Bernard Lugan est bien connu de nos lecteurs. Cet africaniste de renom, ancien professeur à l’Ecole de Guerre et à l’ESM de Saint-Cyr Coëtquidan, dirige la revue L’Afrique réelle et est l’auteur de nombreux livres, essentiellement consacrés au continent africain. Il vient de publier aux éditions du Rocher une Histoire du Sahel, des origines à nos jours.
Lorsque l’on entend aujourd’hui parler du Sahel, cela nous renvoie aux guerres islamo-mafieuses qui s’y déroulent depuis les années 2000. En guerre depuis les indépendances (conflits du Tchad, du Soudan, guerres touareg du Mali et du Niger), l’espace sahélien s’est de nouveau embrasé à partir des années 2010, quand, au Mali, au Niger, au Burkina Faso, au Nigeria, au Tchad et au Cameroun, l’islamisme s’est opportunément greffé sur un conflit latent nord-sud, résurgence des anciennes oppositions ethniques régionales avec, en arrière-plan, la tension entre agriculteurs et pasteurs.
En 2012, après les guerres des années 1963-2009, à la permanence de l’irrédentisme touareg, donnée régionale de longue durée, s’est greffé l’islamo-djihadisme qui a changé la nature d’un conflit aux causes originellement identitaires. Cette guerre a ensuite débordé de l’Azawad au Macina pour s’étendre au Niger et au Burkina Faso, à travers une ethnicisation opposant certains Peul, suspectés de constituer le vivier des djihadistes, aux Dogon, aux Mossi, aux Djerma et aux autres peuples sédentaires de la région.
Dans le Mali central et dans le nord du Burkina Faso, les actuels massacres ethniques découlent ainsi d’abord de conflits datant de la fin du XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe siècle, quand la région fut conquise par des éleveurs peul dont l’impérialisme s’abritait derrière la paravent du djihad.
Si l’ouvrage de Bernard Lugan est donc indispensable pour comprendre la complexité géopolitique de la région, s’est aussi parce qu’il remonte aux sources de l’histoire des peuples du Sahel, en y ajoutant les éléments géographiques nécessaires à la bonne compréhension des faits.
Car le Sahel est, selon l’expression de Lugan, le domaine du temps long dans lequel l’affirmation d’une constante islamique radicale est périodiquement le paravent des intérêts ethniques, économiques et politiques. Ainsi, au XIe siècle, derrière ses grandes proclamations de foi purificatrice, le djihad des Berbères Almoravides visait également l’or du Ghana au sud et les riches cités marchandes marocaines au nord. Au XVIIIe siècle, les djihad des Peul furent d’abord des entreprises de destruction des chefferies sédentaires auxquelles ces pasteurs étaient alors soumis. Au XIXe siècle, le mahdisme soudanais et son appel à la guerre sainte masquaient une volonté de contrer l’impérialisme égyptien qui faisait courir un danger mortel au commerce esclavagiste régional. La parenthèse coloniale dura moins d’un siècle, ouverte dans les années 1890 et refermée dans la décennie 1950, avec pour conséquence que les entités nordistes qui résistèrent à la colonisation furent militairement défaites au profit des populations qu’elles dominaient. La décolonisation qui suivit acheva de perturber en profondeur les équilibres politiques régionaux car les délimitations administratives coloniales devinrent des frontières d’Etats à l’intérieur desquelles, comme ils étaient les plus nombreux, les sudistes l’emportèrent politiquement sur les nordistes, selon les lois immuables de l’ethno-mathématique électorale. La conséquence de cette situation fut que, dans tout le Sahel, notamment au Mali, au Niger et au Tchad, les Touareg et les Toubou qui refusaient d’être soumis à leurs anciens tributaires sudistes se soulevèrent. Alors que dans le sud du Soudan, ce furent les anciennes victimes sudistes qui refusèrent la soumission à leurs anciens bourreaux esclavagistes nordistes.
Histoire du Sahel, Bernard Lugan, éditions du Rocher, 222 pages, 20,90 euros
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