Les BRICS qui devaient bouleverser la hiérarchie économique connaissent un revers de fortune dû à des handicaps que l’on persiste à définir comme conjoncturels alors qu’ils sont structurels : le Brésil et l’Afrique du Sud pour des raisons de composition ethnique, la Russie pour des raisons de fragilité structurelle économique, mais moindre (économie industrielle en cours de modernisation) et l’Inde pour des raisons de transition économique d’un pays gigantesque.    

La situation de cette dernière avec le voisin et rival pakistanais s’est singulièrement compliquée ces derniers temps depuis l’attaque le 18 septembre de la caserne d’Uri, au Cachemire, qui a provoqué la mort de 19 soldats et des blessures à une vingtaine d’autres. La cible était la garnison du 4e bataillon de parachutistes rattaché à la 12e brigade et dépendant de la 19e division. Fortement soupçonnée, le groupe Jaish-e-Mohammad, officiellement interdit par le Pakistan en 2002, mais que New Dehli suspecte d’être un « faux nez » des services secrets pakistanais. Des incidents de frontières ont eu lieu fin septembre, notamment lorsque le 29, un soldat de 22 ans, Chandu Chavan, appartenant au 37e bataillon des Rashtriya Rifles, une unité contre-insurrectionnelle spécialement créée pour le Cachemire depuis 1990, a été capturé sur le territoire pakistanais par l’armée du régime d’Islamabad.

Les récentes décisions du gouvernement indien en matière d’économie monétaire ont plongées le pays dans la stupéfaction. Le 8 novembre, le gouvernement – par décision unilatérale du Premier Ministre Narendra Modi (qui n’en avait même pas informé la plupart de ses ministres) annonçait le retrait de la circulation des billets de 500 et 1000 roupies (équivalent de nos billets de 10 et 20 euros), soit 86 % des billets de banque en circulation (pour un total de 24 milliards de coupures) et 88 % de ceux émis, dans un pays ou 96 % des transactions se font en espèce, la moitié des habitants n’ont pas de compte en banque (les cartes de retraits n’autorisant par ailleurs qu’un retrait de 2.000 roupies) et le quart de papiers d’identité ! Cette décision se place dans la droite ligne de la suppression de l’argent liquide annoncée par Kenneth Rogoff dans son livre The Curse of cash, dont nous reparleront prochainement.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement retire des billets de la circulation. En 1978, les billets de 1.000, 5.000 et 10.0000 roupies avaient été supprimés, mais cela n’avait touché qu’une petite partie aisée de la population. Actuellement, il reste les billets de 1, 2, 5, 10, 20, 50, 100 et 2000 roupies, ainsi que les nouveaux billets de 500. Les pièces de monnaies sont de 5O paise, 1, 2, 5 et 10 roupies, la réforme monétaire de 1957 ayant remplacé le vieux système hérité de la colonisation britannique par un autre plus simple. Après avoir eu cours légal dans diverses colonies britanniques à fort peuplement indien jusqu’en 1949, puis dans les émirats du Golfe de 1959 à 1961 (Koweït), 1965 (Bahreïn) et 1966 (Oman et Trucial States – futurs Emirats Arabes Unis). Le Népal et le Bhoutan acceptent la roupie pour paiement, ainsi que le Zimbabwe depuis 2014.

Officiellement, bien sûr, ce n’est pas la monnaie indienne dans son intégralité qui est touchée. Mais les banques n’avaient évidemment assez d’autres coupures, notamment de 2000 roupies, pour faire face aux demandes de change, autorisées jusqu’au 30 décembre. Les billets ont même parfois été échangés contre des pièces de monnaie.  Le motif évoqué est de « briser l’emprise de la corruption et de l’argent noir », la part de l’économie parallèle en Inde étant estimée à 20 % du PIB, soit le poids économique de la Thaïlande ! Les distributeurs furent pris d’assaut, et furent même le théâtre de bagarres ayant déjà provoqué une cinquantaine de morts.  « C’est le chaos partout », a estimé le chef de l’exécutif de la ville de New Delhi, Arvind Kejrilwal, adversaire principal de Narendra Modi.

Ceci a entraîné une ruée sur l’or et sur le dollar, un phénomène qui n’est pas sans rappeler ce qui s’était passé en France en 1946 avec la suppression des billets de 5000 francs sous prétexte de lutter contre le marché noir (épisode très bien expliqué dans le roman de Marcel Aymé Uranus quand Monglat achète en masse des Picasso pour se débarrasser de ses billets). L’or connu ainsi une flambée locale, l’once se négocia en Inde à 2.800 $ contre 1.285,35 $ en cours officiel à Londres et le prix de l’or au détail grimpa de 20 % en quelques heures, les transactions portant sur 250 kilos d’or.

Quand on analyse le commerce indien de l’or sur les années 2015 et 2016, on remarque des tendances intéressantes. Depuis 2005, l’or a connu une accélération des cours, passant d’environ 18.000 roupies l’once à 81.500 roupies, avec des pointes à 100.000 roupies en 2013… L’inde importe environ 700 tonnes par an, ce qui est colossal et fait d’elle le premier demandeur mondial, commandant certaines années plus d’or que la Russie et la Chine réunies !

L’inquiétude est toujours de mise en Inde, car la politique coercitive va s’étendre à l’or et à l’argent.  Les rumeurs circulent en tout cas à ce sujet. Une interdiction éventuelle des importations d’or serait la nouvelle la plus capitale depuis la suppression de l’étalon-or en 1971 et ferait plonger les cours du métal précieux de 15 %. Qui sait par exemple que l’Inde, je parle du pays et non de la Banque centrale Indienne, détient le plus d’or au monde, plus que les Etats-Unis, plus que Fort Knox (quoi que Fort Knox… si on compte des lingots de tungstène peints en or). Les particuliers indiens et les temples détiennent entre 55 % et 90 % de l’équivalent en or de la totalité des banques centrales mondiales.  En tenant compte des chiffres les plus bas, le secteur privé indien possède 32 fois plus d’or que la Banque centrale indienne.

Dans un pays où le système bancaire est n’est plus embryonnaire mais à peine fœtal, le common people indien n’entasse pas bien entendu des liasses de roupies sous le matelas. Les plus pauvres n’ont pas de liasses de roupies. Pas de matelas non plus d’ailleurs. Comme cela s’est toujours fait partout, et encore il n’y a pas si longtemps dans nos campagnes, les économies sont placées dans l’or. Si en France, c’était le bon vieux Napoléon en pièces de 20 francs-or, l’Inde privilégie les bijoux (ce n’est pas pour rien que les gitans viennent de là-bas). Si tout l’argent des bijoux et celui des ornements des temples (biens du peuple, comme ceux des églises) était injectés dans le système économique mondial, cela représenterait 1.340 milliards $ !

Hristo XIEP

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