Frédéric Valandré est docteur en histoire contemporaine, écrivain et conseiller littéraire. Travaillant depuis plusieurs années sur le traitement médiatique des affaires criminelles, il est notamment l’auteur de Justice : mise en examen, paru aux éditions Underbahn en 2009 et plus récemment Justice criminelle: dossiers brûlants aux éditions Tatamis. Nous avons pu l’interroger sur la réforme pénale.

La réforme pénale menée par Madame Taubira était initialement nommée « prévention de la récidive et à l’individualisation des peines » et est devenue « projet de loi pour renforcer l’efficacité des sanctions pénales ». A votre avis, quel est l’objectif de ce changement de dénomination ?

La Commission des Lois explique ledit changement en ces termes : « Elle a, en effet, considéré que cet objectif d’efficacité des sanctions pénales était l’objectif ultime du projet de loi tel qu’il a été adopté par la Commission, au-delà de la prévention de la récidive – qui est une notion trop restrictive – et de l’individualisation des peines – qui n’est, en réalité, que l’un des moyens nécessaires pour parvenir à une réponse pénale efficace. » (p. 89 du rapport n° 1974 de Dominique Raimbourg, député PS de la Loire-Atlantique, 28 mai 2014) De vous à moi, cette nouvelle appellation a aussi l’avantage de paraître plus ferme, comme si on souhaitait couper court aux accusations de laxisme. La première mouture, celle du 9 octobre 2013, annonçait franchement  – trop, sans doute – deux des grands objectifs de ce projet de loi, son caractère essentiellement préventif et la systématisation d’un principe existant déjà (article 132-24 du Code pénal). Et parmi les éléments du projet de loi qui sont très critiqués, cette idée d’inciter le juge à se focaliser davantage sur la personnalité du prévenu que sur l’acte commis figure en bonne place.

La réforme réserve une place plus importante à la qualité d’appréciation des magistrats dans leur jugement – citation à l’appui : « Nous redonnons à ces derniers la totalité de leur pouvoir d’appréciation et ajoutons à l’arsenal des réponses pénales de nouvelles dispositions à leur service ». Quel est l’impact de cette décision dans l’application des peines? Peut-on, en regard des positions politiques clairement orientées de certains magistrats comme par exemple le syndicat de la magistrature  (http://www.syndicat-magistrature.org/Combattre-les-idees-recues-sur-la.html), admettre un traitement objectif des cas ?

Nous sommes égaux en droit devant la Justice, mais pas devant le fonctionnement de l’institution judiciaire ; concrètement, cela dépend sur qui on tombe. C’était ce qu’avaient expliqué MM. Erick Maurel et Philippe Houillon (à l’époque, respectivement procureur de la République à Pau et avocat, député et président de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale) lors de la table ronde « Sommes-nous tous égaux devant la Justice ? », qui s’était déroulée à la journée du livre de Chaville (Hauts-de-Seine) « Justice Médias Police », le 5 avril 2008. Ce qui était vrai il y a six ans le sera plus encore avec ce projet de loi. Évidemment, si un magistrat a une sensibilité politique penchant à gauche ou à droite, si il est plus dans le préventif que dans le répressif (ou inversement), ou alors si il est dans le préventif et le répressif à géométrie variable, cela peut influer sur la décision qu’il prendra… à moins qu’il ne laisse ses convictions au vestiaire !

J’aimerais également évoquer un point intéressant, dont m’a fait part un ami juriste. C’est à propos de la contrainte pénale, cette peine remplaçant l’incarcération par une obligation de soins, de formation et d’indemnisation des victimes, et prévue pour tous les délits. Cette peine alternative, si elle est appliquée à la lettre contre un délinquant « d’opinion » – qui aurait notamment été sanctionné en application d’une loi restreignant la liberté d’expression – ne risquerait t-elle pour lui de se transformer en opération Big Brother ? En clair, le renforcement de ce qu’aucuns appellent « la police de la pensée ».

Madame le Garde des Sceaux et le rapporteur de la loi ont souligné à plusieurs reprises, lors de la première lecture du projet de loi à l’Assemblée Nationale hier soir, l’importance de la place faite aux victimes dans ce projet de loi. Comme vous le disiez à Monsieur Dutilloy, il s’agit là de mettre l’accent sur l’aspect préventif et non répressif de la politique judiciaire. Quels seront selon vous les impacts de cette décision ?

Il est vrai que la Commission des Lois prévoit une augmentation sur un taux de 10 % du financement de l’aide nationale aux victimes (page 83 du rapport Raimbourg), et ce n’est pas une mauvaise idée, convenons-en. Malgré tout, les victimes n’apparaissent pas être la préoccupation première de la réforme Taubira, et c’est ainsi que le ressentent la majorité de nos concitoyens, gauche et droite confondus : d’après un sondage IFOP/Le Figaro du 7 octobre 2013, 75 % des Français pensent que ce projet sera inefficace.

Même si ladite loi ne cherchera nullement à imposer aux magistrats une utilisation systématique de la contrainte pénale, et c’est heureux, le fait qu’elle puisse être appliquée à des délinquants coupables d’infractions graves, d’atteintes physiques à la personne pose un réel problème. Comment, pour un agent de probation, s’assurer efficacement du suivi d’un individu violent et dangereux en milieu ouvert, et d’une réelle volonté de réinsertion dans la société ? Difficile de donner tort à Georges Fenech, député UMP du Rhône et ancien magistrat, quand il parle de menace grave pour la paix sociale.

Ce n’est pas la première fois que ce que j’appellerai « la gauche judiciaire » se retrouve en porte à faux par rapport aux aspirations des Français. Souvenons-nous de la loi Peyrefitte du 28 juillet 1978, permettant la sélection des jurés d’assises par tirage au sort sur les listes électorales : en théorie, une victoire pour ceux et celles qui fustigeaient une justice trop élitiste, supposée plus sévère. Dommage pour eux : les condamnations prononcées aux assises (de cinq à vingt ans de réclusion ou à perpétuité) sont passées de 1112 en 1978 à 2036 dix ans plus tard, soit une augmentation de 83 %.

Que penser du rejet de cette loi par les Syndicats FO Pénitentiaire et Alliance Police ?

Le désaccord du syndicat FO Pénitentiaire avec la réforme Taubira est compréhensible : si il est par principe favorable au développement des alternatives à l’incarcération, il estime également nécessaire de mettre en place un grand plan de construction de places de prison et de sécurisation des établissements pénitentiaires. A noter que le syndicat est également hostile à la loi pénitentiaire de Rachida Dati (loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009) qui aurait instauré une sorte de « libéralisme carcéral » – parmi les éléments critiqués : l’article 57 qui limite les fouilles corporelles des détenus.

Les craintes d’Alliance Police sont aussi légitimes : dans l’émission Cinq à sept (LCI, 3 juin 2014) son secrétaire général Jean-Claude Delage a évoqué le risque de démobilisation des forces de sécurité, de voir des policiers affectés à des taches qui ne sont pas les leurs (celles d’agents de probation). M. Delage a également rappelé, comme je l’ai fait, que le texte va à l’encontre de l’avis d’une majorité de Français souhaitant le renforcement des sanctions.

Ce qui est sûr, c’est que les initiateurs de cette réforme très contestable ne devraient guère oublier la chose suivante : « la sûreté » constitue le troisième des « droits naturels et imprescriptibles de l’Homme » (Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, article 2, 26 août 1789).

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