Pourquoi un authentique chrétien doit-il célébrer dignement la Toussaint ? Et inversement, pourquoi faut-il se détourner d’Halloween ?
D’abord parce que les deux événements coïncident dans le calendrier, et que nos obligations religieuses s’imposent face à ce qui est présenté comme un divertissement carnavalesque. Mais aussi ensuite parce qu’il n’est pas possible de servir à la fois le Bien et le Mal. Comment cela ? Pour avoir une idée juste des choses, il est nécessaire de se tourner vers les origines et, instruits par l’histoire, de déterminer notre conduite pour les temps actuels.
La plupart des sources s’accordent à trouver l’origine d’Halloween dans la principale célébration religieuse de l’année gaélique, communément désignée du nom de Samain. La recherche historique pose que le peuplement celtique était établi dans le courant du Ve siècle avant Jésus Christ. La présence des Celtes est attestée par les anciens textes, la toponymie, les caractéristiques des objets et particulièrement des œuvres d’art. 450 ans avant l’ère chrétienne, l’historien grec Ephore partageait l’Europe barbare entre les Scythes, au nord, et les Celtes, au couchant. La langue celtique a survécu jusqu’à nos jours là où le latin n’a pas pénétré profondément : en Ecosse, en Irlande, au Pays de Galles et en Armorique. De tradition orale, la culture celte aurait peut-être disparu si, paradoxalement, les moines irlandais n’avaient pas transcrit les légendes chantées par les bardes depuis au moins un millénaire. C’est ainsi que nous disposons d’une quantité appréciable d’informations sur les mœurs et les croyances du second âge du fer1.
Les fêtes saisonnières revêtaient une grande importance pour tous les peuples dans l’Antiquité. Les Celtes procédaient à quatre principales célébrations annuelles au début des mois de février, mai, août et novembre. Fixée au 1er novembre, la fête de Samain marquait la fin de l’année et le début de l’année à venir. Cette fête rassemblait toute la communauté, car c’était une période où le temps était aboli et où l’univers du sidh – c’est-à-dire, des êtres surnaturels – et l’univers des hommes étaient confondus. Cette fête consistait en une réalisation symbolique d’un monde où les vivants et les morts se retrouvaient. Pour la classe des guerriers, la fête se plaçait sous le signe de l’abondance et de l’ivresse, au point de devenir une orgie sacrée. Les querelles sanglantes pouvaient accompagner des pratiques religieuses sacrificielles2.
Bien qu’altérées, des traces de ces rites se sont perpétuées dans les coutumes anglo-saxonnes d’Halloween, notamment à travers les déguisements et les processions burlesques, mais aussi dans certaines croyances bretonnes relatives au voisinage des défunts3. Ainsi, l’étymologie du mot Halloween est anglaise et non gaélique. Il s’agit d’une altération de All Hallow’s Eve, qu’on peut traduire par « la veille de tous les Saints4 ». A l’origine, Halloween est donc née en terre celtique sous domination politique et linguistique anglo-saxonne, directement rattachée à la fête chrétienne de la Toussaint, mais influencée par un héritage païen croyant à la rencontre entre les vivants et les morts. Une pratique que le christianisme condamne en s’appuyant sur le Deutéronome : « Qu’on ne trouve chez toi personne (…) qui interroge les morts. Car tout homme qui fait ces choses est en abomination à Yahweh5 ».
Après la grande famine de 1845 en Irlande, deux millions d’Irlandais émigrèrent aux Etats-Unis où ils transportèrent la fête d’Halloween. La coutume se répandit que les enfants, costumés en incarnations du mal ou de la mort telles que squelettes, sorcières ou autres personnages maléfiques, fassent du porte-à-porte pour réclamer des bonbons aux habitants. Avec le temps, le phénomène prit une dimension festive, mais aussi commerciale. Malheureusement, l’introduction dans la société humaine de représentations effrayantes ou démoniaques a aussi pour conséquence de dédramatiser le mal, de le banaliser, de lui donner droit de cité, un certain charme même, et peut entraîner certains esprits faibles vers la pratique de l’occultisme, voire du satanisme. En 1988, juste à la veille de la fête d’Halloween, sur la chaîne NBC, l’animateur Geraldo Rivera lança une incroyable nouvelle : un groupe satanique se serait apprêté à sacrifier une jeune vierge blonde aux yeux bleus ! Panique dans tout l’Indiana, tandis que les murs se couvraient de graffitis lucifériens. Les forces de police furent mobilisées. Rien ne se passa. Mais d’Est en Ouest, des dizaines de cimetières furent profanés, comme à l’Old Sailors Snug Harbor Cemetery de Staten-Island : tombes arrachées, symboles sataniques couvrant un mur entier6.
En France, Halloween a été introduite pour la première fois à Nantes en 1992, par une habitante qui avait participé à cette manifestation deux fois aux Etats-Unis. Mais c’est en 1997, à l’initiative de sociétés commerciales, que le phénomène fut massivement introduit dans notre pays7. Avec un succès mitigé, la nuit d’Halloween étant régulièrement marquée par des violences urbaines8.
Même si le succès commercial d’Halloween n’a pas été à la hauteur des espérances de ses promoteurs, la déchristianisation qui touche la France appelle les catholiques fidèles à réaffirmer leur foi à l’occasion de la merveilleuse fête de la Toussaint.
Qu’est-ce qu’un Saint ? Le mot connaît de nombreuses acceptions, qui toutes convergent vers Dieu. A l’origine, le mot « saint » provient du latin sanctus qui signifie « souverainement pur, parfait ». Selon la doctrine chrétienne, Dieu seul est absolument Saint. Mais parce que Dieu est amour, les hommes qui ont répondu à son appel peuvent être appelés Saints dès lors qu’après la mort, ils sont associés à la sainteté divine. C’est pourquoi l’Eglise catholique propose à ses fidèles l’exemple de personnes dont la vie lui paraît avoir clairement mérité le partage de la sainteté divine.
Les premiers chrétiens prirent l’habitude de se réunir sur la tombe des martyrs à l’anniversaire de leur mort. Peu à peu, les martyrs devinrent des modèles, et les fidèles sollicitaient leur intercession auprès de Dieu. Le culte rendu aux martyrs fut bientôt accompagné d’une vénération de leurs reliques. Et les reliques étant transportées à différents endroits, le culte des Saints se répandit en les accompagnant. L’habitude vint ensuite d’étendre la vénération aux évêques fondateurs d’églises, aux moines évangélisateurs, aux vierges consacrées, aux grands mystiques… Parfois, le culte des Saints fut utilisé pour christianiser des lieux de culte, et même pour se substituer à des fêtes païennes ! Les Saints furent proposés à la vénération, mais aussi à l’imitation des fidèles. Des vies de Saints furent rédigées dès le milieu du IVe siècle9.
L’Eglise catholique distingua entre les Saints en les hiérarchisant. Au sommet, elle plaça les très grands Saints, dont le rôle fut reconnu comme primordial en termes de témoignage, de transmission et d’approfondissement de la foi. Elle appela ensuite les Saints universellement vénérés, dont les mérites et les vies étaient connus. Elle accepta enfin de nombreux Saints moins bien connus, soit que leur rayonnement était demeuré local, soit que leur vie était peu connue. Suivant leur importance, les Saints furent célébrés pendant les Solennités qui sont les très grandes fêtes catholiques. Vinrent après les Fêtes, qui prirent place après les Solennités et les dimanches. On inscrivit ensuite les Mémoires, qui relevaient plutôt de la commémoration. Arrivèrent pour finir les Mémoires ad libitum, qui sont facultatives. Aux Saints du calendrier romain s’ajoutèrent également des Saints appartenant à des calendriers propres. En France, c’est le cas de Sainte-Geneviève, de Saint-Rémi, de Sainte-Bernadette ou encore de Sainte Jeanne d’Arc.
L’année ne comptant que 365 jours, il fut bientôt impossible de commémorer les milliers de Saints que les autorités ecclésiastiques, mais également la ferveur des fidèles avaient désignés. Il en existerait plus de 40 000.
A Rome, sous l’Empereur Auguste, le temple d’Agrippa fut dédié à tous les dieux du paganisme et prit le nom de Panthéon. Sous le règne de l’Empereur byzantin Phocas, entre 607 et 610, le pape Boniface IV y fit déposer de nombreux ossements de martyrs provenant des catacombes. Le 13 mai 610, il dédia cette nouvelle basilique chrétienne à Sainte Marie et aux martyrs. Par la suite, la fête de cette dédicace prit un caractère plus universel et on consacra l’édifice à Sainte Marie et à tous les Saints10.
Depuis les premiers temps du christianisme, la fête de tous les Saints, connus et inconnus, était célébrée dans la mouvance de Pâques ou de la Pentecôte. Au Ve siècle, en Syrie, c’était le vendredi de Pâques. A Rome, la Toussaint était probablement fêtée le dimanche après la Pentecôte, avant d’être déplacée au 13 mai au jour anniversaire de la dédicace de l’ancien Panthéon. Cette fête fut connue sous le nom de « Fête de tous les martyrs, de tous les saints et de Marie11 ». En 835, le pape Grégoire IV fixa la date de la Toussaint au 1er novembre pour le monde entier.
Le lien entre les martyrs et la Toussaint a été réaffirmé dans la célébration liturgique. Ainsi, l’Introït de la Toussaint est celui de la messe de Sainte-Agathe. L’Evangile, l’Offertoire et la Communion sont tirés du Commun des Martyrs. D’autre part, « l’Eglise donne à la Toussaint une admirable vision du Ciel où elle montre, avec Saint-Jean, les douze mille inscrits de chaque tribu d’Israël, et une grande foule, que nul ne peut compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue, debout devant le trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches et ayant des palmes à la main. Le Christ, la Vierge, les bienheureuses phalanges distribuées en neuf chœurs, les apôtres et les prophètes, les martyrs empourprés de leur sang, les confesseurs parés de vêtements blancs et les chastes chœurs de vierges forment, nous dit l’Hymne des Vêpres, ce majestueux cortège12 ». La particularité de la messe de Toussaint est aussi que l’Evangile évoque un passage du Discours sur la montagne où Notre-Seigneur expose les huit Béatitudes, c’est-à-dire les moyens de parvenir à la sainteté13.
Dans une description fort imagée, le Vicomte Walsh décrivit le sens profond de la Toussaint : « [Le catholicisme] a mis chaque jour de l’année sous la protection spéciale d’un habitant du ciel ; et comme l’année est loin d’avoir autant de jours que les cieux ont d’élus, il a couronné toutes les commémorations particulières par une commémoration générale14. » Et de conclure : « En cette solennité de la Toussaint, l’Eglise qui est sur la terre donne la main à l’Eglise qui est au ciel15 ».
Pourquoi les catholiques doivent-ils particulièrement participer à la fête de la Toussaint ? Le pape Saint-Pie X a répondu à cette question par plusieurs raisons dans son Catéchisme. Il faut fêter la Toussaint pour louer Dieu et le remercier d’avoir sanctifié les Saints sur la terre et de les avoir couronnés de gloire dans le ciel. Il faut fêter la Toussaint pour honorer tous les Saints qui n’ont pas une fête particulière dans l’année. Il faut fêter la Toussaint pour multiplier le nombre des Saints qui intercèderont en notre faveur auprès de Dieu. Il faut fêter la Toussaint pour méditer l’exemple des vies des Saints, de tous âges, sexes et conditions, car ils étaient des hommes comme nous, et sujets aux mêmes passions, mais ils se sont faits saints par des moyens dont nous pouvons user nous-mêmes16.
Que faire le jour de la Toussaint ?
Avec Noël, l’Epiphanie, l’Ascension, la Fête-Dieu, l’Immaculée conception, l’Assomption de Marie, de Saint-Joseph, de Saint-Pierre et de Saint-Paul, la Toussaint fait partie des fêtes d’obligation de l’Eglise catholique17. Cela signifie que les catholiques ont l’obligation d’assister à la messe, et de s’abstenir d’effectuer des œuvres serviles18.
Autrefois, les fidèles s’assemblaient la veille des grandes fêtes et passaient la nuit à prier et à chanter des psaumes. Si cette pratique a disparu, l’Eglise catholique prescrit néanmoins le jeûne et l’abstinence la vigile, c’est-à-dire la veille, de la Toussaint. Pour mémoire, le jeûne consiste à ne prendre qu’un repas principal par jour, le midi ou le soir. L’abstinence défend de consommer de la viande et, en général, de tout aliment gras. Jadis, les œufs, le beurre et les laitages étaient également défendus19.
Enfin, fêter la Toussaint et non pas Halloween doit conduire les catholiques à remplacer le Mal par le Bien. Une fête toute de dignité peut être substituée à la fête désordonnée. La Toussaint peut être l’occasion de lire, de réciter et de commenter la vie de certains Saints. Ces Saints peuvent être ceux dont nous portons les prénoms. Un côté festif peut être recherché à travers les activités familiales, amicales ou diocésaines. Les enfants pourront se déguiser en Saints de tous les temps et faire revivre la Légende dorée. Et si on aime le théâtre, pourquoi ne pas interpréter un miracle, un jeu ou un mystère du Moyen âge ?
André Murawski – 31 octobre 2024
Notes
1 Paul-Marie Duval, Les Celtes, Gallimard, 1977
2 Jean Markale, La tradition celte, in L’Europe païenne, Seghers, 1980
3 Jean Markale, La tradition celte, in L’Europe païenne, Seghers, 1980
4 https://fr.wikipedia.org/wiki/Halloween#%C3%89tymologie_et_orthographe
5 Abbé Crampion, La Sainte Bible, Desclée et Cie, 1923
6 https://www.monde-diplomatique.fr/1991/02/CARLANDER/43263
7 https://fr.wikipedia.org/wiki/Halloween#Historique
8 https://www.tf1info.fr/justice-faits-divers/armes-factices-feux-d-artifice-gaz-inflammable-ce-qu-il-faut-savoir-sur-les-restrictions-en-vigueur-pour-la-nuit-d-halloween-le-31-octobre-2024-2331402.html
9 Théo, L’encyclopédie catholique pour tous, Droguet-Ardant/Fayard, 1989
10 Dom Gaspar Lefebvre, Missel quotidien et vespéral, Société liturgique canadienne, 1943
11 Théo, L’encyclopédie catholique pour tous, Droguet-Ardant/Fayard, 1989
12 Dom Gaspar Lefebvre, Missel quotidien et vespéral, Société liturgique canadienne, 1943
13 Auguste Boulenger, La Doctrine catholique, Clovis, 2021
14 Vicomte Walsh, Tableau poétique des fêtes chrétiennes, Tournai, 1850
15 Vicomte Walsh, Tableau poétique des fêtes chrétiennes, Tournai, 1850
16 Catéchisme de Saint-Pie X, Editions Dominique Martin Morin, 2010
17 Théo, L’encyclopédie catholique pour tous, Droguet-Ardant/Fayard, 1989
18 Auguste Boulenger, La Doctrine catholique, Clovis, 2021
19 Auguste Boulenger, La Doctrine catholique, Clovis, 2021
Source : Le nouveau Présent
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