Voici la version intégrale et non censurée d’un entretien avec Jean-Michel Vernochet publié en version « édulcorée » par le site Bvd Voltaire.
• Vous rentrez de Syrie. Après l’arrivée en force de la Russie, alliée de l’Iran et indirectement du Hezbollah libanais, quoi de neuf sur le terrain ?
Parlons d’abord du front syrien parce qu’à présent la guerre takfiriste est arrivée à Paris. Une guerre qui voue à l’anathème, au herem hébraïque , tous les mécréants, c’est-à-dire tous les non wahhabites sans exception. Cela s’appelle l’effet boomerang et il fallait hélas bien s’y attendre. L’on ne peut impunément nourrir le brasier de la guerre civile, en Libye et en Syrie notamment, sans qu’il n’y ait jamais de retour de flamme.
En Syrie les Russes sont intervenus in extremis pour desserrer l’étau qui commençait à broyer les forces loyalistes. Or ils ont plus fait en deux mois que la coalition euro-américano-arabe en un an. Si à Lattaquié des roquettes Grad continuent à tomber – 22 morts le 10 novembre –, à Damas, ville toujours assiégée, les choses se sont nettement améliorées. En 2013 l’insécurité régnait. Nul ne prenait un taxi inconnu dans la crainte d’un enlèvement. Aujourd’hui cette capitale de sept millions d’âmes revit. Quoiqu’elle soit sévèrement quadrillée, la vie y est quasiment normale, luxueuse même dans ses quartiers d’affaires, lesquels se situent néanmoins à deux Kilomètres des zones de combat de l’immédiate périphérie. Jobar – l’équivalent d’Aubervilliers pour Paris – qui jouxte le quartier chrétien où tombent régulièrement de mortels projectiles, est ainsi le théâtre d’âpres affrontements. La nuit damascène retentit ainsi des coups sourds de l’artillerie et des chars quand les rebelles quittent leurs tunnels labyrinthiques courant sous des ruines dignes de Stalingrad. La nuit venue les islamistes remontent pour combattre en surface : ces galeries s’étagent sur huit à quinze niveaux et se prolongent dans certains cas sur des dizaines de Km. L’on dit que des otages enfermés dans des cages sont exposés sur les toits pour interdire tout bombardement aérien. Un aspect impressionnant de la guerre, pourtant étrangement ignoré de la grande presse.
À présent, en perdant du terrain au nord où la bataille d’Alep fait rage, les gens de l’État islamique se vengent et tentent de faire diversion par un regain d’actions terroristes… Lattaquié, Beyrouth, Paris, Bagdad et maintenant Bamako en témoignent. Or le Golem Daech, est le fruit monstrueux d’un Occident frappé de démence. Il s’est désormais affranchi de sa tutelle et refuse les ordres des apprentis sorciers qui l’ont vicieusement créé. Nous renvoyons les sceptiques aux déclarations de Michael T. Flynn, ancien directeur de l’Agence américaine du Renseignement de la Défense, DIA, qui en août dernier avouait le choix délibéré d’un soutien offensif aux diverses factions djihadistes, cela uniquement pour faire tomber le régime laïc d’el-Assad.
• Avec les attentats parisiens du vendredi 13 dernier, quelque chose aurait-il aussi changé dans les esprits ?
Il suffit d’interroger les gens ordinaires – mais surtout pas les semi-lettrés et bobos de base – pour constater l’importance du choc, un vrai trauma. Tous sans exception, outre la sidération, mettent en cause directe les politiques. Le pékin moyen que l’on pourrait croire lobotomisé par un quotidien lavage médiatique des cerveaux, mezzo voce voit dans ce sinistre vendredi 13 la conséquence de nos erreurs, en fait de nos guerres et de nos crimes. À commencer par la destruction de l’Irak – même si la France s’est abstenue en 2003 – expressément voulue par les néoconservateurs sionistes de Washington… puis la Libye, précieuse digue contre l’invasion sub-saharienne et ensuite la Syrie sous couvert de Printemps arabe. Notons que les armes qui équipaient les tueurs sortaient du Kossovo “libéré” par les soins d’Otan en 1999, des arsenaux de Kadhafi, des dépôts américains d’Irak, bref sont le résultat des guerres impériales auxquelles la France s’est associée. Une politique hégémonique qui depuis vingt-cinq ans vise à faire sauter tous les verrous de souveraineté freinant l’expansion de l’Amérique-Monde et du Grand-Israël tel que rêvé en 1982 par le plan Oded Yinon*. L’opinion publique, aussi désinformée soit-elle, commence malgré tout à le comprendre. La colère gronde.
• Même avec des troupes au sol, la guerre contre Daech est-elle encore gagnable ? Et ensuite comment “gagner” la paix ? Bref, quelle politique pour la suite des événements ?
Daech n’est qu’une partie du problème. Même éradiquée en Syrie, des métastases cancéreuses se sont dispersées un peu partout, du Pakistan au Nigéria. À la frontière algéro-tunisienne des bergers se font régulièrement égorger et décapiter. N’oublions pas que les autorités françaises ont cyniquement cru utile, pour servir en Syrie leur politique de changement de régime soit le renversement du pouvoir légal, tout en se débarrassant des éléments indésirables des banlieues hexagonales, de laisser ouvertement prêcher le djihad dans des mosquées subventionnées, souvent construites par le Qatar wahhabite. Nul ne l’ignorait, reste que cette politique délétère a fini par se retourner contre ses promoteurs en s’achevant dans le bain de sang du Bataclan.
La paix ne sera pas gagnable tant que les euro-atlantistes, de M. Obama à Védrine, le vraisemblable remplaçant au Quai de l’homme du sang contaminé, voudront le départ du président Bachar. Et ce n’est pas pour demain. Croire que l’ultima ratio des motivations occidentalistes serait uniquement le pétrole, le gaz et leurs couloirs d’acheminement, c’est faire preuve d’une effarante naïveté. La réalité est bien au-delà. Car nous participons volens nolens à des guerres eschatologiques mises en œuvre tout autant par un wahhabisme meurtrier que par le sionisme messianique judéo-protestant.
Le 22 novembre 2015
* Nouvelle traduction Éditions Sigest 2015.
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