Frédérique Lachaud est professeur d’histoire médiévale à la Sorbonne Université Lettres. Elle s’intéresse particulièrement à l’histoire des pouvoirs et des idées politiques en Angleterre entre le XIIe et le XVe siècle.
Elle nous propose une biographie de Jean sans Terre, connu familièrement comme le « prince Jean », frère de Richard Cœur de Lion. Né en 1166, Jean fut, dès son enfance, au cœur des dissensions familiales : la question de la place de ce dernier-né, « sans Terre », dans les projets élaborés par Henri II pour son immense conglomérat de territoires, des Pyrénées à l’Ecosse, conduisit en effet à deux reprises au conflit ouvert entre Henri et ses fils, et à des déchirements au sein de la fratrie, entre Henri le Jeune, Geoffroi, Richard « Cœur de Lion » et Jean. Henri II fit de Jean le seigneur de l’Irlande et lui fit prendre, en 1185, la tête d’une expédition dans cette terre. Mais au bout de quelques mois, le jeune homme dut rentrer en Angleterre sans avoir pu imposer sa domination sur l’île.
Après la mort d’Henri II en 1189 – Henri le Jeune et Geoffroi ayant disparu avant leur père – et pendant l’absence de Richard, d’abord à la croisade puis en captivité, Jean put se croire amené à jouer un rôle de premier plan et tenta, mais vainement, de prendre le contrôle du gouvernement : le retour de son frère au printemps 1194 semblait sonner le glas de ses espérances. Le décès accidentel de Richard, sans héritier direct, en avril 1199, permit toutefois à Jean d’accéder enfin au trône, mais au prix de concessions destinées à écarter un autre prétendant, son neveu Arthur, fils posthume de Geoffroi, comme à obtenir l’appui de Philippe Auguste, son seigneur pour ses fiefs dans le royaume de France.
En 1200, Jean avait malgré tout réussi à s’imposer à la tête de ses différents territoires : maître du patrimoine des Plantagenêts, que son second mariage avec l’héritière d’Angoulême semblait consolider, il apparaissait en position de force, secondé par une administration efficace. Néanmoins, en l’espace de quelques années seulement, son pouvoir se disloqua. En 1202, Philippe Auguste tira prétexte de la plainte présentée à la cour de France par les barons poitevins contre son grand vassal pour prononcer la confiscation des fiefs des Plantagenêts dans le royaume, avant de faire pénétrer ses troupes en Normandie. Rapidement, la plus grande partie des terres continentales de la dynastie passa sous domination capétienne. La rumeur du meurtre d’Arthur, l’effort fiscal sans précédent qu’il fallait exiger des populations anglaises pour financer les opérations militaires en France, la crise née du conflit avec le Pape, après que Jean eut refusé la désignation d’Etienne Langton à l’archevêché de Cantorbéry, se conjuguèrent pour fragiliser le régime. Les alliances que Jean avait conclues avec des princes d’Empire et des grands feudataires de Philippe Auguste contre celui-ci se délitèrent avec la défaite de cette coalition sur le champs de bataille de Bouvines en 1214, alors que le Plantagenêt, de retour en Angleterre, affrontait les barons rassemblés contre lui. Au cours du printemps 1215, cette opposition prit les armes et la menace de guerre civile ne fut conjurée que par une paix connue sous le nom de « Grande Charte » marquée par d’importantes concessions aux élites du royaume d’Angleterre. Mais cet accord fut rapidement dénoncé par les deux partis. Après plusieurs mois de lutte armée, seule la mort soudaine de Jean en octobre 1216, à l’âge de quarante-neuf ans, permit la survie de la dynastie, et il fallut toute l’énergie du gouvernement de régence, sous la direction de Guillaume le Maréchal, pour redresser la situation autour du jeune Henri III, fils aîné du roi défunt.
Jean sans Terre, Frédérique Lachaud, éditions Perrin, 480 pages, 24,90 euros
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