Litanies Majeures
La cérémonie consiste dans la procession des litanies et l’office de station qui suit.

Dominus firmamentum meum, et refugium meum, et liberator meus. Le Seigneur est mon rocher, ma forteresse et mon libérateur. [Ps 17, 3]

Les Rogations ramènent beaucoup d’entre nous dans les temps anciens, lorsque le 25 avril était consacré à la bénédiction des champs. Et c’est dans les campagnes, autrefois pas trop éloignées des villes, que l’on voyait des processions de fidèles suivre le prêtre au chant des Litanies. Ut fructus terræ dare et conservate digneris… Des paysans vêtus de costumes de fête accompagnaient nos curés dans leurs fermes, où leur prière résonnait dans un silence rompu seulement par le chant des oiseaux. Les arbres fruitiers étaient en fleurs et les graines de peuplier volaient dans les airs. Et l’on savait, au plus profond d’une conscience qui parlait encore, que le Seigneur récompense les justes et punit les méchants, non seulement parce que c’était ce qui était prêché dans l’église, mais aussi parce que cette justice, simple dans la compréhension et divine dans ses manifestations, envoyait des sauterelles dans les champs de ceux qui travaillaient le dimanche, et rendait les récoltes fécondes, généreux les flancs des vaches et des brebis de ceux qui vivaient dans la grâce de Dieu.

Notre éducation profondément catholique nous montrait intégrés dans un dessein très élaboré de la Providence ; et même si la Création nous a été hostile après l’expulsion de l’Éden, nous étions néanmoins aidés par l’alternance sereine des saisons et le rythme réconfortant des célébrations religieuses à mener une vie qui répondait encore à l’harmonie voulue par le Créateur.

Loué sois-Tu, mon Seigneur,
pour toutes Tes créatures,
Et particulièrement pour messire frère Soleil,
Qui donne le jour et par qui Tu nous éclaires.
Il est beau, il rayonne d’une grande splendeur…

Nous pouvions encore admirer à l’aube, en cette saison, le ciel qui s’éclaircissait et brillait de son bleu radieux : aujourd’hui, nous nous sommes habitués à la chappe grise des cieux ensemencés artificiellement. Et nous comprenons, seulement aujourd’hui, à quel point nous tenons pour acquise la lumière du soleil, qu’un philanthrope autoproclamé voudrait masquer :

et de toi, le Très Haut, il nous offre le symbole.

Réfléchissons-y : la haine de l’Ennemi semble se manifester progressivement avec de plus en plus d’arrogance, et priver l’humanité de la lumière du soleil est une figure inquiétante de l’obscurcissement du Christ, Sol justitiæ, par les adeptes de l’Adversaire.

Loué sois-Tu, mon Seigneur, pour frère le Vent, pour l’Air et pour le Nuage,
pour le Ciel pur et pour tous les Temps,
Par quoi Tu maintiens en vie toutes tes créatures.

Cette société encore catholique, bien que minée par les erreurs du libéralisme ou du matérialisme athée, a réussi à survivre jusque dans les années Soixante parce qu’elle a été maintenue en vie par l’œuvre sanctifiante de l’Église et par une génération de prêtres formés selon le modèle traditionnel.

Pour faire avaler à ces bons curés et religieux le morceau indigeste de Vatican II, il a fallu des années et des années de rééducation et de purges, mais entre-temps – même là où le rite réformé avait remplacé la Messe Catholique – la Foi du Christ était toujours prêchée en chaire. Pour cette seule raison, les erreurs modernes n’ont pas pu s’enraciner partout : la crainte de Dieu, le respect de la sainteté de la vie, la reconnaissance du rôle social de la famille et la volonté de Bien restaient gravées dans les âmes. Pendant ce temps, le cancer conciliaire se propageait dans les universités pontificales, dans les séminaires, dans les couvents, dans les associations catholiques.

C’est alors que la Hiérarchie catholique abandonna les Rogations, les considérant comme une manifestation interdite d’un fidéisme quasi superstitieux.

Les esprits orgueilleux et hautains des novateurs ne pouvaient tolérer que le peuple chrétien demande pardon pour ses péchés, invoque la miséricorde du Seigneur et demande Ses bénédictions sur les champs. C’était une vision ‘‘médiévale’’, indigne de la conscience élevée et adulte des modernistes. C’était un obstacle au dialogue religieux, parce qu’elle reconnaissait à la majesté divine une centralité que l’homme moderne revendiquait pour lui-même et pour sa dignitas infinita intelligenti pauca. Ainsi, la Providence a été bannie à la fois dans Son intervention dans l’Histoire et dans notre possibilité à L’invoquer. Vatican II, avec sa vision horizontale, nous a exclus de cette conscience consolante de faire partie d’un cosmos dans lequel notre existence individuelle est irremplaçable parce qu’elle est le fruit de l’amour providentiel de Dieu Créateur, Rédempteur et Sanctificateur.

La voix de ‘‘l’église conciliaire’’ nous a fait croire que nous étions tous sauvés par le simple fait que le Christ était un homme comme nous ; et donc qu’il ne pouvait y avoir de punition parce qu’il n’y avait pas de faute à punir ; donc il n’y avait plus de Dieu à implorer pour arrêter le bras de Sa juste colère sur nous pécheurs. Cela signifiait – et nous le voyons confirmé aujourd’hui – que même un Rédempteur n’était pas nécessaire, et que le Sacrifice de la Croix était inutile. Mais si tout le monde est sauvé, à quoi sert l’Église ? S’il n’y a pas de déluge, à quoi sert l’Arche ? Si le monde peut vivre en paix et en harmonie sans Dieu, pourquoi devrions-nous Le prier ? Si nous voulons de la pluie, nous la faisons tomber nous-même, et si les champs s’assèchent, nous cultivons des plantes OGM en hydroculture, nous créons de la viande synthétique, nous remplaçons le blé par des cafards, la nature par des panneaux solaires, la vie par sa réplique grotesque dans une éprouvette.

L’âme du peuple catholique est résumée dans les Rogations, parce qu’en invoquant la miséricorde et la bénédiction de Dieu sur les fruits de la terre qui mûrissent dans les champs et le long des sillons, ce peuple se reconnaît avec un humble réalisme comme pécheur, capable de s’amender, de faire pénitence, de défendre sa Foi avec l’élan généreux et sincère de Pierre : Seigneur, avec toi, je suis prêt à aller en prison et à la mort (Lc 22, 33).

Ce monde chrétien, chers frères, a été anéanti : dans de nombreuses nations, suivre ses principes est considéré comme un crime.

Mais s’il est humainement difficile de penser qu’il est possible de reconstruire ce modèle sur les ruines d’une humanité abrutie et rebelle, nous avons néanmoins la possibilité de former de petites communautés dans lesquelles la Foi catholique est gardée et préservée selon ce mode de vie ancien et sacré, dans la conscience que nous devrions peut-être aussi nous adapter à la clandestinité et au maquis. C’est alors que nos enfants découvriront avec étonnement et incrédulité combien il est préférable de labourer un champ, de défricher un potager, de cultiver des fruits, d’élever du bétail, de faire paître des moutons, de savoir faire du fromage et de cuire du pain. Parce que cette sueur bénie du front nous ramène au caractère concret de notre condition d’exsules filii Hevæ mais nous libère de la servitude des centres d’appels, de l’usure, de la nécessité d’acheter et de manger ce que les autres ont décidé.

Le retour à la Foi est possible en créant de petites communautés traditionnelles, dans lesquelles affronter les éléments, suivre les rythmes des saisons, la fatigue de l’été et le repos de l’hiver, la prière constante pour rythmer les journées ; des jours où nous nous levons avec la lumière du soleil et le signe de la Croix, et à la fin desquels nous nous couchons avec les noms de Jésus et de Marie sur les lèvres ; des jours où la grêle s’éloigne avec une oraison jaculatoire et en allumant la bougie bénie, où l’agonie d’une âme est accompagnée par le tintement de la cloche, et non par l’arrogance de médecins corrompus et d’infirmiers sans cœur.

Voilà pourquoi nous prions aujourd’hui : pour qu’il y ait des agriculteurs dans les champs, des vignerons dans les vignes, des bergers pour les troupeaux, des travailleurs infatigables dans les moments de sérénité et de tempête, dans la chaleur et avec la galaverne.

Et cela est vrai pour les récoltes et le bétail, mais aussi et surtout pour le champ du Seigneur, pour Sa vigne, pour Son troupeau : c’est la raison pour laquelle dans les Litanies nous supplions d’être épargnés a fulgure et tempestate, a peste, fame et bello, mais aussi ut domnum Apostolicum et omnes ecclesiasticos ordines in sancta religione conservare digneris. C’est à cela que servent les ministres du Très-Haut : cultiver et semer la Parole de Dieu par la prédication ; multiplier les grappes de l’unique vigne ; paître les brebis que le Seigneur leur a confiées.

L’anniversaire de l’ordination sacerdotale des pères Lorenzo et Emanuele et de ma consécration épiscopale nous rappelle l’importance du Sacerdoce catholique, surtout à une époque où il y a de moins en moins de ministres qui sont restés fidèles au Christ. Le Collegium Traditionis est précisément un séminaire, un lieu – et le comprendront bien ceux qui connaissent la vie rurale – où la semence de la vocation est faite pour grandir et se développer, avant que la plante puisse être plantée, renforcée et porter du fruit. Demandons aussi, à l’exemple et par l’intercession du glorieux Apôtre et Évangéliste Marc, de voir bénis les fruits surnaturels de cette pépinière de futurs prêtres : pour la gloire de Dieu, l’honneur de la Sainte Église, le salut des âmes. Ainsi soit-il.

+ Carlo Maria Viganò, Archevêque

25 Avril 2024, S.cti Marci Ev.

© Traduction de F. de Villasmundo pour MPI  relue et corrigée par Mgr Viganò

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