Le quotidien Le Parisien donne la parole à trois gilets jaunes grièvement blessés et montre leur visage mutilé. Une réponse au ministre de l’Intérieur Christophe Castaner qui, en dépit de la réalité, niait il y a quelques jours l’existence de blessés !

« Une centaine de personnes auraient été gravement blessées en marge du mouvement des Gilets jaunes. Témoignages.

Manifestants éborgnés, mâchoires fracassées, mains arrachées… Près d’une centaine de Gilets jaunes ont été grièvement blessés depuis le début du mouvement, le 17 novembre, selon le collectif militant « Désarmons-les » et le journaliste indépendant David Dufresne.

Régulièrement en cause dans les cas de mutilations, les grenades lacrymogènes et assourdissantes GLI-F4, mais aussi les lanceurs de balles de défense (LBD). Jeudi, le Défenseur des droits Jacques Toubon a demandé la suspension du recours par les forces de l’ordre à ces armes non létales. Le Parisien a recueilli les témoignages de trois blessés, qui nous racontent comment leur vie a basculé, du jour au lendemain.

Gabriel, 21 ans, a eu la main arrachée par une grenade GLI-F4 à Paris

Gabriel, 21 ans, qui vit dans la Sarthe, manifestait en famille, ce samedi 24 novembre avenue Franklin-Roosevelt à Paris, lorsqu’il a eu une grosse partie de la main droite arrachée par une grenade GLI-F4 sous les yeux de ses proches. « Sa main était en charpie », décrit Dominique, la mère de Gabriel. « Les os étaient apparents, comme si la chair avait été soufflée. Il ne lui restait que trois doigts qui pendaient ».

Gabriel a également reçu des débris de plastique et d’acier dans la jambe droite et dans la tête, dont un entre les deux yeux. Il a subi douze opérations, dont six à la main, une greffe de peau, et risque toujours l’amputation, en raison de multiples infections. « Il n’en a pas terminé avec le bloc opératoire. Sa main n’est toujours pas stabilisée », résume Dominique.

Gabriel est si traumatisé qu’il est encore « incapable de parler de sa blessure », nous confie Florent, son grand frère. « Il est parvenu à regarder sa main pour la première fois il y a deux semaines, sous les yeux de mon père. Mais il ne s’en souvient pas », souffle le trentenaire.

Avant sa mutilation, Gabriel était apprenti chaudronnier au sein des Compagnons du devoir. Mais il va devoir renoncer à son « métier passion ». « Les gestes doivent être très précis, c’est foutu pour lui », se désole son frère. « Il a été stoppé dans son envol ».

Antoine Coste, 26 ans, a été éborgné par un tir LBD le 8 décembre à Paris

Ce graphiste indépendant assure qu’il ne participait pas à la manifestation ce samedi 8 décembre, vers 18h, mais rentrait simplement chez lui à pied, à deux pas de la place de la République. « J’ai une vie plutôt tranquille », prévient-il d’emblée. Alors qu’il emprunte le boulevard Saint-Martin, « je vois un mouvement de foule vers la place de la République. Je tourne la tête pour regarder et c’est à ce moment-là que je sens le choc, puissant, en pleine tête », nous raconte-t-il.

« Je n’ai pas vraiment réalisé, j’ai d’abord cru que j’avais une bosse », explique le jeune homme de 26 ans. « C’est quand j’ai vu la tête des gens qui me regardaient, choqués, que j’ai compris que c’était grave. Et il y avait tout ce sang… » Son œil a été « fendu en deux, à l’horizontale » et le plancher de l’orbite, fracturé. Vraisemblablement par un tir de LBD.

Mercredi, le verdict est tombé. « Le médecin m’a confirmé que je ne retrouverai pas la vue, mais que j’allais garder mon œil, ce qui me permettra d’éviter la prothèse », lâche Antoine. Une calamité pour ce street artiste. Car en plus de ses activités de graphiste, Antoine dessine tout le temps, sa « passion depuis l’enfance ». Il peint à la bombe, sur feuille, toile et mur. Et personnalise des sneakers et sacs à main au Bon Marché.

« J’ai moins les sensations de relief et de distance », nous explique-t-il. « J’espère que mon cerveau va s’adapter ». Cette semaine, il a enfin pu reprendre le travail. « Je m’estime heureux », relativise cet optimiste « de nature ». « A quelques centimètres près, j’aurais pu prendre le projectile dans la tempe et devenir un légume ».

Fiorina, 20 ans, éborgnée par une grenade GMD ou GLI-F4 à Paris

Elle étudie la philosophie, lui, les sciences politiques. Le couple avait fait le voyage depuis Amiens, où ils partagent un petit studio, pour venir manifester à Paris, ce samedi 8 décembre. Vers 14h, Jacob tient Fiorina par le bras, lorsque sa compagne s’écroule au sol, au pied de l’ambassade du Qatar, au rond-point des Champs-Elysées. « Le choc a été si violent que j’ai senti des décharges électriques dans tout le corps », se rappelle Fiorina. Lui en est certain : elle aurait « pris un tir tendu de grenade lacrymogène en pleine face ».

Fiorina a définitivement perdu la vue à gauche. Son œil, lui ont expliqué les médecins, pourra « peut-être » être sauvé, ce qui lui permettrait d’éviter le port d’une prothèse. Elle a eu la « pommette explosée », de « multiples fractures du visage » et « plusieurs saignements au niveau du cerveau », qui lui ont valu des scanners quotidiens les sept premiers jours. Aujourd’hui, Fiorina se sent toujours en état de « sidération ». « Je n’ai même pas pleuré. Mon psy me dit que c’est normal », confie-t-elle.

« On a toujours été pro police », prévient Jacob. « Fiorina n’en veut pas spécialement aux forces de l’ordre, elle sait qu’il y a des individus qui dérapent ». Mais aujourd’hui, elle a « des réactions traumatiques ». En tombant sur une vingtaine de policiers en opération à l’hôpital Cochin, lorsqu’elle y était encore soignée, « elle a eu très peur, elle s’est vue à la manifestation ».

Vivant avec 500 euros par mois à deux – Fiorina est boursière – le couple était venu manifester contre « la baisse des APL », les « retraites misérables » ou encore « le pacte de Marrakech », explique Jacob. Le militant identitaire Damien Rieu a lancé une cagnotte Leetchi pour Fiorina. Montant du chèque, que le directeur de la communication de la ville de Beaucaire est venu lui remettre sur son lit d’hôpital : 50 000 euros. Mais le couple s’est toujours défendu d’appartenir à cette mouvance de la droite radicale. »

Francesca de Villasmundo

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