« Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je Vous vienne ».
Dans le cadre des « Notes de lecture » un fidèle lecteur nous propose de découvrir Francis Jammes 1868-1938) à travers cette « Prière » (1) célèbre.
« Lorsqu’il faudra aller vers Vous, ô mon Dieu, faites que ce soit par un jour où la campagne en fête poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas, choisir un chemin pour aller, comme il me plaira, au Paradis, où sont en plein jour les étoiles. Je prendrai mon bâton et sur la grande route j’irai, et je dirai aux ânes, mes amis : « Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis, car il n’y a pas d’enfer au pays du Bon Dieu ». Je leur dirai : « Venez, doux amis du ciel bleu, pauvres bêtes chéries qui, d’un brusque mouvement d’oreille, chassez les mouches plates, les coups et les abeilles ». Que je vous apparaisse au milieu de ces bêtes que j’aime tant parce qu’elles baissent la tête doucement, et s’arrêtent en joignant leurs petits pieds d’une façon bien douce et qui vous fait pitié. J’arriverai suivi de leurs milliers d’oreilles, suivi de ceux qui portent au flanc des corbeilles, de ceux traînant des voitures de saltimbanques ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc, de ceux qui ont au dos des bidons bossués, des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés, de ceux à qui l’on met de petits pantalons à cause des plaies bleues et suintantes que font les mouches entêtées qui s’y groupent en ronds. Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je Vous vienne. Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises lisses comme la chair qui rit des jeunes filles, et faites que, penché dans ce séjour des âmes, sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes qui mireront leur humble et douce pauvreté à la limpidité de l’Amour éternel. Amen. »
Francis Jammes (1868-1938) est un poète pyrénéen (pas un anglais) qui est devenu vraiment catholique en 1905, pendant une messe servie par Paul Claudel (2).
Le premier livre que Jammes publie après sa conversion, L’Église habillée de feuilles (), marque un tournant dans son œuvre en mettant l’accent sur le thème de Dieu, qui était déjà présent dans ses livres précédents mais sous une forme plus « païenne ».
Son retour au catholicisme n’a pas transformé profondément son œuvre.
Il l’a rendue plus austère sur certains points — retour à des vers plus classiques sur la forme et abandon de certaines images trop charnelles ou suggestives — mais aussi plus sincère dans sa naïveté selon Michel Décaudin. Il donne une forme humaine à Dieu, en l’imaginant comme un bon vieillard assis dans un jardin, faisant de lui un modèle d’amour et de simplicité :
« Non. Le bon Dieu n’est pas en haut. Il est en bas.
Il habite dans la petite maison que tu vois
où il y a une fontaine et des œillets sauvages
et un chien qui s’endort aux mouches de l’étable… »
Dans « Le rêve franciscain » [Image ci-dessus] véritable rêve éveillé lyrique et lumineux, l’auteur nous invite à suivre saint François, d’Hasparren, son petit paradis pyrénéen, jusqu’à Lourdes ; et pour mieux l’accompagner dans les pas du Poverello, il convoque quelques-uns de ses maîtres et amis pour ce voyage, au cours duquel la beauté des paysages le disputera à la profondeur des échanges avec saint François, descendu du Paradis pour partager le pain avec le poète et ses compagnons, le temps d’un rêve ; le temps d’entrevoir le XXe siècle par son regard, de communiquer encore l’infinie douceur de son message pour les temps à venir. Francis Jammes nous donne dans ce livre un texte puissamment poétique et empreint de la foi simple et claire de saint François. Et qui mieux qu’un poète peut approcher l’intime vérité du sage d’Assise et trouver les mots pour la mettre à la portée de nos cœurs ?
Bonne lecture à tous .
Joseph de Kent
Notes de bas de page
(1) Autres « Prières » de Francis Jammes :
– « Ô Saint Joseph, rapprochez-Vous de tous les solitaires dont le cœur est près de défaillir »
– « Mon Dieu, faites que celle qui pourra être ma femme soit humble et douce »
– « Mon Dieu, conservez-leur ce tout petit enfant »
– « Je Vous salue, Marie »
– « Pourrai-je un jour, mon Dieu, comme dans une romance, conduire ma fiancée devant la noce blanche ? »
(2) Paul Claudel, alors diplomate en Chine, revient en France 1905 et passe quelques jours à Orthez, durant lesquels il finit de convaincre Jammes de se « convertir ». Ils communient ensemble lors d’une messe particulière à La Bastide-Clairence le 7 juillet 1905, puis partent pour un pèlerinage à Lourdes. Le terme de « conversion » est jugé inapproprié par certains auteurs qui préfèrent parler d’un « retour à la foi », puisque Jammes a reçu une éducation catholique dans son enfance, mais selon Catherine Hill Savage, les termes employés par Jammes témoignent du bouleversement comparable à une conversion que représente cet événement pour lui.
Autre « Notes de lecture » de MPI
– « Inexplicable Vendée » – « Un jour je rendrai les honneurs au chardonneret perdu ».
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Paradis des Albatros / L’Église habillée de feuilles
en particulier son Rosaire où l’on peut trouver la reprise et contribution de Brassens: « la prière ». Cette chanson m’a ému jusqu’aux larmes (et m’a fait connaitre Francis Jammes!). Je me rappelle aussi « sans le latin ». Ils sont tous deux « mécréants » si proches de Dieu.
Superbe.
Merci de nous livrer ces trésors un peu perdus à l’heure actuelle .
Reprions avec ces poètes Claudel , Péguy et Francis Jammes , merci Seigneur