De la férie : messe du jeudi après les Cendres
Bien que la loi du jeûne pèse sur nous depuis hier, nous ne sommes pas encore entrés dans le Carême proprement dit, dont la solennité ne s’ouvrira que samedi prochain, à Vêpres. C’est afin de distinguer du reste de la sainte Quarantaine ces quatre jours surajoutés, que l’Église continue d’y chanter les Vêpres à l’heure ordinaire, et permet à ses ministres de rompre le jeûne avant d’avoir satisfait à cet Office. A partir de samedi, il en sera autrement. Chaque jour, à l’exception du Dimanche, lequel n’admet pas le jeûne, les Vêpres des féries et des fêtes seront anticipées, en sorte qu’à l’heure où les fidèles prendront leur repas, l’Office du soir sera déjà accompli. C’est un dernier souvenir des usages de l’Église primitive ; autrefois les fidèles ne rompaient pas le jeûne avant le coucher du soleil, auquel correspond l’Office des Vêpres. La sainte Église a distingué ces trois jours qui suivent le Mercredi des Cendres, en leur assignant à chacun une lecture de l’Ancien Testament, et une autre du saint Évangile, pour être faites à la Messe. Hier, l’Église nous remettait devant les yeux la certitude de la mort. Nous mourrons : la parole de Dieu y est engagée, et il ne saurait venir dans l’esprit à un homme raisonnable que sa personne puisse être l’objet d’une exception. Mais si le fait de notre mort est indubitable, le jour auquel il nous faudra mourir n’est pas moins déterminé. Dieu juge à propos de nous le cacher, dans les motifs de sa sagesse ; c’est à nous de vivre de manière à n’être pas surpris. Ce soir, peut-être, on viendra nous dire comme à Ézéchias : « Donne ordre aux affaires de ta maison ; car tu vas mourir ». Nous devons vivre dans cette attente ; et si Dieu nous accordait une prolongation de vie comme au saint Roi de Juda, il faudrait toujours en venir tôt ou tard à cette heure suprême, passé laquelle il n’y a plus de temps, mais l’éternité. En nous faisant ainsi sonder la vanité de notre existence, l’Église veut nous fortifier contre les séductions du présent, afin que nous soyons tout entiers à cette œuvre de régénération, pour laquelle elle nous prépare depuis bientôt trois semaines. Combien de chrétiens ont reçu hier la cendre sur la tête, et qui ne verront pas ici-bas les joies pascales ! La cendre a été pour eux une prédiction de ce qui doit leur arriver, avant un mois peut-être. Ils n’ont cependant pas entendu la sentence en d’autres termes que ceux qu’on a prononcés sur nous-mêmes. Ne sommes-nous pas du nombre de ces victimes vouées à une mort si prochaine ? Qui de nous oserait affirmer le contraire ? Dans cette incertitude, acceptons avec reconnaissance la parole du Sauveur qui est descendu du ciel pour nous dire : Faites pénitence ; car le Royaume de Dieu est proche (Matth. IV, 17). Les saintes Écritures, les Pères et les Théologiens catholiques distinguent trois sortes d’œuvres de pénitence : la prière, le jeûne et l’aumône. Dans les lectures qu’elle nous propose, durant ces trois jours qui sont comme l’entrée du Carême, la sainte Église veut nous instruire sur la manière d’accomplir ces différentes œuvres ; aujourd’hui, c’est la prière qu’elle nous recommande. Voyez ce centurion qui vient implorer auprès du Seigneur la guérison de son serviteur. Sa prière est humble ; c’est du fond de son cœur qu’il se juge indigne de recevoir la visite de Jésus. Sa prière est pleine de foi ; il ne doute pas un instant que le Seigneur ne puisse lui accorder l’objet de sa demande. Avec quelle ardeur il la présente ! La foi de ce gentil surpasse celle des enfants d’Israël, et mérite l’admiration du Fils de Dieu. Ainsi doit être notre prière, lorsque nous implorons la guérison de nos âmes. Reconnaissons que nous sommes indignes de parler à Dieu, et cependant insistons avec une foi inaltérable dans la puissance et dans la bonté de celui qui n’exige de notre part la prière qu’afin de la récompenser par l’effusion de ses miséricordes. Le temps où nous sommes est un temps de prière ; l’Église redouble ses supplications ; c’est pour nous qu’elle les offre ; ne la laissons pas prier seule. Déposons en ces jours cette tiédeur dans laquelle nous avons langui, et souvenons-nous que si nous péchons tous les jours, c’est la prière qui répare nos fautes, et qui nous préservera d’en commettre de nouvelles.
Le Seigneur est à Capharnaüm où va avoir lieu la guérison du serviteur du centurion. Il règne entre le récit de saint Luc et celui de saint Matthieu des divergences de détail qui peuvent être facilement ramenées à l’unité. Dans saint Matthieu, il semble que ce soit le centurion qui se présente personnellement, et une seule fois ; le récit de saint Luc, l’évangéliste de la gentilité, est plus précis, plus circonstancié, et nous montre l’officier n’osant s’adresser au Seigneur que par intermédiaire, et à deux reprises. Le récit de saint Matthieu est abrégé et réduit à ce qui peut mettre en lumière la foi admirable de cet homme. Car de songer qu’il y eut deux miracles analogues nous semble une solution peu plausible. Le centurion est probablement un païen, non un prosélyte. Il sait que les Juifs considèrent comme une souillure d’entrer chez un gentil ; c’est parce qu’il a conscience de sa situation d’étranger et de profane, et à raison aussi de son humilité et de sa discrétion, qu’il dira : Domine, non sum dignus ut intres. Pourtant son âme est bienveillante, si elle n’est pas encore ralliée au judaïsme. Il a entendu parler de Jésus et appris son arrivée à Capharnaüm ; et pour obtenir le soulagement d’un serviteur très aimé, il envoie au-devant du Seigneur quelques anciens de la synagogue pour le prier de venir au secours du moribond. Ils sont chargés de dire en son nom : « Seigneur, mon serviteur est alité chez moi, paralytique, et en proie à de cruelles tortures ». Arrivés auprès de Jésus, les messagers lui présentent la requête, et avec insistance : « Il mérite bien, ajoutent-ils, que vous lui accordiez cela ; car il aime notre nation, et c’est lui qui nous a bâti la synagogue. » — « J’irai, répond le Seigneur, et je le guérirai. » Et il se met en route avec les anciens. Mais tandis qu’il approchait de la maison, le centurion, chez qui la foi et l’humilité avaient triomphé de l’anxiété première, envoya des amis lui dire : « Seigneur, ne vous donnez pas cette peine, car je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit. C’est pour cela aussi que je ne me suis pas cru digne d’aller moi-même vers vous, mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri. » Il écarte l’honneur que Jésus lui veut rendre, et confesse sa toute-puissance : Seigneur, vous êtes souverain, vous pouvez tout ce que vous voulez ; il n’est pas besoin de votre présence réelle ni de votre contact pour que toutes choses s’accomplissent à votre gré. Voyez, moi, je ne suis qu’un pauvre homme, n’ayant qu’un pouvoir limité, et j’ai des supérieurs au-dessus de moi. Pourtant, je suis obéi de ceux qui sont à moi. Aux soldats qui me sont soumis, je donne des ordres : Allez ! dis-je à celui-ci, et il va ; venez ! dis-je à l’autre, et il vient ; et à mon serviteur : faites cela, et il le fait. — Tout le raisonnement demeure inachevé, mais c’est parce que la conclusion a devancé l’argument lui-même : une parole de vous, et mon serviteur sera guéri. Quel exemple pour la Synagogue ! Elle doutait, elle s’inquiétait, elle dressait des pièges : et des gentils, des pécheurs méprisés par les rabbins les devançaient dans la foi ! En entendant les paroles de ce soldat, le Seigneur eut un mouvement d’admiration. Prenons ceci comme un fait, comme une émotion réelle chez le Fils de l’homme, mais sans conclure à une surprise ni à une ignorance antérieure. Il y a lieu à admiration quand la chose est admirable, qu’elle ait été antérieurement connue ou non. Et nous-mêmes, qui avons lu cent fois le récit évangélique, n’admirons-nous pas encore l’attitude du centurion ? La Synagogue et la masse des Juifs n’avaient pas accoutumé le Seigneur à une telle plénitude de foi ; et le mouvement joyeux du Seigneur ne vient que de la nouveauté du fait, de son caractère exceptionnel. Se retournant vers la foule qui le suivait, il dit : « En vérité, je vous le déclare, je n’ai pas trouvé en Israël une foi aussi grande. » L’occasion s’offrait pour le Seigneur d’introduire la question de la vocation des gentils. Saint Matthieu a recueilli avec soin des paroles qui réalisaient la prophétie d’Isaïe (44, 6; 49, 12) et de Malachie (1, 11), saint Luc les citera plus loin (13, 29). À l’exemple de saint Jean-Baptiste (Mt 3, 9-10), Jésus rappelle aux Juifs qu’il ne suffit plus, pour appartenir au vrai peuple de Dieu, de se réclamer de la descendance et du sang d’Abraham. Un grand nombre, leur dit-il avec assurance, viendront de l’Orient et de l’Occident, des régions les plus opposées et les plus lointaines ; ils prendront place au festin du Royaume des cieux, avec Abraham, Isaac et Jacob, avec les élus de la souche bénie ; tandis que seront rejetés dans les ténèbres, hors de la maison, hors du Royaume, là où il n’y a que pleurs et grincements de dents, les fils du Royaume : c’est-à-dire ceux qui y semblaient prédestinés soit par la Providence divine, qui avait veillé spécialement sur eux, soit par la lignée à laquelle ils appartenaient, soit enfin par la longue préparation qui les acheminait vers le Christ. Et afin de montrer comment sa miséricorde se répand sur tous ; afin de renseigner une fois encore la Synagogue et les anciens qui sont venus eux-mêmes solliciter le miracle, le Seigneur mande au centurion : « Allez, qu’il advienne pour vous selon votre foi. » Les envoyés s’en retournèrent à la maison, et constatèrent que le serviteur malade avait été guéri à l’heure même où Jésus l’avait annoncé.
Sanctoral
Saints Faustin et Jovite, Martyrs
Faustin et Jovite, nés à Brescia, étaient frères et de noble origine. Pendant la persécution de Trajan, ils furent conduits, chargés de liens, dans plusieurs villes d’Italie, et eurent à y souffrir les plus cruels tourments, mais ils persévérèrent avec courage à confesser la foi chrétienne. Ils restèrent longtemps étroitement emprisonnés à Brescia, et ils y furent aussi exposés aux bêtes et jetés dans le feu, mais les flammes, comme les bêtes, les laissèrent sains et saufs. De Brescia on les mena enchaînés ensemble à Milan, où leur foi, éprouvée par les plus rigoureux tourments, brilla de plus en plus au milieu des souffrances, comme l’or devient plus éclatant par le feu. Envoyés ensuite à Rome, Faustin et Jovite y furent fortifiés par le Pape Évariste, et là encore cruellement torturés. Ayant été conduits à Naples, et de nouveau tourmentés de diverses manières en cette ville, on les jeta pieds et mains liés à la mer ; mais ils furent délivrés miraculeusement par les Anges. Leur constance au milieu de tant de supplices, et la vertu de leurs miracles convertirent un grand nombre de personnes à la foi du Christ. En dernier lieu, ramenés à Brescia au commencement de l’empire d’Adrien, ils eurent la tête tranchée et obtinrent ainsi la glorieuse couronne du martyre (vers 120). Leurs reliques sont vénérées à Brescia.
La translation du corps de saint Antoine
Saint Antoine, bien qu’originaire d’Égypte, a été très vite connu en France. Dès sa mort (351), Athanase, évêque d’Alexandrie, écrit en grec une « Vie de saint Antoine » qui sera très vite traduite en latin et diffusée en Occident. Jacques de Voragine, dans sa « Légende dorée », le magnifiera. Ce d’autant qu’Antoine est un thaumaturge. Donc, son intercession pour l’obtention d’une guérison est efficiente. Et cela tombe à point à une époque où, aux épidémies meurtrières déjà connues, vient se joindre le Mal des Ardents ou Feu de saint Antoine, une terrible maladie due à l’ergotisme du seigle qui, à travers l’absorption du pain quotidien, intoxique la population. La translation des reliques d’Antoine : autour de 1070, un noble Jocelyn de Châteauneuf et son beau-frère Guigues Disdier, originaires du Dauphiné, rapportèrent de Constantinople les reliques de saint Antoine. Elles furent déposées dans la petite église Notre-Dame de leur village, appelé alors « La-Motte-au-Bois », une petite bourgade du Dauphiné, située en Isère, entre Grenoble et Valence (qui est devenu Saint-Antoine-l’Abbaye). En 1083, face à l’afflux de pèlerins, Gontard, évêque de Valence, donna à l’abbaye bénédictine de Montmajour, près d’Arles, cinq églises de la région dont celle de La-Motte-en-Bois. Antoine devient vers 1095, le saint patron, sans les avoir fondés, d’une Maison de l’Aumône puis d’un Ordre religieux – les Antonins – (1297), à vocation hospitalière, dont la renommée s’étend au travers de, selon l’époque, 300 à 400 hôpitaux, prieurés et commanderies semés dans toute l’Europe jusqu’au Moyen-Orient. Grâce à une organisation rigoureuse, à une compétence clinique certaine et à des thérapies efficaces, l’Ordre est très vite reconnu. Sa spécialité est le Mal des Ardents, une maladie bien particulière qui exige des soins spécifiques. Ainsi, les chanoines antonins soignent le corps autant que l’âme. Antoine est représenté âgé, avec ou sans ses attributs traditionnels (livre, bâton, clochette, cochon…) et souvent revêtu de l’habit antonin sur lequel brille le Tau, ce qui évoque un lien très fort avec l’ordre religieux antonin car c’est lui qui a choisi ce symbole.
Martyrologe
A Brescia, l’anniversaire des saints frères Faustin et Jovite. Sous l’empereur Adrien, après de nombreux combats glorieusement soutenus pour la foi du Christ, ils reçurent en vainqueurs la couronne du martyre.
A Rome, saint Craton martyr. Avec son épouse et toute sa famille, il fut baptisé par le bienheureux évêque Valentin; peu de temps après, il fut martyrisé avec les siens.
A Terni, l’anniversaire des saints martyrs Saturnin, Castule, Magne et Lucius.
Au même lieu, sainte Agape, vierge et martyre.
A Vaison, en France, saint Quinide évêque, dont la mort fut précieuse aux yeux du Seigneur, comme l’attestent de nombreux miracles.
A Capoue, saint Décorose, évêque et martyr.
Dans la province de Valérie, saint Sévère prêtre, lequel, au témoignage du bienheureux pape Grégoire, ramena un mort à la vie par l’effusion de ses larmes.
A Antioche, saint Joseph diacre.
Dans la cité des Arvernes (auj. Clermont-Ferrand), en Gaule, sainte Géorgie vierge
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