Sommé par Éric Zemmour de s’expliquer au sujet de son désaccord avec la droite de conviction sur la « préférence nationale », le président du PCD et candidat à la primaire dite « de la droite et du centre » a fait un pas en avant.
En répondant à trois questions posées par Le Salon beige, Jean-Frédéric Poisson a opéré une distinction entre deux volets au sein de la « préférence nationale » : l’un serait « économique », l’autre « social » :
Je crois qu’il faut distinguer deux aspects dans la préférence nationale alors que les dirigeants du FN contribuent à entretenir la confusion. Il y a un volet économique d’une part, et un volet social d’autre part. J’ai dit – et je maintiens – que je suis hostile à la préférence nationale en matière économique : l’embauche d’un salarié ne relève pas de la responsabilité de l’État. C’est le chef d’entreprise qui embauche et en assure la responsabilité et les modalités. Il le fait en fonction des aptitudes et de l’adéquation du travailleur par rapport au poste à pourvoir, et non en fonction de sa nationalité.
Êtes-vous alors favorable à la préférence nationale en matière sociale ?
Oui. Je pense qu’il serait juste que l’État réserve les allocations sociales aux personnes ayant la nationalité française. Je rappelle que je suis, pour ma part, favorable à un regroupement de l’ensemble des allocations en une allocation que j’appelle « revenu de base », qui serait réservée aux citoyens français. Cette simplification permettrait d’ailleurs de lutter avec plus d’efficacité contre les détournements que le système des allocations, tel qu’il existe actuellement, permet en laissant la possibilité d’une ressource injustifiée pour son bénéficiaire et injuste pour les cotisants.
En réalité, cette distinction ne tient pas la route. Même la prétendue invitation « économique » par une embauche consentie par un chef d’entreprise induit des coûts et conséquences pour l’ensemble de la société. En effet, le patron peut socialiser (externaliser) ces coûts et conséquences sur les autres Français. Il y a au moins trois points sur lesquels cet état de fait s’applique :
— 1° la pression à la baisse sur les salaires (les patrons anglais ne se sont jamais cachés de recourir à l’immigration pour cette raison) ;
— 2° la mise en précarité des locaux qui seraient sans emploi ;
— 3° des effets sur la qualité de vie des locaux qui habiteront au même endroit que l’immigré embauché.
Mais il y a d’autres domaines qui invalideraient la proposition de Poisson. Une fois au pouvoir, les législations nationale et supranationale dont il héritera lui poseraient problème : la Sécurité sociale en France repose sur les cotisations sociales prélevées sur le travail. Or, un immigré embauché cotiserait pour les autres et n’aurait droit à rien pour lui-même ? Ç’aurait au moins l’avantage d’être dissuasif, mais les juges verraient là une abominable « discrimination ». Matériellement, ce serait impossible : le travailleur immigré, pour n’être pas un coût social, ne saurait être soigné dans les structures sociales françaises, ni ne pourrait utiliser nos routes… Et, en conscience, là, nous serions véritablement injustes. Ce caractère dissuasif pourrait nous couper de toute micro-immigration de francophiles qualifiés, mais aussi de personne ayant une nationalité étrangère tout en ayant que ou presque du sang français. Ou alors il faudrait que les cotisations sociales ne pèsent plus sur les salaires, ou que ce ne soit qu’au cas par cas, selon le choix des travailleurs… Ce ne serait pas si mal pour démanteler le système !
Cette distinction semble donc de circonstance, politique et non mûrement réfléchie. Il faudrait en fait aller beaucoup plus loin.
Le professeur Hans-Hermann Hoppe, chef de file de l’école autrichienne d’économie, vient de publier son premier livre en langue française, pour le moins remarquable, aux Éditions Le Drapeau blanc : La Grande Fiction. L’État, cet imposteur.
Voici quelques passages tirés du chapitre v « L’ordre naturel, l’État et le problème de l’immigration » (sous-section v : « Complots d’État et invasions migratoires », p. 125-127) étudiant le sujet qui nous intéresse :
Opposons-nous à de nombreux libertariens de gauches enthousiastes à la perspective de frontières ouvertes : il est incorrect de déduire du fait qu’un immigré a trouvé quelqu’un ayant accepté de l’employer à un endroit donné que ce premier peut être considéré comme un « invité ». En l’état, cet argument n’est valable que si l’employeur assume en outre toutes les charges corrélatives à son importation de main-d’œuvre. C’est le cas sous un régime – pourtant si décrié – de « ville-usine » possédée et gérée par un propriétaire. Là, le coût global de l’emploi, du logement, de l’assurance santé et des divers autres services associés à la présence d’immigrés est assumé par ledit propriétaire. Nul autre propriétaire ne se trouve affecté par l’emploi de cet ouvrier immigré. de manière imparfaite (et de plus en plus incomplète), ce principe de responsabilisation totale de l’immigration est affirmé dans la politique migratoire de la Suisse. Dans ce pays, c’est à l’échelon local et non fédéral que se règlent les questions d’immigration, au niveau des communautés locales d’habitants propriétaires où l’immigrant est censé résider. Ces propriétaires ont intérêt à ce que la présence d’immigrés dans leur communauté augmente la valeur de leurs biens au lieu de la diminuer. Dans des territoires aussi attractifs que la Suisse, cela veut généralement dire que l’immigrant (ou son employeur) doit s’acquitter d’un droit d’entrée dans une communauté, ce qui demande souvent des sommes considérables. Malheureusement, les États-providence ne sont pas administrés à la manière des villes-usines ou même des communautés suisses. Dans un contexte d’État-providence, l’employeur de l’immigrant ne doit prendre en charge qu’une infime partie des coûts induits par la présence de cet immigrant. Il peut socialiser (externaliser) une part substantielle de ces coûts aux dépens d’autres propriétaires. Muni d’un permis de travail, l’immigré peut faire libre usage de tous les équipements publics : routes, parcs, hôpitaux, écoles… Pas un seul propriétaire foncier, entrepreneur ou association privée n’a le droit de faire preuve de discrimination à son encontre en ce qui concerne le logement, le travail, les prestations sociales et les libertés. Autrement dit, l’immigrant est comme invité, mais avec un important ensemble d’avantages annexes qui ne sont aucunement assumés (ou seulement de façon partielle) par l’employeur de l’immigrant (pourtant censé l’avoir invité), mais bien par d’autres propriétaires du pays, contribuables n’ayant pas eu leur mot à dire dans cette « invitation ». Ce ne peut être une « invitation » au sens courant du terme, mais une charge imposée. C’est comme si l’on conviait des ouvriers étrangers pour refaire une maison tout en les nourrissant en ponctionnant les garde-manger des voisins… Par conséquent, dans la mesure où le coût de l’importation de travailleurs immigrés se retrouve diminué, il y aura davantage d’immigration à l’initiative des patrons que s’il en allait autrement. En outre, le caractère des immigrants change lui aussi. Tandis que les communautés suisses privilégient des immigrés aisés et à haute valeur productive, dont la présence augmentera la valeur des propriétés locales, dans le cadre d’un État-providence démocratique, les employeurs sont habilités par l’État à externaliser les charges de leur politique d’emploi vers autrui : ils tendent donc à importer des immigrants toujours moins chers, peu qualifiés et à faible valeur productive, sans se soucier des conséquences de leurs choix pour la valeur des propriétés des alentours. Indéfendable d’un point de vue logique, le désir de frontières ouvertes des libertariens de gauche ne peut se comprendre que par la psychologie. on peut en trouver une source dans la formation randienne de nombreux libertariens de gauche. Les grands entrepreneurs et hommes d’affaires sont considérés comme des « héros » et, d’après l’une des affirmations les plus ridicules d’Ayn Rand, vus comme la « minorité la plus sévèrement persécutée » par l’État-providence. Dans cette perspective (dénuée de toute connaissance ou expérience historique), que peut-on trouver de mal à ce qu’un patron embauche un travailleur immigré ? En fait, comme tout historien le sait bien, les grands patrons comptent parmi les principaux adversaires des droits liés à la propriété privée et des lois du marché. Par une alliance contre nature avec l’État central, ils ont entre autres acquis le privilège d’importer des travailleurs immigrés aux dépens d’autrui (comme ils ont obtenu le privilège d’exporter des capitaux vers d’autres pays et d’être soutenus par le contribuable et l’armée dès que de tels investissements tournent au vinaigre). […] Ils éprouvent une « sensibilité » spéciale envers toute forme de discrimination et ne craignent point d’utiliser la force de l’État central pour imposer à la société des « droits civils » ou des lois de non-discrimination. En conséquence, empêchant de la sorte d’autres propriétaires de faire preuve de discrimination comme bon leur semble, il leur est possible de vivre aux dépens d’autrui. Ils peuvent s’adonner à leur mode de vie « alternatif » sans avoir à payer le prix « normal » d’un tel comportement, à savoir la discrimination et l’exclusion. afin de légitimer cette démarche, ils insistent sur le fait que toute façon de vivre serait aussi bonne et digne qu’une autre. Cela conduit d’abord au multiculturalisme, puis au relativisme culturel, et, finalement, aux « frontières ouvertes ». pour en savoir davantage, voir Hoppe (H.-H.), Democracy…, op. cit., le chap. 10 en particulier.
H.-H. Hoppe a le mérite de poser la question de l’État, et encore plus de l’État-providence, en mettant en avant tous ses méfaits côté immigration de masse et intégration forcée… Car Poisson, comme les autres, a tort de raisonner à partir de l’État comme si son existence était aussi assurée – voire davantage – que celle de Dieu… Pourtant, sans lui, si le propriétaire privé devait assumer tous les coûts liés à l’« invitation » (qu’on l’appelle économique ou non) d’un immigré, il y réfléchirait à sept fois… La Grande Fiction, une lecture providentielle avant les élections de 2017, pour ne pas entériner les erreurs de la Réforme et de la Révolution.
Charles d’Arbieu
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