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Fukushima, la mal-nommée île du bonheur

Dessin d’époque relatif au tsunami de 1896

Le tsunami du 11 mars 2011 

Rappelons le déroulement des faits. Le 11 mars 2011, en début d’après-midi, un tremblement de terre exceptionnellement puissant se produit au nord-est du Japon. Dans la foulée, un tsunami haut de 9 mètres à l’épicentre commence sa course folle et dévastatrice vers les côtes est du Japon. Pour faire simple, on peut décrire un tsunami comme étant non pas seulement une vague en surface de la mer, mais plutôt comme une énorme masse d’eau en surépaisseur, résultant des modifications instantanées des fonds marins. Cette masse d’eau, qui coulisse en surépaisseur au dessus du niveau normal de la mer, a évidemment un potentiel de dévastation considérable, comme si un gigantesque bélier, un mur d’eau, venait percuter et défoncer le rivage, sur plusieurs mètres de haut et des kilomètres de large.

De nombreuses vidéos sur internet témoignent de la dévastation terrifiante et des milliers de victimes, évaluées à quelque 28 000, que le tsunami a laissées sur son passage. Plusieurs centaines de kilomètres de côtes ont été ravagées et décapées, ne laissant que des amas de débris et de gravas.

Accident nucléaire majeur

Comme si un malheur n’arrivait pas seul, ce tsunami a également provoqué un accident majeur dans une centrale nucléaire à Fukushima. Par une sorte d’humour noir, Fukushima veut dire île (shima) du bonheur (fuku), un nom bien mal choisi pour une catastrophe majeure.

La centrale Fukushima Daiichi sous les eaux

Malgré le déni et l’opacité des autorités japonaises, il apparut rapidement que cet accident était très grave et se comparait à celui de Tchernobyl, survenu le 26 avril 1986. C’est le point de vue de l’ASN (autorité de sûreté nucléaire) française, pratiquement dès le début. Dans les jours qui suivent la submersion partielle, la centrale connaît plusieurs explosions qui achèvent de transformer un fleuron industriel en ruine fumante, et aussi suintante, car le danger vient aussi des tonnes d’eau radioactive qui se déversent dans la mer, depuis l’accident et encore aujourd’hui. Il fallut un mois et un jour, le 12 avril 2011, pour que le gouvernement japonais admette que l’accident en était bien un : niveau de gravité 7, le maximum sur l’échelle de l’industrie nucléaire, un triste record que Fukushima partage avec Tchernobyl.

Malgré un discours lénifiant, à base de langue de bois souple dure molle, visant à dire que Fukushima est moins grave que Tchernobyl, mon humble avis est que la situation est beaucoup plus grave, car on ne voit toujours pas comment maîtriser la situation à Fukushima, alors que le problème fut réglé en quelques semaines à Tchernobyl et que la situation est sous contrôle depuis lors. En outre, il y a une sorte de déni de réalité de la part des autorités japonaises.

Il est bien sûr un peu trop tard pour chercher des coupables. Mais on peut noter que la centrale de Fukushima a été submergée par une vague qui ne faisait que 4,3 mètres de haut. Cela signifie que les Japonais ont délibérément construit une centrale à une hauteur trop faible, en sous-estimant de façon absurde et irresponsable les risques d’une centrale aussi basse, presque au ras des flots, alors que le Japon connaît des tsunamis majeurs régulièrement. Il était quasiment écrit dès le début que cette centrale aurait un problème de submersion, pendant sa période de fonctionnement. 

Eléments de comparaison

On estime à environ 2 exabecquerels la quantité de radioactivité répandue par l’explosion et l’incendie de la centrale Tchernobyl. 1 exabecquerel vaut 1 milliard de milliards (10^18) de becquerels, et 1 becquerel vaut une désintégration d’un atome. En comparaison, Tchernobyl vaut environ 200 Hiroshima. En avril 2011, l’ASN (autorité de sûreté nucléaire) française avait estimé que Fukushima pourrait disperser entre 10 et 50% de la radioactivité causée par Tchernobyl. Compte tenu de l’absence de solution pour stabiliser Fukushima, ce chiffre est probablement optimiste.

Du point de vue humain et médical, la radioactivité peut être considérée comme une sorte d’agression énergétique, d’autant plus néfaste qu’elle est intense sur une durée courte. On mesure l’agression radioactive subie en sievert (Sv). Il faut noter que tout est en pratique plus ou moins radioactif et que l’environnement naturel est légèrement radioactif, en dehors de toute pollution ou incident.

Quelques points de repère :

– 0,15 micro-Sv (millionième), dose naturelle ambiante reçue par heure en France en plaine,

– 5 à 10 micro-Sv (millionième), radiographie dentaire,

– 50 à 100 micro-Sv (millionième), voyage en avion,

– 0,5 à 1,5 milli-Sv (millième), dose naturelle ambiante reçue par an en France,

– 20 milli-Sv, dose maxi annuelle admise pour les travailleurs du nucléaire en France,

– 50 milli-Sv, dose maxi annuelle admise pour les travailleurs du nucléaire aux USA,

– 100 milli-Sv, dose minimale provoquant des ennuis de santé certains,

– 500 milli-Sv, la dose maxi théorique de rejet radioactif à Fukushima par an, avant l’accident…

A partir de 1 Sv, et encore pire 10 Sv, la dose reçue est au moins très nocive, voire carrément létale à (très) court terme. Pour mémoire, sur les 237 personnes directement impactées par Tchernobyl, et ayant sans doute pris au moins 1 Sv, on compte : deux tués sur le coup, 29 décès dans les cent jours, et une vingtaine dans les quatre années suivantes. Parmi les « liquidateurs » de Tchernobyl, on estime que 135 000 ont reçu des doses supérieures à 0,10 Sv et 60 000 des doses supérieures à 0,25 Sv. Vingt ans plus, 115 000, soit environ 1 sur 7, étaient décédés. Incidemment, certains annoncent plus d’un million de décès liés à Tchernobyl. Ce chiffre paraît élevé, car on comprend mal comment les civils pourraient être plus affectés que les liquidateurs les plus exposés. On ne voit pas pourquoi des millions de civils auraient subi une exposition supérieure à celle des « liquidateurs » de Tchernobyl, qui étaient en contact direct avec une source majeure d’irradiation.

A noter que les robots spécialement conçus pour explorer les ruines de Fukushima ne tiennent que quelques minutes à plus de 10 Sv / heure, on imagine donc l’effet sur le corps humain d’une dose de ce niveau.

La norme admise pour les travailleurs du nucléaire en France prévoit donc que la dose maxi ne doit pas dépasser 20 fois la radioactivité naturelle. Suivant les pays, la limite peut aller jusqu’à 100 milli-Sv / an. Ainsi, si on admet que la dose d’environ 20 milli-Sv / an, soit environ 20 fois la radioactivité naturelle moyenne en France, serait supportable sans grand dommage, cela signifie que la limite admissible se situerait autour de 2 micro-Sv / heure, pour un séjour permanent (20 000 divisé par 8760 h/an). A noter que la norme légale en France est de 1 milli-Sv / an pour les activités industrielles, provoquant des rejets radioactifs.

Mais, il y a un gros « mais », il faut moduler cette limite, car les femmes sont deux fois plus sensibles que les hommes, et les enfants encore plus, ce qui donne en réalité les limites suivantes : 2 micro-Sv / heure pour un homme, 1 micro-Sv / heure pour une femme, le moins possible pour un enfant.

A noter que la norme japonaise s’appuie sur un maxi annuel de 5 milli-Sv / an, qui est en pratique trop élevé pour un enfant, et ne convient qu’à des adultes. Ce point est clairement un problème épidémiologique et revient quasiment à transformer tous les civils, jeunes ou vieux, en travailleurs de l’industriel nucléaire.

Dépassements des seuils à cause de Fukushima

Les 16 et 17 mars 2011, le graphique suivant montre que la radioactivité dans la centrale était 10 000 fois supérieur à la radioactivité naturelle moyenne en France, avec un pic à 12 000 micro-Sv / heure, et donc 500 fois supérieur au maxi admissible pour un homme, et 100 fois supérieur au seuil à partir duquel des problèmes de santé sérieux sont certains.

Chronologie des évènements à Fukushima et pics de contamination

Le 16 mars 2011, la radioactivité dans le nord de Tokyo a dépassé 15 micro-Sv / heure. Dans le département d’Ibaraki, la radioactivité les 15 et 16 mars 2011 fut 20 fois puis 300 fois plus élevée que la normale. Nous reviendrons plus loin sur les conséquences de cette situation.

Département d’Ibaraki au nord-est de Tokyo

Symptômes d’un vrai problème de santé

Globalement, on peut discerner dans certaines informations un énorme problème, une sorte de mélange de déni de la réalité et de manipulation administrative des normes sanitaires.

Par exemple, au zoo de Nagoya, qui se trouve de l’autre côté de Tokyo par rapport à Fukushima, entre Tokyo et Kyoto, une jeune lionne âgée de 2 ans est morte le 11 juin 2015. Elle souffrait d’une tumeur à la glande thyroïde, un problème typiquement lié à la contamination radioactive. Les autres lions du zoo sont malades ou déjà morts. Evidemment, on peut difficilement imaginer que les gardiens du zoo aient délibérément nourri cette lionne avec de la nourriture qu’ils savaient toxique. Il faut supposer qu’elle a été nourrie avec de la nourriture, tenue pour saine mais en réalité impropre à la consommation, parce que contaminée à un niveau inacceptable. La conclusion pratique est que les normes sanitaires japonaises sont soit contournées soit inadaptées.

Autre exemple, certains habitants d’Ibaraki et alentours, entre Tokyo et Fukushima, réunis en association, procèdent depuis 2013 à des contrôles sur leurs enfants. En date de septembre 2014, 1 818 enfants ont été examinés, parmi lesquels 1 139 enfants, et particulièrement 7, présentaient des anomalies de la glande thyroïde, avec des kystes et nodules nécessitant des examens plus précis. Seulement un tiers des enfants, 672 enfants, a passé l’examen sans révéler d’anomalie à la thyroïde. Cela permet concrètement de mesurer l’ampleur du problème de la survie en zone contaminée. 3 ans après la contamination, 2 enfants sur 3 ont des problèmes dans cette zone entre Fukushima et Tokyo. On verra ci-dessous pourquoi.

Contamination et/ou évacuation

De façon générale, on peut dire que la gestion de la crise par les autorités japonaises est un mélange de réalisme et de cynisme. Dans un premier temps, en mars 2011, fut décrétée une zone interdite provisoire de 20 km autour de la centrale de Fukushima, puis le mois suivant, en avril 2011, en fonction des zones effectivement contaminées, fut décrétée une zone supplémentaire d’évacuation permanente, au nord-ouest de la centrale.

Zone évacuée à partir d’avril 2011 (encerclée en rouge)

Comme la carte le montre d’elle-même, il existe à l’extérieur de la zone évacuée des zones contaminées à un niveau tout aussi problématique que la zone évacuée. C’est là que le cynisme des autorités japonaises commence. Tout se passe comme si les autorités avaient fait le choix d’évacuer la zone la plus contaminée, de façon minimaliste, en imposant au reste de la population de continuer d’habiter dans des zones manifestement à risque. La raison en est sans doute que l’évacuation d’1 à 2 millions de personnes aurait sans doute généré des coûts et une panique ingérable. Le choix a donc été fait de transformer une partie du Japon en une sorte de laboratoire expérimental grandeur nature, une sorte de vivarium de contamination radioactive, où des adultes et des enfants sont incités ou contraints de survivre dans une zone manifestement contaminée à un niveau impliquant des risques élevés, risques qui sont bien réels et non pas seulement théoriques.  

Comme on peut le voir sur la carte suivante, datant de 2012, la zone évacuée correspond au périmètre en vert. Les zones en rouge sur la carte sont des zones de contamination morbide à plus ou moins brève échéance (> 100 milli-Sv / an).

Zone contaminée et évacuée (périmètre en vert)

En réalité, si on raisonne par rapport aux enfants et à un seuil maxi de 2 milli-Sv / an, on voit que logiquement toute la zone en bleu clair, au moins, devrait être évacuée sans délai par les enfants. Les grandes villes de Fukushima, Nihomatsu et Koriyama sont des zones (en vert ci-dessus et en rouge ci-dessous) où même les adultes sont en danger. Pourtant, le choix a été fait de ne pas les évacuer.

Qui plus est, le problème ne se limite pas à la zone directement autour de Fukushima, car la contamination concerne aussi deux autres zones au nord (Iwate) et au sud (Ibaraki), comme le montre la carte suivante.

Niveau et zones de contamination en 2012

Concrètement, sur la carte, on voit en noir la zone la plus contaminée (Fukushima) et qui a dû être évacuée dès mars et avril 2011. En jaune, on voit le bruit de fond de la radioactivité naturelle. En bleu, et a fortiori en violet et rouge, on voit les zones dans lesquelles les enfants ne devraient pas séjourner de façon permanente. En particulier, on voit très bien au sud de Fukushima, en bleu, la zone contaminée d’Ibaraki, avec un niveau de contamination compris entre 0,5 et 1 micro-Sv / heure, qui est trop élevé pour des enfants. Il ne faut pas s’étonner que deux enfants sur trois testés dans cette zone aient des problèmes.

La troisième zone contaminée au nord correspond au département d’Iwate. Je ne possède pas d’informations épidémiologiques sur les enfants, mais on ne voit pas pourquoi la situation serait meilleure qu’à Ibaraki.

Incidemment, il est tout à fait recommandable de ne rien manger ou boire qui vienne du Japon, par mesure de précaution. Même si on n’en parle moins, cette catastrophe n’est pas terminée.

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