Ce nouvel ouvrage de Sœur Alice-Marie, dominicaine enseignante, fait suite à son Histoire de la Congrégation du Saint-Nom-de-Jésus de Toulouse, de 1800 (son origine) à 1953, issue de sa thèse de doctorat soutenue avec succès en Sorbonne en 2004.
Comme l’indiquent ses titres et sous-titres, il traite de la période cruciale et dramatique qui suivit et qui aboutit aux départs successifs de deux communautés, devenues aujourd’hui deux congrégations religieuses florissantes.
L’auteur décrit, comme cela n’a jamais été fait jusque-là, l’histoire exemplaire de la persécution d’une institution en plein essor, prise dans les ravages qui ont précédé, accompagné, et surtout suivi le Concile Vatican II. Pour ce faire, elle s’appuie sur une documentation sans faille et des textes incontestables. Elle le fait, enfin, sans pathos ni effets de manches, fussent-elles religieuses, dans une expression parfaite, avec une mesure, une rigueur, une précision, et une clarté qui n’excluent pas l’agrément.
Cette époque est présentée en trois temps : « les nouvelles Constitutions » de 1953, « La Congrégation de 1954 à 1971 : dans la tourmente conciliaire » et « Des tensions à la rupture » (1971-1974).
La réforme des Constitutions, nullement révolutionnaire, correspondait à un besoin formulé, notamment par Pie XII (1), et fut menée par la Supérieure générale d’alors, mère Hélène Jamet, conseillée par le très thomiste père Calmel. La lecture des textes choisis ici permet de découvrir ou de reconnaître l’inspiration de ces modifications, ainsi que l’esprit, les règles, et la vocation de la Congrégation.
Rome les approuva, et elles furent adoptées, mais, première alerte, une petite minorité d’opposantes fit recours à Rome. Sans leur donner raison, une visite apostolique est décidée. Quelques modifications, sans gravité ni véritable lien avec la contestation, sont imposées, ainsi que le report du Chapitre général prévu pour 1954, et, surtout, pour seul motif d’apaisement, le départ du père Calmel.
Le second temps commence par le Chapitre général d’élection de novembre 1954 convoqué par la supérieure générale qui annonce qu’elle refusera une éventuelle réélection, pourtant souhaitée par la plupart des sœurs, « pour servir plus efficacement dans l’obéissance ».
Mère Marie-Angélique Lescouzère qui, dans sa droite ligne, lui succède, est durant son généralat, occupée par la question scolaire (2) et, sereinement, par l’application des « nouvelles Constitutions » .
Pourtant les prémices de « la tourmente conciliaire » sont déjà là, quand, en 1961, expire son mandat. La plupart des soeurs souhaite sa réélection, mais Monseigneur Garrone, alors archevêque de Toulouse et délégué du Saint Siège, impose, par une manipulation éhontée que nous laissons au lecteur le soin de découvrir, « l’élection » improbable d’une mère Marie-Rose Tassy, à sa dévotion et soumise aux idées nouvelles pleines d’exaltation (3). Autorisation des offices en français, de la télévision, et acceptation des demandes ministérielles de carte scolaire, se succèdent.
En 1965 et 1966, deux décrets de Paul VI (4) amenèrent cette supérieure, en dépit de la réforme toute récente de 1953, à présenter à chaque sœur un questionnaire sur des modifications possibles, ce qui ne manqua pas de rencontrer des réponses ironiques . Elles méritent d’être lues, et cet ouvrage en rapporte quelques-unes.
En 1967, l’élection surprise de mère Anne-Marie Simoulin, personnalité forte, combative, et disciple de mère Hélène fut, pour la plupart des sœurs, un « miracle de la Providence ».
Elle engagea, sans jamais se laisser impressionner, le combat contre le nouveau catéchisme obligatoire et la carte scolaire, ainsi que pour conserver la messe dite de saint Pie V (4) et les constitutions de 53. Là encore, des épisodes savoureux sont à découvrir …
La dernière étape montre qu’elle aura tout tenté avant de se résoudre à la rupture : elle réclame une visite apostolique, mais le visiteur affichera des exigences et un comportement inacceptables sobrement évoqués. Elle fait appel, en dernier recours, à la Signature apostolique pour obtenir justice. Elle est désavouée et même déposée par décret, et une administratrice est nommée qui n’est autre que mère Marie-Rose Tassy. En se soumettant, mère Anne-Marie Simoulin réclame encore la possibilité, suggérée par le même décret, de constituer, en restant dans la Congrégation, une « communauté homogène » fidèle à ce qu’elle avait défendu.
Peu de temps auparavant, elle avait accepté la même chose pour un groupe de sœurs qui ont été alors installées à Brignoles, entraînant la fermeture du cours Saint-Dominique de Toulon.
Cette demande, est refusée et cette décision remise en question.
Brignoles ne se soumit pas. De son côté, la supérieure injustement destituée finit, avec d’autres sœurs qui ne voulaient pas accepter cette désastreuse forfaiture et cette trahison essentielle, par se réfugier, pour une fondation nouvelle, tout d’abord pauvrement dans un petit immeuble de Fanjeaux, avant de s’installer au Cammazou.
Au passage, une question importante est ici réglée. Les évêques n’hésitèrent pas à affirmer que, relevées de leurs voeux, les partantes n’étaient plus des religieuses, mais comme le déclara le chanoine Cloupet (6) des « demoiselles déguisées ».
De l’avis de tous les canonistes, l’indult de sécularisation utilisé alors comme sanction est sans valeur, tout simplement parce que contrairement à ce qui le définit, les intéressées ne l’ont pas pas demandé ! L’étude strictement canonique est ajoutée en annexe.
L’obéissance avait été tentée, au delà même de toute justice, mais les Constitutions, les lois de l’Eglise, et même les vocations et la Foi incontestablement Catholique n’étant, à l’évidence, plus respectées, la Fidélité imposait la rupture.
Si l’on juge l’arbre à ses fruits, de deux communautés de 26 et 20 religieuses héroïquement parties, sont issues deux branches qui comptent aujourd’hui à elles deux, dans de nombreuses écoles en France et à l’étranger, deux fois plus de sœurs que ne réunissait, avant la séparation, le tronc dont elles se sont éloignées et dont nous préférons ignorer l’état actuel.
(1) Lettre liminaire du congrès des états de perfection novembre 1950
(2) La loi Debré de 1959 fut entourée de réflexions, négociations et tractations impliquant les supérieures majeures des religieuses enseignantes.
(3) terme employé par monseigneur Garrone en 1964 pour inciter les supérieures majeures de France à « être dans le mouvement du Concile ».
(4) Perfectae Caritatis, et Ecclesiae Sanctae. Le premier imposait l’ « aggiornamento » à toute l’Eglise, et le second demandait aux congrégations de modifier leurs constitutions dans cet esprit.
(5) Le Cardinal Gut, préfet de la congrégation pour le culte divin, lui accorda un indult pour conserver l’usage de cette messe, de toutes façons toujours valide, mais dès sa mort, Monseigneur Bugnini, de sinistre mémoire, s’empressa d’en nier la valeur par des arguments spécieux.
(6) Célèbre secrétaire général de l’enseignement catholique, signataire des accords dits « Cloupet-Lang » pour une formation et une titularisation des maîtres du « privé sous contrat » identiques à celles du « public ».
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