Anne Coffinier met en garde :
Une proposition de loi soutenue par la sénatrice Gatel n° 589 « visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture des établissements privés hors contrat » sera examinée en première lecture le 21 février prochain au Sénat. Présentée par des centristes, elle ressuscite fort inopportunément et d’une manière à peine atténuée le projet que Najat Vallaud-Belkacem avait essayé de faire adopter in extremis par voie d’ordonnance.
On se souvient en effet que l’ancienne ministre de l’Education nationale, Mme Najat Vallaud-Belkacem, avait mené une offensive particulièrement musclée en direction des écoles indépendantes pour restreindre leurs conditions d’ouverture. Elle voulait transformer l’actuel régime de déclaration en régime d’autorisation, structurellement plus restrictif des libertés d’enseignement et d’entreprise. Son projet de réforme avait été rejeté par le Conseil constitutionnel, parce qu’il portait « une atteinte disproportionnée à la liberté constitutionnelle d’enseignement, indissociable de la liberté d’association » (décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017.)
Malheureusement, c’est sous une forme renouvelée, mais tout aussi pernicieuse, que se présente une nouvelle menace sur les ouvertures d’écoles, tout en prétendant rester dans un régime de déclaration. Explications.
Cette proposition de loi consiste à soumettre l’ouverture des écoles, collèges et lycées privés hors contrat à un régime juridique particulièrement restrictif et dissuasif, qui a tout du régime d’autorisation sauf le nom :
1°Les délais d’opposition à l’ouverture seraient allongés à 2 mois (pour le maire) et 3 mois (pour les recteur, préfet, et procureur) au lieu de 8 jours actuellement pour le maire et d’1 mois actuellement pour les autres autorités. Les motifs d’opposition seraient fortement élargis, incluant désormais les programmes et les volumes-horaires par matière, ce qui constitue un changement majeur.
2° Les noms et les titres des enseignants devraient être communiqués en amont (alors qu’en pratique, la composition définitive du corps professoral ne peut que très rarement être arrêtée 4 mois avant le début, vue la pénurie actuelle d’enseignants).
3° La liste exacte des pièces constitutives du dossier à déposer serait fixée par décret, ce qui offre de moindres garanties que la loi, alors qu’il s’agit d’une liberté constitutionnelle. Les gouvernements successifs pourraient aisément ajouter d’autres pièces administratives et exigences par ce biais.
4° Les sanctions pécuniaires seraient renforcées en cas de non-respect des procédures.
Cette proposition de loi cherche manifestement à contourner l’obstacle de la jurisprudence constitutionnelle de janvier 2017 pour parvenir tout de même au but, alors avoué par Mme Belkacem en conférence de presse : freiner l’essor des écoles hors contrat.
Si cette proposition de loi aboutissait, elle aurait des conséquences très préoccupantes :
1° Les écoles hors contrat en viendraient à être nettement plus contrôlées par l’Education nationale que les écoles sous contrat, alors qu’elles ne sont pas financées par l’argent public, qu’elles sont bien plus fortement inspectées une fois qu’elles sont ouvertes (l’an dernier, presque toutes ont été inspectées par des commissions pouvant compter jusqu’à 12 membres !), et qu’elles portent sur l’établissement dans son ensemble, ce qui correspond à un contrôle bien plus approfondi et bien plus fréquent que dans l’enseignement public ou l’enseignement sous contrat (simple contrôle de conformité pédagogique, portant sur l’enseignant seulement, et organisé en moyenne une fois tous les 7 ans). Vu l’élargissement des délais comme des motifs d’opposition, on aboutirait à un contrôle d’opportunité, ce qui serait très grave pour une liberté de rang constitutionnel.
2° L’allongement des délais d’examen du dossier associé à l’exigence (déjà existante) de communiquer le plan des locaux, contraindrait les créateurs à louer à vide des locaux pendant des mois. Cela renchérirait lourdement le coût d’ouverture d’une école, et donc freinerait nettement les créations d’école d’une part et d’autre part favoriserait les écoles lucratives par rapport aux écoles associatives à but non lucratif (qui n’auront pas les ressources financières pour endurer de tels délais et donc de tels coûts).
3° Les projets pédagogiques (volumes et programmes) et même les profils de créateurs et d’enseignants ressembleraient davantage à ceux de l’Education nationale, ce qui réduirait l’intérêt présenté par les écoles indépendantes (qui auraient tendance à s’aligner sur les écoles publiques, pour obtenir un « droit à naître » de la part de l’administration). Les enfants perdraient la possibilité de disposer de vraies alternatives par rapport aux écoles suivant les programmes et l’approche pédagogique de l’Education nationale (enfants dys, HP etc..). Alors que l’Education nationale se montre pour l’heure impuissante à éviter que 40 % des enfants connaissent de graves lacunes à la fin du primaire, à redresser le niveau de lecture de nos écoliers (la France est 34ème au classement PIRLS 2017), il ne paraît pas légitime de pousser les écoles privées à ressembler davantage aux écoles publiques. Le bon sens du nouveau Ministre ne suffit pas à rendre désormais inutiles les alternatives au modèle scolaire unique promue par l’Education nationale.
En définitive, cette proposition de loi manque totalement ses buts affichés, pourtant consensuels : prévenir la radicalisation d’une part et d’éviter l’indigence académique d’autre part. Si elle venait à être appliquée, ses effets seraient contre-productifs.
1° On alourdit le régime d’ouverture des écoles déclarées alors que les problèmes de radicalisation comme d’indigence académique concernent les écoles clandestines (créées sous forme de cours de soutien ou centre culturel), qui ne sont contrôlées par personne. La priorité est de contrôler mieux ces écoles de fait, pas d’harceler les écoles légalement ouvertes ou pire de dissuader les créateurs d’école de déclarer leur école en alourdissant de manière disproportionnée les procédures à respecter. L’exemple cité par la proposition de loi – à mauvais escient du reste –, à savoir l’école Al-Badr de Toulouse, est à ce titre éclairant. Tous les moyens légaux existent déjà pour la faire fermer, et l’Etat – malgré la décision de justice – n’y est pas parvenu ! Une action législative nettement plus utile aurait été d’étendre le contrôle de l’Etat aux structures éducatives non déclarées légalement sous le statut d’école et d’inciter les services de l’Etat à plus de courage pour contrôler les structures réellement problématiques.
2° Les efforts doivent porter sur l’effectivité et la régularité des contrôles portant sur les écoles, une fois qu’elles sont ouvertes, sur pièces et sur place. En effet, il est vain de prétendre détecter des menées radicales ou une future indigence académique dans le dossier de déclaration. Les personnes voulant instrumentaliser les écoles au service du radicalisme n’auront pas souvent la bêtise de le clamer dans leur dossier de création.
Conclusion :
En alourdissant la procédure d’ouverture (financièrement et en temps), le législateur prend la responsabilité de réduire le nombre d’ouvertures d’écoles – alors que c’est un droit constitutionnel qu’il lui incombe au contraire de garantir, et pas seulement de tolérer.
Il prend aussi la lourde responsabilité de contribuer à la marchandisation du secteur – conséquence qu’il n’avait très probablement pas souhaité. Le retrait du texte est pour cela fortement recommandé. Une proposition de loi bien conçue portant sur l’accroissement du contrôle sur les structures périscolaires serait en revanche pertinente.
Anne Coffinier
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