Marie de Hennezel, psychologue, ayant travaillé dix ans en soins palliatifs et enquêté sur les services qui accueillent des personnes en état végétatif chronique, s’exprime au sujet de la mise à mort de Vincent Lambert dans le journal Ouest-France :

« De quel côté est l’acharnement ? »

Par Marie de Hennezel, psychologue

Le docteur Claire Fourcade, vice-présidente de la société française des soins palliatifs, s’est exprimée sur ce qui lui paraissait « la moins mauvaise solution » dans l’affaire Vincent Lambert. À savoir l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielle dont bénéficie ce patient, désormais condamné à mourir. Psychologue, ayant travaillé dix ans en soins palliatifs et enquêté sur les services qui accueillent des personnes en état végétatif chronique, j’aimerais exprimer ici mon désaccord. Selon moi, Vincent Lambert n’est pas en fin de vie et ne relève pas de la loi Léonetti. Une autre solution aurait pu être trouvée, puisque plusieurs services adaptés à son état acceptaient de le recevoir.

La décision qui vient d’être prise fera jurisprudence. Elle aura des conséquences sur les 1 700 personnes cérébrolésées, leurs familles et les soignants qui prennent soin d’elles. Pourquoi y aurait-il du « cas par cas » ou du « sur-mesure » dans une société qui juge que la vie de certains ne mérite plus d’être vécue, qu’ils n’ont plus leur place dans la communauté des vivants, à partir du moment où leur cortex est détruit ? Le jour où peut-être notre société jugera que les soigner coûte trop cher ?

Ce qui se joue autour du sort de Vincent Lambert est d’abord un enjeu éthique. On essaie de nous faire croire que le débat oppose croyants et athées, mais les questions éthiques concernant l’évaluation de l’obstination déraisonnable sont les mêmes pour tous. Au nom de quoi affirme-t-on – sans l’ombre d’un doute – qu’une personne est en obstination déraisonnable ? L’être humain se réduit-il aux connexions électriques du cerveau ? Comment les expertises scientifiques ont-elles pu passer sous silence le rôle du système limbique, parfois appelé cerveau émotionnel ?

Même si dans l’état actuel de la science, on sait encore peu de chose sur ce néocortex, n’est-ce pas un peu péremptoire de qualifier de « réflexes » les réactions émotionnelles de Vincent Lambert, et de tenir pour négligeable la résistance qu’il oppose à la volonté des autres de mettre fin à sa vie ? (1) Lors d’une visite de l’hôpital maritime de Berck, j’avais rencontré les soignants qui prenaient soin de ces personnes cérébrolésées. J’en avais rendu compte dans mon livre Le souci de l’autre. Une infirmière m’avait rapporté que la vie des personnes qu’elle soignait avait un sens parce qu’elles comptaient pour quelqu’un. Cela pouvait être un conjoint, un parent, souvent la mère. « Savez-vous, m’avait-elle dit, que la personne cérébrolésée meure dans les 48 heures qui suivent le décès de la personne qui vient régulièrement la voir, sans que l’on ait à intervenir médicalement. Elle s’arrête simplement de respirer ». J’avais été particulièrement intéressée par cette observation, qui montre qu’un lien affectif profond, malgré la détérioration des fonctions cérébrales, donne du sens à la vie. Je savais, comme tous les psy, que des liens inconscients tissent les profondeurs de notre psyché, et peuvent être si puissants que la vie et le sens sont maintenus.

Vincent Lambert aurait mérité une « solution » plus apaisante, digne de nos valeurs démocratiques d’humanité et de solidarité aux côtés des plus vulnérables, loin des enjeux politico-juridico-médiatiques. Pourquoi s’être acharné à refuser son transfert dans un service adapté à son état ? 

(1) E.Hirsch, Le Figaro du 3 juillet. »

Francesca de Villasmundo

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