Dieu. La communion générale est proche, et le Prêtre ne donne pas le baiser de paix au Diacre, qui, selon la tradition apostolique, doit le transmettre aux communiants par le Sous-Diacre. La pensée se reporte alors sur l’infâme Judas, qui, aujourd’hui même, a profané le signe de l’amitié, et en a fait l’instrument du meurtre. C’est pour cela que l’Église, en exécration du traître, et comme si elle craignait de renouveler un si fatal souvenir en un tel moment, s’abstient aujourd’hui de ce témoignage de la fraternité chrétienne qui fait partie essentielle des rites delà Messe solennelle.

Mais un rite non moins insolite s’est accompli à l’autel, dans l’action même du Sacrifice. Le Prêtre a consacré deux hosties, et, après en avoir consommé une, il a réservé l’autre, et l’a placée dans un calice qu’il a soigneusement enveloppé. C’est que l’Église a résolu d’interrompre demain le cours du Sacrifice perpétuel dont l’offrande sanctifie chaque journée. Telle est l’impression que lui fait éprouver ce cruel anniversaire, qu’elle n’osera renouveler sur l’autel, en ce jour terrible, l’immolation qui eut lieu sur le Calvaire. Elle restera sous le coup de ses souvenirs, et se contentera de participer au Sacrifice d’aujourd’hui, dont elle aura réservé une seconde hostie. Ce rite s’appelle la Messe des Présanctifiés, parce que le Prêtre n’y consacre pas, mais consomme seulement l’hostie consacrée le jour précédent. Autrefois, comme nous le dirons plus tard, la journée du Samedi saint se passait aussi sans qu’on offrît le saint Sacrifice ; mais on n’y célébrait pas, comme le Vendredi, la Messe des Présanctifiés. Toutefois, si l’Église suspend durant quelques heures l’offrande du Sacrifice éternel, elle ne veut pas cependant que son divin Époux y perde quelque chose des hommages qui lui sont dus dans le Sacrement de son amour. La piété catholique a trouvé le moyen de transformer en un triomphe pour l’auguste Eucharistie ces instants où l’Hostie sainte semble devenue inaccessible à notre indignité. Elle prépare dans chaque temple un reposoir pompeux. C’est là qu’après la Messe d’aujourd’hui l’Église transportera le corps de son Époux ; et bien qu’il y doive reposer sous des voiles, ses fidèles l’assiégeront de leurs vœux et de leurs adorations. Tous viendront honorer le repos de l’Homme-Dieu ; « là où sera le corps, les aigles s’assembleront » ; et de tous les points du monde catholique un concert de prières vives et plus affectueuses qu’en tout autre temps de l’année, se dirigera vers Jésus, comme une heureuse compensation des outrages qu’il reçut en ces mêmes heures de la part des Juifs. Près de ce tombeau anticipé se réuniront et les âmes ferventes en qui Jésus vit déjà, et les pécheurs convertis par la grâce et déjà en voie de réconciliation.

Dans l’Introït, l’Église se sert des paroles de saint Paul pour glorifier la Croix de Jésus-Christ ; elle célèbre avec effusion ce divin Rédempteur qui, en mourant pour nous, a été notre salut ; qui, par son Pain céleste, est la vie de nos âmes, et, par sa Résurrection, l’auteur de la nôtre.

Dans la Collecte, l’Église nous remet sous les yeux le sort si différent de Judas et du bon larron : tous deux coupables, mais l’un condamné, tandis que l’autre est pardonné. Elle demande pour nous au Seigneur que la Passion de son Fils, dans le cours de laquelle s’accomplissent cette justice et cette miséricorde, soit pour nous la rémission des péchés et la source de la grâce.

ÉPÎTRE. Le grand Apôtre, après avoir repris les chrétiens de Corinthe des abus auxquels donnaient lieu ces repas nommés Agapes, que l’esprit de fraternité avait fait instituer, et qui ne tardèrent pas à être abolis, raconte la dernière Cène du Sauveur. Il appuie son récit, conforme en tout à celui des Évangélistes, sur le propre témoignage du Sauveur lui-même, qui daigna lui apparaître et l’instruire en personne après sa conversion. L’Apôtre insiste sur le pouvoir que le Sauveur donna à ses disciples de renouveler l’action qu’il venait de faire, et il nous enseigne en particulier que chaque fois que le Prêtre consacre le corps et le sang de Jésus-Christ, « il annonce la mort du Seigneur », exprimant par ces paroles l’unité de sacrifice sur la croix et sur l’autel. Nous avons expliqué cette doctrine fondamentale de la sainte Eucharistie au chapitre VI, en tête de ce volume. La conséquence d’un tel enseignement est facile à déduire. L’Apôtre nous la propose lui-même : « Que l’homme donc s’éprouve, dit-il, et qu’ensuite il mange de ce pain et boive de ce calice. » En effet, pour être initié d’une manière si intime au sublime mystère de la Rédemption, pour contracter une telle union avec la divine Victime, nous devons bannir de nous tout ce qui est du péché et de l’affection au péché. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui », dit le Sauveur. Se peut-il rien de plus intime ? Dieu devient l’homme, et l’homme devient Dieu, dans cet heureux moment. Avec quel soin devons-nous purifier notre âme, unir notre volonté à celle de Jésus, avant de nous asseoir à cette table qu’il a dressée pour nous, à laquelle il nous convie ! Demandons-lui de nous préparer lui-même, comme il prépara ses Apôtres, en leur lavant les pieds. Il le fera aujourd’hui et toujours, si nous savons nous prêter à sa grâce et à son amour. Le Graduel est formé de ces belles paroles que l’Église répète à chaque instant durant ces trois jours, et dans lesquelles saint Paul ranime notre reconnaissance envers le Fils de Dieu qui s’est livré pour nous.

ÉVANGILE. L’action du Sauveur lavant les pieds à ses disciples avant de les admettre à la participation de son divin mystère, renferme une leçon pour nous. Tout à l’heure l’Apôtre nous disait : « Que l’homme s’éprouve lui-même » ; Jésus dit à ses disciples : « Pour vous, vous êtes purs ». Il est vrai qu’il ajoute : « mais non pas tous ». De même l’Apôtre nous dit « qu’il en est qui se rendent coupables du corps et du sang du Seigneur ». Craignons le sort de ceux-là, et éprouvons-nous nous-mêmes ; sondons notre conscience avant d’approcher de la table sacrée. Le péché mortel, l’affection au péché mortel, transformeraient pour nous en poison l’aliment qui donne la vie à l’âme. Mais si nous devons respecter assez la table du Seigneur, pour ne pas nous y présenter avec la souillure qui fait perdre à l’âme la ressemblance de Dieu et lui donne les traits hideux de Satan, nous devons aussi, par respect pour la sainteté divine qui va descendre en nous, purifier les taches légères qui la blesseraient. « Celui qui est déjà lavé, dit le Seigneur, n’a besoin que de laver ses pieds. » Les pieds sont les attaches terrestres dans lesquelles nous sommes si souvent exposés à pécher. Veillons sur nos sens, sur les mouvements de notre âme. Purifions ces taches par une confession sincère, par la pénitence, par le regret et l’humiliation ; afin que le divin Sacrement, entrant en nous, soit reçu dignement, et qu’il opère dans toute la plénitude de sa vertu.

Dans l’Antienne de l’Offertoire, le chrétien fidèle, appuyé sur la parole du Christ qui lui a promis le Pain de vie, se livre à la joie. Il rend grâces pour cet aliment divin qui sauve de la mort ceux qui s’en nourrissent. L’Église, dans la Secrète, rappelle au Père céleste que c’est aujourd’hui même qu’a été institue l’auguste Sacrifice qu’elle célèbre en ce moment. Le Prêtre, après avoir communié sous les deux espèces, et placé dans un calice l’Hostie réservée pour le lendemain, distribue au clergé la sainte Eucharistie ; et lorsque les fidèles l’ont reçue à leur tour, le chœur chante l’Antienne suivante qui rappelle le mystère du lavement des pieds. La sainte Église demande pour nous, dans la Postcommunion, que nous conservions jusque dans l’éternité le don qui vient de nous être confère.

La Messe étant terminée, une Procession solennelle se dirige vers le lieu où doit reposer l’Hostie sainte, qui sera consommée demain. Le célébrant la porte sous le dais, comme à la fête du très saint Sacrement ; mais aujourd’hui le corps sacré du Rédempteur contenu dans le calice est voilé, et non entouré de rayons comme au jour de ses triomphes. Adorons ce divin Soleil de justice, dont nous saluâmes le lever avec tant d’allégresse ; il décline vers son couchant ; encore quelques heures, et sa lumière va s’éteindre. Les ombres alors couvriront la terre ; et ce ne sera que le troisième jour que nous le verrons reparaître tout brillant d’un éclat nouveau. Pendant la marche vers le reposoir, le chœur chante le Pange, Lingua, l’Hymne du Saint-Sacrement si connue des fidèles. Arrivé au lieu où doit être déposée l’Hostie sainte, le célébrant l’ayant encensée, le diacre prend le calice qui la contient et le renferme pour le soustraire à tous les regards. On prie quelques instants, et bientôt le cortège retourne au chœur en silence. Tout aussitôt commencent les Vêpres.

Sanctoral

Saint Justin, Martyr

Justin fut martyrisé vers 165, à une époque où Rome ne célébrait pas encore le culte des martyrs : sa déposition nous est donc inconnue. Il est inscrit par Florus de Lyon au 13 avril vers 850. Léon XIII adopta cette date en la déplaçant d’un jour à cause de la fête de saint Herménégilde, réduisant de ce fait la fête des saints Martyrs Tiburce, Valérien et Maxime à une mémoire.

Justin, fils de Priscus, grec de nation, né à Flavia Néapolis, dans la Syrie Palestine, passa son adolescence dans l’étude assidue des belles-lettres. Arrivé à l’âge d’homme, il fut pris d’un tel amour pour la philosophie qu’il voulut, pour parvenir à la vérité, s’attacher à toutes les sectes de philosophes qu’il pût connaître et approfondir leur enseignement. Ne trouvant en toutes ces sectes qu’erreur et fausse sagesse, il fut éclairé d’en haut à la parole d’un vieillard inconnu et d’aspect vénérable, et embrassa la philosophie véritable de la foi chrétienne. Dès lors, il eut jour et nuit dans les mains les livres de la sainte Écriture, et son âme, à la méditation des paroles sacrées, devint si brûlante du feu divin, qu’appliquant fa force de son génie à acquérir la science éminente de Jésus-Christ, il composa plusieurs livres pour exposer et propager la foi chrétienne. Parmi les écrits les plus célèbres de saint Justin se distinguent les deux Apologies que, devant le sénat, il présenta aux empereurs Antonin le Pieux et ses fils, ainsi qu’à Marc-Antonin Vérus et Lucius Aurélius Commode, qui persécutaient cruellement les chrétiens et dont il obtint, après avoir éloquemment défendu cette même foi devant eux, un édit qui apaisa la persécution. Toutefois Justin ne fut point épargné ; accusé frauduleusement par le philosophe cynique Crescent, qu’il avait repris au sujet de sa vie et de ses mauvaises mœurs, il fut arrêté par des satellites. Amené au préfet de Rome, Rusticus, comme celui-ci lui demandait quelle était la loi chrétienne, il fit en présence d’un grand nombre de témoins cette belle confession de foi : « La doctrine véritable que nous, Chrétiens, nous gardons pieusement, est celle-ci : Nous croyons à un seul Dieu, qui a fait et créé tout ce qui se voit et tout ce que les yeux corporels ne peuvent apercevoir, et nous confessons le Seigneur Jésus-Christ Fils de Dieu, annoncé autrefois par les Prophètes, et qui doit venir juger le genre humain ». Comme Justin dans sa première Apologie, afin de repousser les calomnies des Païens, avait exposé comment les Chrétiens s’assemblaient religieusement, et quels étaient les mystères de ces saintes assemblées, le président lui demanda quel était le lieu où lui-même et les Chrétiens de la ville se réunissaient. Justin ne voulut point découvrir les lieux des assemblées, pour ne point livrer aux chiens les saints mystères, ni trahir ses frères. Il se contenta d’indiquer sa propre demeure où il avait coutume d’instruire ses disciples, auprès du Titre célèbre du Pasteur, dans le palais de Pudens. A la fin, le préfet lui donna le choix de sacrifier aux dieux ou d’être flagellé par tout le corps. L’invincible défenseur de la foi déclara qu’il avait toujours désiré souffrir des tourments pour le Seigneur Jésus-Christ, dont il attendait au ciel une grande récompense, et le préfet prononça contre lui la sentence capitale. Ainsi, cet admirable philosophe, ne cessant de louer Dieu, après avoir été battu de verges, répandit son sang pour le Christ, et fut couronné par un glorieux martyre. Les fidèles enlevèrent secrètement son corps et l’ensevelirent dans un lieu convenable. C’est le 14 avril 1882 que Léon XIII institua la fête de saint Justin sous le rite double, suite à la demande de plusieurs Pères du Concile Vatican I.

Saints Tiburce, Valérien et Maxime, Martyrs

Valérien était romain et de noble naissance. Sous l’empire d’Alexandre Sévère, cédant aux exhortations de la bienheureuse vierge Cécile, qu’il avait épousée et qui était d’une noblesse égale à la sienne, il fut baptisé ainsi que son frère Tiburce, par le Pape saint Urbain. Almachus, préfet de Rome, apprenant que les deux frères étaient chrétiens, et qu’après avoir distribué leur patrimoine aux pauvres, ils s’occupaient à ensevelir les corps des fidèles, les fit comparaître devant lui, les reprit sévèrement, et voyant qu’avec une constance invincible ils confessaient la divinité du Christ et affirmaient hautement que les dieux n’étaient que de vains simulacres des démons, il ordonna de les battre de verges. Mais comme on ne parvenait pas à les contraindre par les coups à révérer la statue de Jupiter, et qu’au contraire ils persévéraient avec courage dans là vraie foi, ils eurent la tête tranchée à quatre milles de Rome. Maxime, officier domestique du préfet, qui les avait conduits au supplice, saisi d’admiration pour leur vertu, se déclara chrétien avec plusieurs autres serviteurs d’Almachus. Peu après, ils furent tous battus à coups de fouets garnis de plomb, et de serviteurs du diable qu’ils étaient, ils devinrent les Martyrs du Christ notre Seigneur.

Saint Bénézet ou Benoît, Berger (1165-1184)

Saint Bénézet vint au monde en Savoie. Il fut élevé sous le toit de chaume de ses parents, qui lui apprirent de bonne heure à aimer Dieu. Quand il eut douze ans, sa mère, devenue veuve, l’employa à la garde des troupeaux. Or, un jour, dans la campagne, Bénézet entendit trois fois cette parole: « Bénézet, Mon fils, écoute la voix de Jésus-Christ. Je veux que tu laisses ton troupeau et que tu ailles Me bâtir un pont sur le Rhône. – Mais, Seigneur, je ne sais où est le Rhône, et je n’ose abandonner les brebis de ma mère. – Va, Je serai avec toi; tes brebis retourneront à l’étable, et Je vais te donner un compagnon qui te conduira. – Mais, Seigneur, je n’ai que trois oboles; comment pourrai-je construire un pont sur le Rhône? – Va, Mon fils, Je te donnerai les moyens. » Et l’enfant laissa sa mère et son troupeau, pour obéir à la voix du Ciel. Un ange, sous la forme d’un pèlerin, vint tout à coup s’offrir pour le conduire. Quand ils arrivèrent au bord du Rhône, Bénézet, saisi de frayeur à la vue de la largeur du fleuve, s’écria: « Il est impossible de faire un pont ici. – Ne crains rien, dit le guide, Dieu sera avec toi: va vers ce batelier, qui te fera passer le fleuve, et tu iras te présenter à l’évêque d’Avignon et à son peuple. » En disant cela, l’ange disparut. L’enfant se rendit à la cathédrale. L’évêque y parlait à son peuple; mais Bénézet l’interrompit en disant: « Écoutez-moi; Jésus-Christ m’a envoyé vers vous pour construire un pont sur le Rhône. » L’évêque, indigné, le mit entre les mains de l’autorité civile, devant laquelle il renouvela sa demande avec tant de fermeté, qu’il lui fut dit: « Voici une pierre énorme; si tu peux la remuer et la porter, nous croirons que tu peux faire le pont. » Et bientôt le petit berger, à la vue de l’évêque et de toute la ville portait une pierre de trente pieds de longueur sur dix-sept de largeur, que trente hommes n’auraient pu soulever. On devine l’enthousiasme universel. Cet enthousiasme augmenta encore quand on vit Bénézet, dès ce jour, rendre la vue aux aveugles, l’ouïe et la parole aux sourds-muets, et la facilité de marcher aux boiteux. L’envoyé de Dieu commença par fonder une corporation d’ouvriers faiseurs de ponts. Après sept ans de travaux, le pont, d’une longueur immense, n’était pas encore achevé. Bénézet mourut à dix-neuf ans. Sa mémoire est restée en bénédiction. Il fut canonisé en 1331 par Jean XXII.

Sainte Lydwine de Schiedam, Vierge et Mystique néerlandaise (1380-1433)

Originaire de Schiedam en Hollande-Méridionale (Pays-Bas), elle naquit un Dimanche des Rameaux, le 18 mars 1380 dans une famille d’ancêtres nobles… mais ils étaient tombés dans la pauvreté. Ses parents avaient neuf enfants, huit garçons et une fille. Enfant gracieuse et forte et d’une avenante beauté, ses charmes et ses qualités lui attirèrent de nombreuses demandes de mariage. Elle dit à ses parents : « Je demanderais plutôt à Dieu de me rendre laide pour repousser les regards des hommes ». Dieu la prit au mot. À la suite d’une chute (en patinant sur la glace) où elle eut une côte brisée, on la transporta sur son lit. Elle ne le quitta plus jusqu’à sa mort. Malgré tous les soins prodigués, le mal ne fit qu’empirer. Un abcès se forma qui ne lui permettait plus de rester ni couchée, ni assise, ni levée; perdant l’usage de ses jambes, elle se traînait sur les genoux, sur les coudes, se cramponnant aux meubles. Ses pleurs, ses cris, ses gémissements effrayaient et éloignaient tout le monde, sauf ses admirables parents, qui ne cessèrent de la soigner avec amour. Trois plaies profondes s’ouvrirent dans son pauvre corps, dont l’une se remplit de vers, qui y grouillaient en telle quantité qu’on en retirait jusqu’à deux cents en vingt-quatre heures. Comme on soulageait les ulcères, une tumeur lui vint à l’épaule, à laquelle s’ajouta bientôt le « mal des ardents » qui dévora ses chairs jusqu’aux os. À cela, il faut ajouter la torture des remèdes inventés par l’ignorante bonne volonté des médecins, qui ne réussirent guère qu’à remplacer une maladie par une autre. Ainsi Lydwine était couchée sur le dos, impuissante à se remuer, n’ayant que l’usage de la tête et du bras gauche, torturée sans cesse, perdant son sang, dévorée des vers, et pourtant vivant et gardant assez de forces pour ne pas mourir. Et au milieu de tout cela elle était heureuse, et se disait prête à souffrir ainsi pendant de longues années. À partir de 1414, jusqu’à sa mort, c’est à dire pendant dix-neuf ans, elle ne se nourrit que de la Sainte Eucharistie. Jusqu’à la fin, ses maux s’aggravèrent; mais ses plaies, ses vomissements n’exhalaient plus que des odeurs suaves et parfumées. Aussi on venait plus volontiers la voir, entretenir et écouter ses pieuses exhortations. Rien de plus ardent que sa charité, toujours au service des malheureux qu’elle secourait malgré son indigente pauvreté, et des affligés qui trouvaient auprès d’elle consolation. On doit aussi ajouter d’incroyables grâces mystiques : bilocation, lecture dans les âmes, réception des sacrés stigmates et participation régulière à la Passion de Jésus, visions du Christ et de la Vierge. Elle visita des lieux saints (Rome, Terre Sainte) mais aussi l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis. Lorsqu’elle se trouva au Paradis, son Ange Gardien lui montra un rosier pour lui dire qu’elle ne trépassera pas avant que les toutes les roses soient en fleurs. Ce fut le mardi de Pâques 1433 (le 14 avril à 53 ans) que Lydwine acheva la montée de son Calvaire, qui avait duré trente-sept ans. Aussitôt son pauvre corps exténué, défiguré, reprit ses couleurs, son embonpoint et sa beauté; il exhalait un parfum plus suave que jamais. Son corps fut conservé intact, miraculeusement, mais au XVIème siècle, les protestants le brûlèrent et on ne conserve plus, en guise de reliques, que les os calcinés retrouvés dans le bûcher… Ses reliques se trouvent maintenant dans la Basilique de Schiedam, aux Pays-Bas (Zuid-Holland). Elle est canonisée le 14 mars 1890 par le Pape Léon XIII. Sainte Lydwine est la sainte patronne des maladies rares et de la ville de Schiedam. Elle est fêtée le 14 juin dans le calendrier liturgique propre aux Pays-Bas.

Martyrologe

Saint Justin, philosophe et martyr, dont il est fait mention le jour précédent.

A Rome, sur la voie Appienne, l’anniversaire des saints martyrs Tiburce, Valérien et Maxime, sous l’empereur Alexandre et le préfet Almaque. Les deux premiers, convertis au Christ par les exhortations de la bienheureuse Cécile et baptisés par le pape saint Urbain, furent meurtris à coups de bâton, puis percés par le glaive, pour la confession de leur foi. Maxime, camérier du préfet, touché de leur constance et fortifié par l’apparition d’un ange, crut au Christ; il fut pour ce motif, frappé avec des fouets garnis de plomb jusqu’à ce qu’il eût rendu l’âme.

A Terni, saint Procule, évêque et martyr.

Le même jour, saint Ardalion bateleur. Comme il jouait sur le théâtre, en s’en moquant, les mystères des chrétiens, il fut tout à coup converti, en sorte qu’il prouva leur sainteté non seulement par ses paroles, mais encore par le témoignage de son sang.

A Terni, sainte Domnine, vierge et martyre, couronnée avec des vierges ses compagnes.

A Alexandrie, sainte Thomaide martyre. Ayant refusé de consentir aux désirs impudiques de son beau-père, elle reçut de lui un coup d’épée si violent que son corps fut partagé en deux.

A Lyon, en France, saint Lambert, évêque et confesseur.

A Alexandrie, saint Fronton abbé, remarquable par la sainteté de sa vie et par ses miracles.

A Rome, saint Abonde, portier de l’église de saint Pierre.

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