Et non dabo vos ultra obprobrium in gentibus
[et je ne vous exposerai plus à l’insulte parmi les nations.]
HOMÉLIE du mercredi des Cendres, in capite jejunii
Immutemur habitu, in cinere et cilicio : jejunemus, et ploremus ante Dominum : Quia multum misericors est dimittere peccata nostra Deus noster. [Jl 2, 13]
Changeons de conduite, sous la cendre et le cilice : jeûnons et pleurons devant le Seigneur : car notre Dieu est abondant en miséricorde pour remettre nos péchés. [Jl 2, 13]
Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris. Nous avons entendu ces paroles prononcées quelques instants auparavant, lors du rite de l’imposition des cendres : Souviens-toi, homme, que tu es poussière, et que tu retourneras à la poussière. Alors que nous nous préparons à entrer dans le temps sacré pénitentiel du Carême, en préparation du temps de la Passion et de la très sainte Pâques, il est certainement salutaire de nous rappeler d’où nous venons et ce qui nous attend.
Nous venons de la poussière, avec laquelle le Créateur a daigné façonner nos corps pour y infuser une âme immortelle, nous faisant à Son image et ressemblance. Destinés à la béatitude éternelle, nous sommes retournés avec le péché à la poussière de l’exil. Condamnés à la perte de l’immortalité, nous avons mêlé la sueur de notre front à la poussière de la tourbe. Appelés en Abraham à la terre promise, nous avons traversé le désert dans la poussière. Dans la poussière le Précurseur a prêché ; dans la poussière des rochers, le Seigneur a été tenté par Satan. Nos innombrables péchés ont humilié Notre Sauveur Jésus-Christ dans la poussière du Golgotha. Notre corps mortel se dissoudra dans la poussière après l’ensevelissement, en attendant la résurrection de la chair à la fin des temps. Le monde sera réduit en poussière, quand le Juge éternel viendra judicare sæculum per ignem. Poussière sont les monuments anciens, poussière les textes des sages, poussière les trésors recueillis, poussière les étoffes précieuses.
Et pour notre consolation, les demeures des méchants tomberont en poussière, et leurs biens, leur argent et leurs idoles seront réduits en poussière. Car, comme l’herbe, ils seront vite coupés ; comme la verdure du gazon, ils se dessècheront. (Ps 36, 2) ; car les méchants seront retranchés, mais ceux qui espèrent dans le Seigneur posséderont le pays. Encore un peu de temps, et le méchant n’est plus ; tu regardes sa place, et il a disparu (ibid. 9-10). Leurs plans infernaux, leurs plans de domination, leur Agenda et leur grande réinitialisation disparaîtront dans la poussière. Eux aussi mourront, tandis que leur rêve d’immortalité et leur défi ouvert au Christ s’écraseront devant cette peine capitale à laquelle aucun enfant d’Adam ne peut échapper. Le tombeau s’ouvrira aussi pour eux, et avec lui le Jugement particulier et la juste condamnation.
Dans ce destin de poussière qui attend inexorablement tout le monde, nous devons porter gravé dans nos esprits cette Croix que nous aurons pendant quelques heures marquées sur nos fronts avec la cendre, causa proferendæ humilitatis (Bened. Cinerum, 2a Oratio) ; parce que la Croix seule est notre seule espérance – spes unica – dans la dissolution des choses éphémères. Stat Crux dum volvitur orbis. Mais pour aimer la Croix, pour comprendre son inéluctabilité et sa nécessité, si nous voulons être sauvés, il est nécessaire de comprendre – dans les limites de notre fragilité humaine – quel ineffable miracle de Charité a poussé la Très Sainte Trinité – le Dieu Suprême, Un et Trine – à décréter que le Verbe éternel du Père devait s’incarner, souffrir et mourir pour racheter l’humanité pécheresse en Adam. Deus caritas est (I Jn 4, 8). Le miracle de la Charité divine qui brûle les péchés des hommes dans les flammes de l’amour très pur du Fils immolé et répare leur offense infinie en sacrifiant Dieu à Dieu, en sacrifiant le Fils pour les péchés du serviteur, et en venant Se rendre vraiment présent dans le Très Auguste Sacrement de l’Autel jusqu’à la fin des temps afin que la créature soit nourrie par le Créateur, afin que l’esclave se nourrisse de son Libérateur. Caritas ejus in nobis consummata est (ibid., n. 12)
La magnificence de Dieu resplendit dans l’œuvre créatrice du Père, qui tire l’être du néant ; dans l’œuvre rédemptrice du Fils, qui rétablit sur la Croix l’ordre divin brisé par le péché ; dans l’œuvre sanctifiante de l’Esprit Saint, qui répand dans les âmes les mérites infinis de la Rédemption par la Grâce. Et dans cette splendeur divine, chaque créature est créée d’une manière unique et irremplaçable : il n’y a pas de nervure d’une feuille qui soit identique à une autre, et aucun homme n’est identique à un autre. De même, chaque âme est rachetée d’une manière tout aussi unique, et d’une manière unique est touchée par la Grâce. La Très Sainte Trinité – précisément parce que Dieu Tout-Puissant – a une relation personnelle avec chaque âme, à partir du moment où elle est pensée, voulue et aimée. Le Père ne crée pas en série. Le Fils ne rachète pas des masses indistinctes. Le Paraclet ne sanctifie pas par hasard. Il s’agit toujours d’une relation personnelle, individuelle, unique par les mille manières que le Seigneur choisit pour nous accompagner, nous avertir, nous encourager, nous récompenser ou – Dieu nous en préserve ! – nous punir. Chacun de nous sait bien combien d’infidélités nous avons à nous reprocher, et combien de fois la miséricorde de Dieu nous a tirés de stercore [du fumier] et nous a aidés à progresser dans son amour.
Mais de même que l’action créatrice, rédemptrice et sanctifiante de la Très Sainte Trinité se manifeste d’une manière différente et unique pour chacun de nous, de même notre relation avec Dieu – qui n’exclut évidemment pas la médiation de l’Église – est unique et personnelle pour répondre et correspondre à la volonté du Seigneur. Cela signifie que les bonnes actions que nous accomplissons, les sacrifices que nous acceptons, les pénitences et les jeûnes que nous faisons, les prières que nous récitons s’élèvent devant la Majesté divine avec notre nom écrit dessus, pour ainsi dire. Dirigatur, Domine, oratio mea sicut incensum in conspectu tuo ; elevatio manuum mearum sacrificium vespertinum (Ps 140, 2). Et ce nom, connu seulement de l’omniscience de Dieu, y demeure même lorsque ces bonnes œuvres sont placées, avec les mérites infinis de Notre-Seigneur et ceux de tous les Saints, dans le Trésor des Grâces auquel la Providence puise. C’est une grande consolation, car cela rend chacun de nous vraiment unique dans le dessein de Dieu. Mais pour la même raison, nos fautes, nos péchés, sont aussi individuels et uniques : « Devine, ô Christ : qui t’a frappé ? » (Mt 6, 8). Chacun de nos péchés – méditons-le souvent, surtout en ce Carême – est un crachat au visage du Christ, un coup de roseau qui plonge les épines de la couronne dans Sa tête. Chacun de nos péchés est une gifle qui meurtrit Sa chair, une flagellation qui la déchire, un coup de marteau dans la paume de Ses mains, une blessure de lance dans Son côté. Et ces coups, ces gifles, ces crachats portent notre nom. De même que les flèches acérées avec lesquelles nous transperçons le Cœur Immaculé de Sa Très Sainte Mère, mystiquement unie à la Passion de son Fils, portent notre nom.
Mais si les événements actuels et l’attaque infernale de l’Ennemi nous voient engagés dans une guerre épuisante qui nous distrait trop souvent de la prière, du recueillement et de la pénitence, en ce temps sacré du Carême, nous sommes appelés à exercer l’esprit – comme dans un entraînement de l’âme – pour la fortifier dans l’amour de Dieu, dans l’union avec sa Passion et dans la fuite du péché.
Ainsi, de même qu’un soldat s’engage dans les disciplines dans lesquelles il se retrouvera plus tard à combattre, de même les fidèles, qui sont des soldats du Christ, ne peuvent pas affronter efficacement le choc spirituel sans s’être d’abord entraînés à la lutte contre le monde, la chair et le diable. La prière placée à la fin de l’imposition des cendres utilise une terminologie clairement militaire : Concede nobis, Domine, præsidia militiæ christianæ sanctis inchoare jejuniis : ut, contra spiritales nequitias pugnaturi, continentiæ muniamur auxilio. Et si, dans la bataille quotidienne, nous devons prendre parti principalement contre des ennemis extérieurs, pendant le Carême, notre premier ennemi est nous-mêmes, à commencer par notre défaut dominant : parce que les armes que le Seigneur met à notre disposition doivent nous trouver capables de les manier, alors que trop souvent nous croyons que nous pouvons descendre sur le champ de bataille avec nos propres forces.
Immutemur habitu, in cinere et cilicio. Changeons de comportement, changeons de conduite dans la cendre et avec le cilice, c’est-à-dire en gardant fermement en place notre destinée éternelle, et avec elle la fugacité des choses de ce monde. Changeons la perspective à partir de laquelle nous observons les événements, en considérant que toutes nos actions, bonnes et mauvaises, ne restent pas sans nom, ni sans récompense ni punition. Nous ne pouvons pas prendre la société, la Hiérarchie, les dirigeants, les subversifs du Nouvel Ordre Mondial, les traîtres, les méchants, les tièdes, comme prétexte à notre paresse en essayant de justifier notre conduite ou d’échapper aux cendres et au cilice, c’est-à-dire à l’esprit de pénitence et de renoncement aux choses de ce monde qui est le seul terrain d’entraînement à l’humilité et à la sainteté. Non declines cor meum in verba malitiæ, ad excusandas excusationes in peccatis (Ps 140, 4). Parce que le Jugement de Dieu est personnel, et que le mérite de nos actions est individuel : que les iniquités d’autrui soient donc une aiguillon pour remédier, réparer, expier et non un alibi derrière lequel nous cacher. Emendemus in melius : réparons par nos progrès dans le bien les fautes dont nous nous sommes rendus coupables par ignorance, de crainte que, surpris soudainement le jour de la mort, nous ne cherchions le temps de faire pénitence et ne puissions le trouver (Impositio Cinerum, Responsorium).
Tournons-nous vers la Sainte Vierge, choisie par la Très Sainte Trinité pour être le tabernacle vivant du Dieu incarné : son Fiat béni – personnel et formulé dans le silence de l’intériorité – a rendu possible notre Rédemption. Qu’il soit chaque jour – et surtout en ce temps propice de jeûne et de pénitence – le modèle d’obéissance à la volonté du Seigneur. Ainsi soit-il.
14 février 2024, Feria IV Cinerum
© Traduction de F. de Villasmundo pour MPI relue et corrigée par Mgr Viganò
Fabien Laurent
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