Omnipotens sempiterne Deus, qui Ninivitis, in cinere et cilicio pænitentibus, Indulgentiæ tuæ remedia præstitisti : concéder propitius; ut sic eos imitemur habitu, quatenus veniæ prosequamur obtentu. [Or. IV in benedictione Cinerum]

Il n’y a qu’une seule chose qui pousse le Seigneur à la compassion devant la multitude de nos péchés : la pénitence. Cette pénitence sincère que confirme dans l’attitude extérieure le vrai repentir pour les fautes commise, l’intention de ne plus les commettre, la volonté de les réparer et surtout la douleur d’avoir par elles offensé la divine Majesté.

In cinere et cilicio, avec de la cendre et le cilice, c’est-à-dire avec ce tissu hirsute et piquant de la Cilicie, tissé de poil de chèvre ou de crin de cheval, qui était utilisé comme vêtement par les soldats romains et qui représente la robe spirituelle et matérielle du pénitent.

La divine liturgie de ce jour était autrefois réservée aux pécheurs publics, auxquels une période de pénitence était imposée jusqu’au Jeudi Saint, pendant lequel l’évêque leur donnait l’absolution. Ecce ejicimini vos hodie a liminibus sanctæ matris Ecclesiæ propter peccata, et scelera vestra, sicut Adam primus homo ejectus est de paradiso propter transgressionem suam. Nous vous chassons de l’enceinte de la sainte mère Église à cause de vos péchés et de vos crimes, tout comme le premier homme Adam a été chassé du Paradis à cause de sa transgression. (Pont. Rom., De expulssione publice Pœnitentium). C’est ce que l’évêque ordonnait dans le rite émouvant décrit dans le Pontifical Romain, avant de les exhorter à ne pas désespérer de la miséricorde du Seigneur, en s’engageant par le jeûne, la prière, les pèlerinages, l’aumône et les autres œuvres bonnes pour obtenir les fruits d’une véritable pénitence. Après cet avertissement paternel et sévère, les pénitents agenouillés pieds nus sur le parvis se voyaient fermer les portes de la cathédrale, où l’évêque célébrait les divins Mystères. Quarante jours plus tard, le Jeudi Saint, ils retournaient devant ces portes avec les mêmes robes pénitentielles, à genoux, tenant une bougie éteinte dans la main. State in silentio : audientes audite, leur intimait l’Archidiacre. Et il continuerait, s’adressant à l’évêque au nom des pénitents publics, rappelant leurs œuvres de réparation. Lavant aquæ, lavant lachrimæ. Puis, trois fois, l’évêque entonnait l’antienne Venite et les accueillait dans l’église, où ils se jetaient émus à ses pieds, prostrati et flentes. À ce moment, l’Archidiacre aurait dit : Restaurez en eux, Pontife apostolique, ce que les séductions du diable ont corrompu ; par le mérite de vos prières et par la grâce de la réconciliation, rendez ces hommes proches de Dieu, afin que ceux qui avaient honte de leurs péchés se réjouissent maintenant de plaire au Seigneur sur la terre des vivants, après avoir vaincu l’auteur de leur propre ruine (Pont. Rom., De reconciliatione Pœnitentium).

J’ai voulu m’arrêter sur ce rite très ancien – et que je vous exhorte à lire et à méditer pour votre édification – afin de vous faire comprendre que la juste sévérité de l’Église n’est jamais séparée de sa miséricorde maternelle, à l’exemple du Seigneur.

Si l’Église niait qu’il y a des fautes à expier, elle manquerait à la justice ; si Elle trompait les pécheurs en leur disant qu’ils peuvent mériter le pardon sans se repentir sincèrement, Elle offenserait la miséricorde de Dieu et manquerait de charité. Au contraire, Elle ne cesse de nous rappeler que nous sommes enfants de la colère, à cause du péché d’Adam, de nos péchés, de ceux de nos frères et sœurs et des péchés publics des nations – aujourd’hui exécrables. La Sainte Église nous rappelle la pénitence d’Adam et Ève, la rédemption commencée dans ce même paradis avec la malédiction du Serpent et la proclamation du protévangile : Je mettrai une inimitié entre vous et la Femme, entre votre postérité et Sa postérité : Elle vous écrasera la tête, et vous menacerez son talon (Gn 3, 15). La Sainte Église nous montre les nombreuses occasions où, sous l’Ancienne Loi, nos pères ont péché à nouveau, et ont de nouveau obtenu la miséricorde de Dieu grâce à la pénitence : l’exemple des habitants de Ninive est également rappelé dans les prières et les textes de la bénédiction des Saintes Cendres. Elle nous montre – en particulier dans la liturgie du Carême, de la Semaine de la Passion et de la Semaine Sainte – l’obéissance du Fils de Dieu à la volonté du Père, pour réaliser l’œuvre admirable de la Rédemption accomplie sur le bois de la Croix. Elle nous propose l’exemple des Saints pénitents, Elle nous indique la nécessité de la repentance et de la conversion, Elle nous instruit avec l’admirable pédagogie des rites sacrés à comprendre la gravité du péché, l’énormité de l’offense contre la divine Majesté, l’infinité des mérites du Sacrifice de Notre-Seigneur qu’Elle renouvelle sur nos autels.

Cette porte qui avance lentement et lourdement sur les gonds pour se fermer aux pénitents, les laissant loin de l’autel, n’est pas sourde cruauté, mais sévérité souffrante d’une mère qui ne cesse de prier pour eux, qui les attend, confiante de les voir repentants et conscients du Bien suprême dont leurs fautes les ont privés. Pour la même raison, de la Semaine de la Passion jusqu’à la Veillée pascale, les croix et les images sacrées dans les églises sont voilées, pour nous rappeler notre indignité de pécheurs et le silence de Dieu, un silence que Notre-Seigneur a également expérimenté dans le jardin de Gethsémané et sur la Croix, et que les mystiques ont pareillement expérimenté dans les tourments spirituels de la Nuit obscure.

Où est passé tout cela ? Pourquoi, au moment même où le monde avait le plus besoin d’être rappelé à la fidélité au Christ, la liturgie de l’Église a-t-elle été dépouillée de ses symboles les plus pédagogiquement efficaces ? Pourquoi le rite d’expulsion des pénitents publics a-t-il été aboli, et avec lui celui de leur réconciliation ? Et encore : pourquoi les Pasteurs ne nous parlent-ils plus du péché originel, du chemin de Croix, de la nécessité de la pénitence ? Pourquoi la justice divine est-elle réduite au silence ou niée, alors que la miséricorde de Dieu est déformée et annulée, comme si nous y avions droit sans contrition ? Pourquoi entendons-nous que l’Absolution ne doit être refusée à personne, alors que le repentir – comme l’enseigne le Concile de Trente – constitue la matière inséparable du Sacrement, avec la confession de ses péchés et la satisfaction de la pénitence ? Pourquoi a-t-on banni la méditation de la Mort, l’inéluctabilité du Jugement, la réalité de l’Enfer pour les damnés et du Ciel pour les élus ?

Parce qu’un orgueil luciférien a porté à construire une idole à la place du vrai Dieu.

Quoi de plus réconfortant que de savoir que nos innombrables infidélités, même les plus graves, peuvent être pardonnées si seulement nous nous reconnaissons humblement coupables et ayant besoin de la miséricorde de Dieu, qui a donné son Fils unique pour nous sauver et nous rendre bienheureux pour l’éternité ?

C’est le Mysterium iniquitatis, fils bien-aimés. Le mystère de l’iniquité, de comment celle-ci est permise par Dieu pour nous tempérer et nous rendre dignes de la récompense éternelle ; de comment elle paraît triompher dans son obscène arrogance, tandis que le Bien œuvre discrètement et sans bruit ; de la façon dont elle parvient à séduire les hommes avec de fausses promesses, en leur faisant oublier l’horreur du péché, la monstruosité d’être rendus responsables de toutes les souffrances subies par le Sauveur, de chaque crachat, de chaque gifle, de chaque coup de fouet, de chaque blessure, de chaque épine, de chaque goutte de son très précieux Sang, de chacune de Ses larme et de toute la douleur spirituelle causée à l’Homme-Dieu par notre ingratitude. Responsables de toutes les souffrances de Sa Très Sainte Mère, dont le Cœur Immaculé est transpercé d’épées tranchantes, L’unissant à la Passion de Son divin Fils.

Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! annonce le prophète Jonas (3, 2). Les Ninivites crurent en Dieu, proclamèrent un jeûne et se revêtirent d’un sac, tous, du plus grand au plus petit. La chose étant parvenue au roi de Ninive, il se leva de son trône, ôta son manteau, se couvrit d’un sac et s’assît sur la cendre. Et on cria dans Ninive et on dit, par décret du roi et de ses grands, ces paroles : « Que ni hommes ni bêtes, bœufs et brebis, ne mangent rien, ne paissent point et ne boivent point d’eau ; qu’ils se couvrent de sacs, hommes et bêtes, qu’ils crient à Dieu avec force, et qu’ils se détournent chacun de sa mauvaise voie et des actions de violence que commettent ses mains ! Qui sait si Dieu ne viendra pas à se repentir, et s’il ne reviendra pas de l’ardeur de sa colère, en sorte que nous ne périssions point ?» (Jonas 3,5-9).

Encore quarante jours : cet avertissement vaut aussi pour nous, peut-être même plus qu’il ne valait pour les Ninivites. Cela vaut pour ce monde corrompu et rebelle, qui a ôté la couronne royale au Christ pour faire régner Satan, homicide depuis le commencement. Cela s’applique aux nations autrefois catholiques, où l’horreur de l’avortement, de l’euthanasie, de la manipulation génétique, de la perversion des mœurs crie vengeance au Ciel. Cet avertissement s’applique à l’Église, infestée de faux pasteurs et de mercenaires, devenus serviteurs et complices du Prince de ce monde, et qui considèrent les fidèles qui leur sont confiés comme des ennemis. Il s’applique à chacun de nous qui, face à cette subversion universelle, croyons pouvoir échapper au combat en cherchant refuge dans la perspective confortable de l’intervention miraculeuse de Dieu, ou en prétendant pouvoir vivre avec nos ennemis, en acceptant leur chantage tant qu’ils nous laissent nos petits espaces pour célébrer la Messe tridentine.

Encore quarante jours : c’est le temps qui nous sépare du redouté document « pontifical » par lequel l’autorité de Pierre, instituée pour préserver l’unité de la Foi dans le lien de la Charité, sera à nouveau utilisée pour accuser de schisme ceux qui ne veulent pas se plier à de nouvelles restrictions illicites de ce qui a été pendant deux mille ans le trésor le plus précieux de l’Église et le rempart le plus terrible contre les hérétiques : le Saint Sacrifice de la Messe ; et celui qui déchire la tunique sans couture du Christ en répandant hérésies et scandales cherche à bannir de l’enceinte sacrée ceux qui restent fidèles au Seigneur.

Encore quarante jours : c’est le temps propice où chacun de nous, dans le secret de sa chambre, pourra prier, jeûner, faire pénitence, faire l’aumône et accomplir de bonnes œuvres pour expier ses péchés, réparer les péchés publics des nations, implorer la divine Majesté de ne pas abandonner son héritage, la Sainte Église, à l’opprobre d’être dominée par les nations (Jl 2, 12).

Avec ces dispositions, fils bien-aimés, il ne sera pas nécessaire de vous rappeler la loi de l’abstinence et du jeûne, car vous saurez accumuler ces trésors spirituels qu’aucune force terrestre ne peut vous enlever, et qui seront la meilleure préparation pour la célébration de Pâques qui nous attend à la fin du chemin de Carême.

In cinere et cilicio : que la cendre soit un signe de la vanité du monde, du caractère illusoire de ses promesses, de l’inexorabilité de la mort temporelle ; que le cilice piquant que les soldats utilisaient pour leurs vêtements nous pousse au bon combat, comme nous y exhorte la prière finale de la Bénédiction des Cendres : Concede nobis, Domine, præsidia militiæ christianæ sanctis inchoare jejuniis : ut contra spiritales nequitias pugnaturi, continentiæ muniamur auxiliis.

Accorde-nous, Seigneur, de commencer par les saints jeûnes les défenses de la milice chrétienne, afin que nous puissions être équipés de la protection de la continence, ayant à lutter contre des ennemis spirituels.

Qu’il en soit ainsi.

+ Carlo Maria Viganò, Archevêque

22 février MMXXIII, Feria IV Cinerum

© Traduction de F. de Villasmundo pour MPI relue et corrigée par Mgr Viganò

La vidéo de cette homélie en italien :

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