« Le cardinal (Ratzinger) m’a répété plusieurs fois : « Monseigneur, il n’y a qu’une Eglise, il ne peut pas y avoir une Eglise parallèle. » Je lui ai dit : « Eminence, ce n’est pas nous qui faisons une Eglise parallèle puisque nous continuons l’Eglise de toujours, c’est vous qui faites une Eglise parallèle en ayant inventé l’Eglise du Concile, celle que le Cardinal Benelli a appelé « l’Eglise conciliaire » ; c’est vous qui avez fait de nouveaux catéchismes, de nouveaux sacrements, une nouvelle messe, une nouvelle liturgie, ce n’est pas nous ! Ce n’est pas nous qui faisons une nouvelle Eglise. »
Mgr Fellay quant à lui, depuis 2011 affirme :
« Nous rendons-nous compte que si aujourd’hui nous avons la foi, si nous avons cette joie de pouvoir professer la foi, c’est grâce à cette Eglise très concrète… qui est dans un état lamentable. Lorsque vous apportez un enfant à un prêtre de la Fraternité pour un baptême, la première question est : « Que demandez-vous à l’Eglise ? » (et non pas à la Fraternité !) ; et la réponse est : « La foi ». Et ce n’est pas la Fraternité, mais l’Eglise qui donne cette foi… et l’Eglise d’aujourd’hui ! C’est l’Eglise d’aujourd’hui qui sanctifie. Quand on dit « extra ecclesiam nulla salus », en dehors de l’Eglise il n’y a pas de salut », c’est bien de l’Eglise d’aujourd’hui que nous parlons. C’est absolument certain, il faut le tenir. (…) » Mgr Fellay, conférence du 2 septembre 2012 à Flavigny
La contradiction est évidente. Depuis 2011 surtout, le discours de certaines autorités est ouvertement libéral. Mais au-delà de cette évidence de la confusion qu’elle entretient, ce nouveau discours vise à gommer la distinction et l’opposition entre traditionnel et conciliaire. En gommant cette distinction, il atténue clairement le combat de la foi et permet donc d’envisager cet accord tant désiré par certains.
L’abbé Gabriel Billecocq en détaille de façon remarquable les contours dans le Chardonnet du mois de décembre 2018 dans un billet intitulé « Vous avez dit: « église officielle »? » :
- Depuis que Monseigneur Benelli a utilisé l’expression, la terminologie « église conciliaire » est devenu la locution habituelle par laquelle est désigné l’ensemble des conciliaires c’est-à-dire de ceux qui se revendiquent de Vatican II, qu’ils appartiennent à l’église enseignante ou enseignée.
- Malgré la disputatio[1] qui a agité les milieux traditionalistes, l’expression est restée pour désigner ceux qui, dans l’Église, sont opposés à la Tradition. Du reste, les convertis eux-mêmes emploient habituellement et comme naturellement l’expression, tant il est clair pour eux qu’il y a comme deux sociétés qui s’affrontent et dont les doctrines et les pratiques sont si antagonistes. Quand ils viennent nous voir, ils nous disent clairement qu’ils ont quitté « l’église conciliaire », « l’autre église ».
- Depuis quelques temps on s’aperçoit qu’une autre expression veut se substituer à celle d’église conciliaire. On parle alors d’église officielle[2]. Dans quelle mesure faut-il adopter une telle expression? Quelle précision apporte-t-elle dans un contexte déjà bien compliqué? Fau-il remplacer conciliaire par officiel?
- Il faut tout d’abord rappeler que Notre-Seigneur n’a fondé qu’une seule Église: c’est l’Église catholique, une, sainte, et apostolique. Foi et sacrements sont ses biens les plus précieux, et l’autorité a été instituée pour les défendre.
- Il est nécessaire d’appartenir à l’Église catholique pour être sauvé. Cette incorporation se fait par le baptême, lequel est inséparable de la profession de foi.[3] Société visible, l’Église catholique comporte aussi une partie invisible qui n’est rien d’autre que la communion des saints. C’est ainsi que l’on distingue le corps de l’âme de l’Église.
- Il faut entendre le dogme « Hors de l’Église point de salut » de l’appartenance à l’âme de l’Église. Mais une telle appartenance se fait par l’incorporation, c’est-à-dire par l’appartenance au corps, société visible. C’est une nécessité de moyen, autrement dit c’est un moyen nécessaire sans lequel ne peut être atteint le but.
- Il existe cependant des cas, que l’on dit être extraordinaires -et rares par conséquent- dans la mesure où ils ne sont pas la voie ordinaire voulue par Dieu. Cela concerne les personnes qui, n’ayant pas connaissance de l’Église catholique, cherchent cependant à servir Dieu comme ils le connaissent en obéissant au moins à la loi naturelle connue par la conscience. Ceux-là appartiennent à l’âme de l’Église sans appartenir à son corps. Mais il est certain qu’ils se feraient baptiser dès qu’ils auraient reçu la connaissance de l’Église catholique.
- Il faut dire que les mouvements dits traditionalistes (FSSPX et communautés amies) appartiennent à l’Église et y ont toujours appartenu, malgré les condamnations et injustices qu’ils ont subies.
- Il faut en dire de même de ceux que l’on appelle ordinairement du titre de résistants, car qu’ils aient quitté la Fraternité, ou qu’ils en aient été évincés ne signifie pas qu’ils ont été exclus de l’Église. Ces personnes sont parfaitement catholiques et certainement plus proches de nous dans le combat doctrinal que ceux que l’on nomme ralliés (Fraternité Saint-Pierre, Christ-Roi…)
- Quant aux conciliaires, le cas est vraiment compliqué. En effet, puisque les conciliaires sont de véritables modernistes (du moins pour les majores[4]), et que le modernisme est condamné par l’Église, on peut très légitiment douter de leur appartenance à l’âme de l’Église: ils ont perdu pour la plupart la foi, ils ont changé tous les sacrements, et leur autorité n’est plus au service du bien commun de l’Église. Ils sont imbus d’un venin philosophique (subjectivisme) qui les éloigne objectivement de la foi. On peut alors dire qu’ils appartiennent au corps de l’Église. Mais le temps qui passe peut finir même par nous faire douter[5] de cette vérité[6].
- On comprend mieux alors ce que veulent dire les fidèles lorsqu’ils parlent d’église conciliaire et d’église traditionnelle. Ce ne sont pas deux Églises distinctes (du moins pour l’instant, en attendant une condamnation prochaine d’un pape catholique). Ce sont comme deux parties ou deux états de l’Église catholique : la première est malade et la seconde est saine.[7] Ces deux expressions sont donc une description très parlante de l’état de l’Église catholique. Conciliaire dit bien (et l’on peut dire que c’est une définition vulgaire au sens étymologique) l’opposition à traditionnel.
- Récemment, on cherche dans les milieux catholiques traditionalistes à imposer le terme d’église officielle pour remplacer celui d’église conciliaire. Certes, officiel exprime bien l’idée que nous reconnaissons que ces évêques, quoiqu’indignes, occupent le pouvoir, et ce pouvoir, en tant que tel, nous ne pouvons que le respecter. Mais remplacer conciliaire par officiel comporte une grave ambiguïté. Car le catholique traditionaliste, qui ne se reconnaît pas conciliaire et pour cause, doit-il désormais dire qu’il ne se reconnaît pas non plus catholique officiel? Le catholique traditionaliste n’appartiendrait donc plus à l’église officielle? Il ne serait pas pleinement catholique? Mais alors à quelle église appartiendrait-il? Pour le savoir, il faut se demander à quoi s’oppose le mot officielle. Réponse : officieuse, ou alors cachée, clandestine, ou alors patriotique. Mais alors le catholique traditionaliste ne se reconnaît en aucune d’elles. Faudrait-il dire qu’il appartient à l’église officielle au risque d’être confondu avec les modernistes? Absit. Reste à dire par conséquent qu’il n’appartient pas à l’Église. Et c’est la raison pour laquelle il devient en mal de reconnaissance.
- En réalité, il s’agit là d’une ambiguïté grave et très pernicieuse. Remplacer le terme d’église conciliaire par église officielle pour l’appliquer aux modernistes vient gommer la distinction et l’opposition entre traditionnel et conciliaire. En gommant cette distinction, il atténue clairement le combat de la foi au risque de le nier et en vient à faire regretter au traditionaliste de n’appartenir à aucune église vraiment sérieuse en lui donnant l’impression de n’être pas normal et par conséquent de rechercher la normalisation. Cette expression tait donc la véritable maladie dont l’Église est atteinte, met en état d’infériorité ou de complexe le véritable catholique qui a gardé intègre foi et sacrements, et entretient une confusion typiquement libérale. En réalité, l’utilisation d’un telle expression confuse relève déjà du libéralisme et n’est plus vraiment catholique…
- Pour combattre un ennemi, et a fortiori lorsque cet ennemi est infiltré dans la citadelle, il faut un langage clair et non équivoque pour le désigner. Le catholique traditionaliste ne combat pas l’Église catholique c’est une évidence. Mais pourra-t-on lui faire croire qu’il combat une église officielle? Si elle est officielle, on risque de lui créer quelques remords de conscience à combattre, car c’est officiel et l’Église catholique est officielle! Non, il combat la maladie. Et cette maladie, il lui a donné un nom: église conciliaire.
- Car si l’église conciliaire appartient à l’Église catholique aujourd’hui, il est en revanche impossible de dire que l’Église catholique est conciliaire!
- Le travail théologique, lequel fait cruellement défaut aujourd’hui, consiste à affiner les expressions, et par là à mieux exprimer la réalité de ce que nous vivons. C’est ce qu’a toujours fait l’Église.
- Les idées mènent le monde. Et les idées sont énoncées par les mots. En changeant les mots, on change les idées. Et dans ce cas présent, en changeant les idées, on change la nature du combat. Ce qui serait une trahison.
- Que votre oui soit oui, que votre non soit non, le reste vient du malin.
CQFD.
Christian Lassale
[1] Cf. Revue Sel de la Terre, n° 85 de l’été 2013 p. 1 à 16 et revue Courrier de Rome, n°363 de février 2013
[2] Ce n’est pas une nouveauté, cette expression a déjà été employée en diverses occasions. Le problème ici n’est pas tant l’expression elle-même que sa substitution à cette autre locution d’église conciliaire.
[3] Un adulte païen qui recevrait le baptême dans le protestantisme ou l’orthodoxie ne serait pas incorporé à l’Église catholique. Il y entrerait lors de sa conversion en abjurant ses erreurs et en professant publiquement la foi.
[4] On nomme par ce terme ceux qui appartiennent à la hiérarchie ecclésiastique et particulièrement à l’Église enseignante : pape et évêques.
[5] Douter, c’est suspendre un jugement, c’est avouer qu’on ne sait pas répondre à une question. Mais c’est aussi dire deux choses : qu’il y a une véritable question qui se pose, et qu’il faut par conséquent apporter un véritable travail théologique afin de préparer une réponse que pourra sanctionner plus tard l’autorité catholique de l’Église.
[6] Par exemple le cardinal Barbarin, primat des Gaules et archevêque de Lyon a donné la confirmation catholique lors d’une cérémonie de « confirmation protestante avec pasteur(e) ». En s’opposant ainsi ouvertement à la profession publique de la foi, on peut bien se demander s’il est encore membre de l’Église. Récemment encore le cardinal de Sao Paulo s’est retrouvé dans une cérémonie où Notre Dame et Bouddha étaient « honorés » simultanément. On se pose la même question à son égard.
[7] A ce sujet, on a voulu opposer l’étude des pères dominicains d’Avrillé à celle de l’abbé Gleize. C’est une incompréhension. Si les premiers ont voulu montrer qu’il existait une opposition radicale entre conciliaires et traditionalistes, l’abbé Gleize en revanche s’est attaché à montrer que cette opposition ne constitue pas encore deux sociétés distinctes parce que ces deux courants subsistent au sein même de l’Église catholique. Avrillé décrit la maladie et son opposition à la santé ainsi que son œuvre destructrice dans son organisation, tandis que l’éminent professeur d’ecclésiologie, sans le nier, affirme que ce ne sont pas encore deux corps distincts, mais un même corps social dans lequel une certaine partie (et pas la moindre) est corrompue. Il y aura deux sociétés distinctes lorsque ces modernistes conciliaires seront condamnés et chassés de l’Église.
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