La grève est vue à l’étranger comme une tradition française, mais certains métiers n’y sont que très peu sujets. Le média sportif Corner revient sur la grève unique des footballeurs français, portée par l’UNFP et les tiraillements avec les clubs sur le contrat sportif des joueurs :
« 3 décembre 1972. La 17ème journée du championnat tourne à la farce. Les joueurs répondent à l’appel lancé la veille par leur syndicat, l’UNFP (Union Nationale des Footballeurs Professionnels), qui les exhorte à ne pas jouer. Seize des vingt équipes sont touchées par le mouvement de grève. Faute de joueurs en nombre, cinq matchs sont annulés. Les cinq autres ont lieu, mais avec des amateurs alignés pour combler les trous. Ce bricolage de dernière minute donne lieu à une mascarade. Le Paris FC, amputé de la quasi-totalité de ses titulaires, parmi lesquels l’international Louis Floch et l’ex-capitaine des Bleus Jean Djorkaeff, s’incline 11-1 face à un FC Metz au complet ou presque. A Furiani, Bastia surclasse un OL décimé par les absences.
Le syndicat a gagné son pari : c’est la chienlit ! Le foot français, déjà dans l’œil du cyclone pour ses médiocres résultats, se couvre d’opprobre en ces temps pompidoliens. Une époque faite de compromis, de consensus, où la bien-pensance dominante réprouve les remous médiatiques créés par ces rebelles en short. Pour sortir de l’ornière dans laquelle l’UNFP les a fait tomber, les instances n’ont plus le choix, elles doivent renouer le dialogue avec les joueurs pour sortir du chaos« .
Une première occasion avait eu lieu en 1968 : » « Soyez réaliste, demandez l’impossible ! » scandent les étudiants sur les barricades du quartier latin. Quelques footeux amateurs le prennent au mot et investissent les locaux de la FFF le 22 mai à 8 heures. Ils barricadent l’entrée du bâtiment et confinent les employés, dont Georges Boulogne, le Directeur Technique National. Sur le fronton de l’immeuble cossu du 16ème arrondissement, ils installent deux banderoles : « Le football aux footballeurs » et « La Fédération, propriété des 600 000 footballeurs ». Quelles sont leurs revendications ? Eux-mêmes ne le savent pas vraiment. […] Dans un joyeux bazar, la FFF vit pendant cinq jours au rythme des débats enflammés sur le football du futur. Pour se dégourdir les jambes entre deux colloques, les rebelles improvisent des cinq-cinq sur la très chic avenue d’Iéna. La fête s’achève le 27 mai, quand les accords de Grenelle mettent fin à la « révolution ». La FFF est libérée, les insurgés rentrent chez eux. Ils n’ont rien obtenu mais leur action aura des effets secondaires quelques mois après« .
En effet, « effrayé par l’anarchie de mai 68, Jean Sadoul, le président du groupement des clubs, fait l’erreur de durcir le ton avec les joueurs. Il envisage une baisse des salaires et la suppression du pécule de fin de carrière. Opportuniste, l’UNFP profite de ces provocations pour repartir au combat. Décomplexé par mai 68, le syndicat brandit la grève en menace. Et cela porte ses fruits. En effet, en juin 1969, l’UNFP atteint son Graal : le contrat à vie est aboli, remplacé un CDD qu’on nomme « le contrat à temps ». Il est convenu que trois années de transition sont accordées aux clubs pour se mettre en règle avec la réforme« .
Sauf qu’en 1972, rien n’est réglé, les clubs lambinent et prolongent les contrats à vie qui leur sont si favorables.
« A l’automne 1972, Marius Trésor, le libéro guadeloupéen, va montrer l’exemple en résistant au diktat de son président. Nommé meilleur joueur du championnat, il aspire à un meilleur salaire et à une équipe huppée, mais son club d’Ajaccio le retient. Décidé à aller au bras de fer, Trésor quitte la Corse et disparait des radars. Il ne donne pas de nouvelles. Pendant huit jours, il se cache secrètement chez un cadre de l’UNFP. Son absence fait fantasmer la presse qui extrapole sur son supposé kidnapping. Du côté des instances, on rit jaune car Marius n’est pas n’importe qui : il est titulaire chez les Bleus et aimé du public. Quand il refait surface, le rapport de force penche en sa faveur. Désireux d’éteindre l’incendie médiatique, la FFF et le GFP forcent Ajaccio à céder. Aux forceps, Trésor obtient gain de cause et rejoint l’OM.
Juste après l’affaire Trésor, l’UNFP voit rouge lorsque le GFP décide unilatéralement d’allonger les durées du contrat stagiaire et du premier contrat pro. Cette nouvelle convention immobiliserait encore les joueurs dans leur club formateur jusqu’à 29 ans. Jean Sadoul argumente tant bien que mal mais personne n’est dupe. Les clubs s’entendent pour garder les joueurs sous contrôle et éviter l’envolée des salaires. Fin novembre, l’UNFP réagit et convoque une assemblée générale qu’elle appelle pompeusement « assises internationales des footballeurs professionnels ». La réunion est un succès : quatre cents joueurs s’y rendent et s’unissent derrière leurs leaders syndicaux que sont Philippe Piat (Strasbourg), Jean-Claude Bras (Red Star), Claude Le Roy (Ajaccio), Paul Orsatti (Avignon) et Guy Lassalette (Angers). Ils votent massivement contre la convention du GFP et pour l’annulation des contrats signés avant 1972.
[…] Le dialogue est rompu et le 2 décembre, un télégramme de Philippe Piat lance la grève. Massivement suivi le lendemain, le mouvement transforme la 17ème journée de D1 en parodie de sport et ridiculise les présidents de clubs, comme décrit plus haut dans ce texte« .
En fin de compte, la grève est assez rapidement arrêtée par l’intervention du gouvernement, et puis un jeune énarque, auditeur de la cour des comptes qui s’est porté volontaire, un certain Philippe Seguin, est dépêché pour éteindre le feu et arriver à un accord.
« Passionné de foot, le jeune énarque de 29 ans s’avère clairvoyant, innovant, diplomate. Il rédige un document-synthèse remarquable. « Le rapport Seguin, c’est une bible ! » selon le président de la FFF, Fernand Sastre. À la table des négociations avec la Fédé, le GFP et l’UNFP, Seguin est habile et réussit à ménager la chèvre (désolé) et le chou. En aout 1973, les trois parties signent avec le sourire la Charte du Football Professionnel.
La France devient le premier pays au monde à doter les footballeurs d’une convention collective spécifique. La finesse principale est d’instaurer simultanément le contrat à temps et les indemnités de transfert. D’un côté, les joueurs gagnent leur liberté et négocient leur revenu. De l’autre, les clubs voient leurs effectifs constituer un capital avec lequel ils peuvent spéculer. Aujourd’hui encore, ce système gagnant-gagnant est toujours en vigueur, il s’est mondialisé et il n’est pas remis en cause« .
Cette grève restera unique. Mais elle rappelle pour toujours que lorsque les travailleurs sont pris pour des chèvres, tôt ou tard, les responsables seront confrontés aux conséquences de leurs abus.
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