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« Un jour je rendrai les honneurs au chardonneret perdu ».

Le comité de rédaction de MPI vous

propose une nouvelle rubrique intitulée « Notes de lecture ».

Vous pourrez y lire sous les plumes de différents rédacteurs des textes qui sont inspirants, interrogateurs ou provocateurs.

Si d’aventure certains de nos lecteurs veulent participer à cette plongée dans la belle culture française – et même étrangère – nous les invitons à se signaler à cette adresse : contact@medias-presse-info.com

Joseph de KENT vous propose aujourd’hui, en ouverture de cette nouvelle rubrique, une plongée dans la Vendée d’antan à travers de magnifiques pages empreintes de nostalgie et de fierté.

Depuis deux siècles, on ressasse le mot de Barère (1) : « inexplicable Vendée »,.. « le chancre qui dévore le cœur de la République ».

Cette violence verbale, cet acharnement trahissent une fascination renversée. « Inexplicable », cet. adjectif s’applique à un phénomène qu’on ne peut expliquer, qu’on ne comprend pas. Le mystère. La Vendée est un mystère qui appartient à l’ancien monde.

J’ai un souvenir encore vif et mâtiné de nostalgie des deux instants qui ont changé le cours de ma vie : le chant nuptial d’un chardonneret et la vision subite d’un cœur de rosés écarlates.

J’avais 11 ans. C’était en 1960. le cueillais, au fil des jours, sans le savoir, des fleurs de civilisation. Chaque matin, en ouvrant mes persiennes, j’entendais : «Allez, Verdun…..Douaumot.. » C’était le nom des bœufs de mon voisin qui était un rescapé de la Grande Guerre. J’ai appris très tôt à deviner, derrière la verve et les rudes manières des gens de terre, les enfouissements des tendresses françaises. La vie était un jaillissement de combinaisons inédites qui se répandait en nous comme une cascade d’eau vive et d’herbes folles. C’était une ivresse enfantine que d’aller écouter les sonorités natales des battements de cloches qui demeuraient, dans la nappe de la conscience, des battements de cœur. J’allais tailler des pipeaux dans le bois de sureau. A chaque aube, la nature dressait son festin. C’était un hymne à la Vendée pastorale, flamboyante, processionnelle, exubérante. J’écoutais, extatique, un chardonneret, qu’on appelait « le Mozart des cimes » : un répertoire éblouissant, avec des rafalements harmonieux. J’essayais – en vain – de lui donner la réplique avec un flûtiau de saule pleureur. Et voilà qu’un beau matin, en partant à l’école, c’est le trou noir. La fin d’un monde. Une brume d’apocalypse. Tout est souche en l’air. Le chardonneret a disparu. Les oiseaux ne chantent plus. Le chêne de Saint Louis, les cerisiers sauvages, les haies des mûriers, tout est décapité, rasé, dévasté.

J’aperçois un scraper là-bas, aux chenilles monstrueuses. Une marque américaine. Il écrapoutit tout ce qu’il touche. C’est lui qui fait le travail, commandé par des jeunes « exploitants », comme on dit aujourd’hui. Je m’approche du responsable agricole, au milieu des trognes de frênes et de mon tilleul-aux-druides, tout juste démembré ; je l’interpelle :

– Dis, Joël… Qu’est-ce qu’ils t’ont fait mes cerisiers, mon tilleul et le chêne de Saint Louis ? Et les oiseaux, les grenouilles de la mare aux têtards, mes grillons et mon petit sapin de Noël ? Pourquoi t’arraches tout ?
– C’est pour un plus, pour un mieux, pour produire plus, pour produire mieux…
– Et pour ça, il faut tuer mon chardonneret ?
– C’est un mal pour un bien…
– Ah bon… et quel… bien ?
– Les rendements…
– La terre qui saigne, qui rend son sang ?
– On va la traiter, lui donner du fortifiant. C’est le plan Mansholt… ça sera plus facile pour exploiter.
– « Exploiter » ? Exploiter qui ? Exploiter quoi ?
– Tu comprendras plus tard : c’est le remembrement, c’est le progrès.

Effectivement, je comprendrai plus tard : le «plan Mansholt», le hors-sol, les latifundia, l’Europe verte les terres livrées au productivisme agrochimique. La fin des abeilles. Un suicide dans la grange à foin par jour. L’holocauste paysan… Et nos cerises qui arrivent d Afrique du Sud, et notre lait qui vient d’Australie Le progrès, vous dis-je…

La cascade d’eau vive et d’herbes folles s’arrête de chanter. Le pacte nuptial de l’homme et de la terre est brisé C’est un traumatisme ; je me dis en moi-même : « Un jour je rendrai les honneurs au chardonneret perdu ».

Extrait du Mémoricide (2), pages 135 à 137, Philippe de Villiers.

A commander chez  : Médias Culture et Patrimoine (3)

Joseph de KENT

(1) Barère : parfois orthographié Barrère, également appelé Bertrand Barère de Vieuzac, né le 10 septembre 1755 à Tarbes et mort dans la même ville le 13 janvier 1841, est un homme politique et juriste français de la Révolution française. Chateaubriand le surnomme « le troubadour de la guillotine ».

(2) Philippe de Villiers : « Alors que j’achevais la rédaction de ce livre, la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques est venue raviver le feu de ma plume : la France est la victime d’un mémoricide. Une ablation de sa mémoire. Une spoliation, une péremption de ses souvenirs. L’Esprit français a été immolé. Toute ma vie, je me suis battu. Contre un progressisme en quête incessante des figures nouvelles de l’ insolite et du fantasque. Mais surtout pour renouer le fil avec la mémoire commune qui nous a façonnés, en chérissant les trésors d’un patrimoine envié par le monde entier, et pour rappeler le pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. Ce combat, je le mènerai jusqu’ à mon dernier souffle et je sais que d’autres le mèneront après moi. Même s’ils sont hélas destinés à devenir minoritaires, il restera toujours des réfractaires. Je voudrais leur dire de ne pas perdre espoir, c’est d’eux seuls que la France pourra renaître. »

(3) Avec une verve sans pareille et dans une plainte mêlée de nostalgie, Philippe de Villiers dresse un constat accablant de l’état de la France. Il évoque ses souvenirs d’enfance, de créateur du Puy du Fou et livre des confidences sur l’homme politique qu’il a été. Philippe de Villiers se refuse à abandonner toute espérance, et son amour de la France éternelle demeure plus vivant que jamais.

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