Samedi a débuté la phase préliminaire du procès. La procédure a été lancée après une enquête de quatre ans qui a déterminé 24 suspects parmi des particuliers et des associations, des centaines de pages de notes d’investigations et d’écoutes téléphoniques, dont certaines publiées dans des journaux, et la suspension des activités d’une ONG allemande, la Jugend Rettet, qui a secouru environ 14 000 personnes en Méditerranée entre 2016 et 2017. C’est aussi le premier procès de ce type à atteindre le stade de l’instruction : toutes les autres enquêtes sur les ONG s’étaient clôturées par un archivage.
L’enquête ne concerne pas seulement Jugend Rettet, mais implique également deux organisations internationales bien connues telles que Médecins sans frontières (MSF) et Save the Children, et contient des allégations très dures de leur collusion potentielle avec des trafiquants d’êtres humains en Libye, ainsi que sur des hypothétiques arrière-pensées de nature promotionnelle et économique.
C’est également pour cette raison que les experts considèrent ce processus comme l’un des plus importants jamais organisés en Italie en matière de sauvetage en mer et fait craindre le pire au sein du progressisme bien-pensant. « Le procès consiste essentiellement à tenter de criminaliser la mobilisation de la société civile » dans le sauvetage des migrants, explique Allison West, une experte des droits de l’homme qui suit le procès pour le Centre européen des droits constitutionnels et humains (ECCHR).
En un mot, un juge devra décider si le sauvetage des personnes en Méditerranée de la manière suivie jusqu’à présent par les ONG impliquées est légitime, ou s’il est erroné et contraire à la loi italienne, comme l’ont affirmé ces dernières années divers partis politiques italiens.
« Dans les 653 pages du rapport final remis au parquet de Trapani par la police judiciaire, dans les milliers de pages d’écoutes téléphoniques de militants et de journalistes, et dans les documents présentés par les magistrats au juge d’instruction pour l’audience préliminaire, la thèse, qui se dégage est que les trois ONG sont coupables d’aide et d’encouragement à l’immigration clandestine, un crime qui punit quiconque « favorise, dirige, organise, finance ou effectue le transport d’étrangers sur le territoire de l’État ou accomplit d’autres actes visant à procurant illégalement leur entrée sur le territoire de l’État », au cas où ces personnes n’auraient pas le droit d’entrer » résume le quotidien italien qui joue dans la cour du mainstream, Il Post.
« Selon le parquet, continue Il Post, les ONG se sont secrètement entendues avec les trafiquants d’êtres humains en Libye et se sont mises d’accord sur une heure et un lieu à trouver pour récupérer les migrants partis des côtes libyennes à bord de leurs navires, sachant que les personnes en question n’avaient pas un permis régulier pour entrer en Italie.
Les 21 personnes impliquées font partie des équipages des navires préparés par Médecins Sans Frontières, Save the Children et Jugend Rettet actifs en Méditerranée entre l’été 2016 et l’été 2017, soit la période sur laquelle se concentre l’enquête : ce sont des personnes qui guidaient le navire ou organisaient la mission, ou qui étaient simplement à bord des navires au temps de certains épisodes jugés particulièrement suspects par le procureur. »
Dans le compte-rendu de cette phase préliminaire, il est indiqué qu’une source de Médecins sans frontières qui a préféré garder l’anonymat a déclaré au Post que n’importe lequel des nombreux employés de MSF impliqués dans l’opération de sauvetage aurait pu se retrouver parmi les accusés, car la méthode suivie pour ces opérations est restée essentiellement la même.
La peine maximale pour le délit d’aide à l’immigration clandestine serait de cinq ans, mais elle peut également être triplée à 15 ans pour d’autres irrégularités, comme le transport de plus de cinq personnes ou la mise en danger de leur santé. Selon les calculs des avocats de la défense de Jugend Rettet, les quatre personnes de l’association impliquées dans le procès encourent jusqu’à vingt ans de prison.
Certains des incidents présentés comme suspects par le procureur sont déjà connus car ces dernières années, ils avaient été divulgués dans les journaux par les personnes qui travaillaient à l’enquête. La plus célèbre concerne le retour présumé de certains bateaux utilisés pour transporter des migrants vers des trafiquants libyens. Il Post rapporte ainsi les faits :
« Dans le décret de saisie préventive du navire Iuventa de Jugend Rettet (PDF) émis par le parquet de Trapani le 2 août 2017 (saisie toujours en vigueur, après cinq ans), nous lisons que le 18 juin 2017 certains membres de l’équipage de la Iuventa a « relivré, après les avoir amarrés ensemble », trois bateaux « à des trafiquants libyens, dont l’un – celui marqué des lettres KK – a ensuite été réutilisé dans un autre phénomène migratoire le 26.6.2017 ». Les photos du prétendu retour de ce bateau ont été publiées par les principaux journaux italiens et sont toujours en ligne aujourd’hui. »
Concernant les accusations contre les deux autres fameuses ONG se retrouvant également sur le banc des accusés : Médecins sans frontières a plutôt été mis en cause pour trois opérations au cours desquelles l’organisation aurait conclu un accord avec des trafiquants libyens, alors que l’on ne sait pas quelles sont les accusations portées contre Save the Children (les documents d’enquête ne sont pas encore publics).
Le rapport final de la police judiciaire adresse de très lourdes accusations aux trois ONG : dans le document, publié en partie par le célèbre journal de la gauche-radicale chic italienne, La Repubblica, on lit que selon les officiers de police judiciaire les ONG « étaient mues dans leurs activités criminelles également par des aspects économiques », et que leur objectif, en plus de sauver des personnes en mer, était la « collecte et la gestion en Italie d’un nombre croissant de migrants, pour maintenir une grande visibilité médiatique et avoir plus de dons ».
Certaines références à la théorie, que certains nient, du soi-disant « facteur d’attraction » apparaissent dans les papiers du bureau du procureur. La théorie soutient que la simple présence de navires d’ONG en Méditerranée centrale encourage le départ des migrants des côtes libyennes.
Le procureur en chef de Trapani Gabriele Paci a déclaré au quotidien lui-aussi de la gauche radicale-chic mais britannique, The Guardian, que la thèse du parquet « ne remet pas en cause le travail que font ces organisations pour sauver les gens », mais qu’il se contente d’affirmer que dans certains cas il y a eu « des accords avec des trafiquants, tels que les ONG savaient quand et où « récupérer les migrants » :
« C’est quelque chose qui ne peut pas être fait. »
Lors d’une récente conférence de presse, l’un des avocats de la défense du Jugend Rettet, Nicola Canestrini, a rejeté toutes les accusations portées par le procureur de Trapani. La thèse de la défense, en somme, est que les ONG ne peuvent être accusées d’avoir transporté sur le territoire italien des personnes qui n’avaient pas le droit d’entrer parce qu’elles n’avaient aucun rôle dans l’organisation des départs : elles se sont limitées à stationner dans une bande de mer où elles savaient que les embarcations d’aspirants clandestins pouvaient avoir des problèmes.
Les avocats des personnes inculpées – qui sont différents, mais qui coordonnent leurs positions depuis un certain temps – soutiennent que les ONG avaient l’obligation de secourir ces personnes, citant diverses normes de droit international qui obligent tout bateau à secourir un autre qui se trouve en danger. L’article 98 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, entrée en vigueur en 1994, oblige, par exemple, à « procéder le plus rapidement possible au sauvetage des personnes en danger ».
Canestrini, un avocat qui défend Jugend Rettet, soutient que la nature du procès est « politique », et que son objectif est de concrétiser les accusations que divers partis politiques ont portées au fil des ans contre les ONG qui aident les personnes dans le Méditerranée, accusées d’alimenter le trafic d’êtres humains et traité à plusieurs reprises de « taxis de mer » ou de « vice-passeurs ».
Il faudra probablement quelques mois au juge de l’enquête préliminaire pour se prononcer sur l’affaire. Pour le moment, il n’y a aucune indication sur la décision qu’il peut prendre : s’il faut effectivement acquitter les personnes inculpées d’une peine de non-lieu à poursuivre, ou les renvoyer en jugement. Dans ce cas, le processus proprement dit commencerait, ce qui pourrait prendre de nombreuses années.
« Il est très difficile de comprendre ce qui va se passer », conclut Allison West, l’experte des droits de l’homme qui suit le procès pour le Centre européen des droits constitutionnels et humains :
« en Italie, des cas similaires comme l’enquête sur Carola Rackete ont été résolus dans la phase préliminaire du procès, mais dans ce cas compte tenu de l’ampleur de l’affaire et du montant des preuves apportées par le procureur » c’est-à-dire des éléments qui ressortent de l’enquête, étant donné que les preuves ne se forment qu’au cours du procès, « il n’est pas aisé de faire des pronostics ».
Procès à suivre donc puisqu’il pourrait donner un coup d’arrêt à ces ONG qui favorisent l’immigration clandestine et l’invasion du Vieux Continent.
Francesca de Villasmundo
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