Comme souvent en ces cas là, les passions s’enflamment, en témoignent les réactions regrettables qui se manifestèrent au cours de la messe le dimanche 14 mai à Saint-Nicolas du Chardonnet, suite à la destitution brutale de l’abbé de La Rocque de sa charge de « curé ». Paradoxalement, ces passions semblent attisées par les autorités mêmes de la FSSPX qui, refusant de communiquer sur le fond du problème pour lui apporter éclaircissement, ne traitent que de la forme de cette dissension, agitant pour seul poncif les « méthodes révolutionnaires ». Désireux de dépasser ce contexte passionnel, je me suis fait éclairé par des prêtres, dont un canoniste. Ils ont corrigé et annoté les lignes ci-dessous, bien que les derniers paragraphes restent entièrement miens.
En ce premier article, j’aborderai la question du mariage, laissant à plus tard la question encore plus sensible de la nature des rapports des mouvements de Tradition avec une Rome demeurant ancrée dans le modernisme.
Le mariage, entre institution naturelle et sacrement
Des sept sacrements fondés par le Christ, le mariage est le seul où Notre Seigneur prit une institution préexistante pour la surélever au rang de sacrement. De l’Eucharistie il n’y avait rien avant le Jeudi Saint sinon des figures annonciatrices dans l’Ancien Testament, et ainsi des autres sacrements. Mais pour ce qui est du mariage, avant d’être élevé au rang de sacrement par Jésus Christ, il fut institué par Dieu lui-même lors de la création. Le mariage relève donc en premier lieu du droit naturel, autrement dit des lois divines que Dieu posa dans son œuvre créée.
Précisément parce qu’elles proviennent de Dieu, personne ne peut aller contre ces lois naturelles. Ainsi, Dieu ne se contredisant pas, Il les a lui-même respectées lorsqu’Il a transfiguré le mariage humain pour en faire, entre baptisés, le signe efficace de l’amour unissant le Christ et son Église. A son tour, l’Eglise se devait de respecter le droit naturel des fidèles au mariage lorsqu’il s’est agi, avec le concile de Trente, d’établir la forme canonique du sacrement de mariage[i]. L’Eglise savait qu’elle n’avait pas le pouvoir de limiter excessivement le droit naturel des fidèles au mariage, en imposant à sa célébration des conditions qui pourraient rendre difficile l’usage de ce droit. Et c’est à cette fin que, outre la forme canonique du mariage, elle a également prévu une célébration selon la forme extraordinaire. Celle-ci se retrouve dans l’ancien code de droit canonique au canon 1098, dans le code de 1983 au canon 1116.
Forme canonique et forme extraordinaire du sacrement de mariage
Afin d’éviter les mariages clandestins qui nuisaient à l’unité du mariage[ii], le concile de Trente en son décret Tametsi imposa pour la validité du sacrement que l’échange des consentements fût désormais prononcé devant au moins deux témoins laïcs et un prêtre ayant juridiction, à savoir le curé de paroisse ou un prêtre explicitement délégué par lui à cet effet. Apparaissait ainsi ce qui depuis est appelé la forme canonique du mariage.
Sachant cependant qu’elle ne peut enfermer de façon absolue le sacrement de mariage dans ce cadre contraignant sans léser en certains cas le droit naturel de ses fidèles au mariage – droit qu’elle se doit de respecter – l’Eglise ajoute qu’en cas de grave inconvénient à recourir à cette forme canonique, les futurs mariés en sont dispensés. L’Eglise reconnaît alors comme valide et licite l’échange des consentements célébré devant les seuls témoins laïcs. Cependant, si un prêtre peut être présent à cet échange de consentement sans forme canonique, il doit être présent (CIC 1917, can. 1098 § 2). À ce droit des fidèles correspond donc un devoir du prêtre, de tout prêtre, à assister à cet échange de consentements. Celui-ci y assiste alors comme premier témoin, sans qu’il ait pour cela aucune juridiction, qu’elle soit ordinaire, déléguée ou de suppléance[iii].
Relativement à l’usage de cette forme extraordinaire du sacrement de mariage, des voix se firent entendre lors de la préparation du concile Vatican II pour en restreindre l’usage. On voulut le conditionner à un recours préalable à l’Ordinaire, autrement dit à l’évêque diocésain. Mais l’Eglise considéra que poser cette nouvelle condition à l’usage de la forme extraordinaire était contraire à la raison même de cette dernière, à savoir le respect du droit naturel des fidèles au mariage. Aussi cette demande fut-elle rejetée et le droit de l’Eglise, en sa réforme de 1983, garda intactes les normes de l’ancien canon 1098, devenu canon 1116. Ce refus de modification revient à reconnaître qu’aucun Ordinaire, qu’il soit Ordinaire du lieu (évêque diocésain) ou Ordinaire religieux (Supérieur Majeur ou Supérieur Général d’une congrégation), ne peut prétendre avoir emprise sur ce droit naturel des fidèles[iv].
Les mariages dans la Tradition et le cas de conscience des prêtres
Pour tous les fidèles recourant de façon habituelle aux prêtres de la FSSPX ou équivalent, le grave inconvénient permettant l’usage de la forme extraordinaire pour le mariage est assez évident. C’est de façon habituelle qu’ils se sont sentis obligés de se protéger d’une autorité ecclésiastique dont le ministère nuit gravement au bien de la foi. D’ailleurs, tant le « commentaire autorisé » publié par la Maison générale de la FSSPX que la « lettre aux fidèles » des sept doyens reconnaissent cet état de nécessité, quoiqu’en des termes différents. Semble dès lors reconnu par tout le clergé de la Tradition, quelle que soit la nature des divergences, le droit des fidèles à user de la forme extraordinaire du mariage.
La nouveauté apportée par le « commentaire autorisé » de la Maison générale est de vouloir faire dépendre l’usage de ce droit des fidèles d’un recours préalable à l’évêque du lieu. Les autorités de la FSSPX entendent en effet demander à leurs prêtres de n’user de la forme extraordinaire qu’après avoir réclamé de l’évêque local une juridiction déléguée. Ce commentaire l’indique par deux fois : « Il n’est plus besoin de recourir à l’état de nécessité […] à moins que l’évêque [du lieu] ne s’oppose aux dispositions nouvelles en refusant la délégation demandée [par les prêtres de la FSSPX]. » Et un peu plus loin : « Nul doute que, dans l’hypothèse où l’Ordinaire refuserait et de désigner un prêtre délégué[v], et de concéder directement les facultés nécessaires au prêtre de la Fraternité, celui-ci célébrerait validement en vertu de cet état de nécessité. »
Du simple point de vue du droit, les dispositions que la Maison Générale de la FSSPX entendent imposer à ses prêtres, qui plus est à travers un texte non signé et n’ayant donc aucune valeur juridique, sont contraires au droit général de l’Eglise. La pression faite en ce sens auprès de ses prêtres semble donc s’apparenter à un abus de pouvoir, le Supérieur Général s’arrogeant un pouvoir qu’il n’a pas, à savoir faire dépendre l’usage de la forme extraordinaire du mariage d’un recours préalable à l’Ordinaire, ce que l’Eglise universelle s’est refusé de faire dans son droit.
Conclusion
Sous cet aspect, la lettre des sept doyens de France peut prendre une autre tonalité. Plutôt que d’être considérée comme une révolte subversive à l’endroit de leurs supérieurs, ces sept doyens ne feraient que dire l’état de nécessité aujourd’hui présent, rappeler le droit qui en découle pour les fidèles à l’usage de la forme extraordinaire du mariage, et renouveler leur engagement à correspondre à ce droit, ainsi que le leurs demande explicitement l’Eglise (CIC 1983 can. 1116 §2).
Les sept doyens, en tout respect des autorités de la FSSPX nullement mentionnées dans leur texte, auraient donc fait le choix de l’obéissance aux normes canoniques de l’Eglise plutôt qu’à un texte anonyme émanant de leur Maison Générale, acculés à réagir face à la pression qui s’en suivit dans la praxis.
La virulente réaction des autorités de la FSSPX, tout comme sans doute la lettre même des sept doyens, laisse indiquer que l’enjeu ne se limite pas à la question des mariages. Sans doute les autorités romaines ont-elles utilisés cette question pratique des mariages dans la Tradition comme une répétition générale d’une potentielle reconnaissance canonique de la FSSPX en prélature personnelle. Dès lors, à travers la lettre des doyens d’une part, la réaction des autorités de la FSSPX d’autre part, ce sont deux visions radicalement différentes qui s’opposeraient quant à la nature des relations à avoir avec la Rome d’aujourd’hui. L’exposition de cette seconde divergence fera sans doute l’objet d’un prochain article.
Benoit Parvulus
[i] – La forme canonique du mariage est à distinguer de la forme sacramentelle du mariage. Cette dernière est l’échange des consentements, tandis que la forme canonique recouvre les conditions juridiques de l’échange des consentements, sans quoi celui-ci serait considéré comme invalide.
[ii] – Avant le concile de Trente, quelqu’un habité de mauvaise foi pouvait par exemple se marier validement mais dans le secret, puis contracter ensuite un autre mariage en grande pompe, qui paraissait être le premier, et donc valide alors qu’il ne l’était pas. Ce problème, classique avant le concile de Trente, fait toute l’intrigue du Chevalier Didaco et de son épouse Violente, chez l’italien Matteo Brandello (I, 42) et le français Pierre Boaistuau (5ème histoire tragique).
[iii] – Il y a donc manque de précision et petite erreur canonique lorsqu’en nombre d’articles ou d’interventions émanant de la Tradition, est fait appel à la juridiction de suppléance pour recevoir les consentements de mariage selon la forme extraordinaire.
[iv] – Sur ce point, la « Lettre aux fidèles » des sept doyens de France est dans le vrai, ne faisant d’ailleurs que reprendre en sa note 9 l’étude très détaillée de André Sale, La forma straodinaria e il ministro della celebrazione del matrimonio secondo il codice latino e orientale, éditions Pontificia Universita Gregoriana, Rome 2003
[v] – Ce texte reste bien flou quant à ce prêtre délégué : s’agit-il d’un prêtre de la Tradition, d’un prêtre diocésain, d’un prêtre Ecclesia Dei ? Rien n’est dit.
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