Dixième dimanche après la Pentecôte

Dixième dimanche après la Pentecôte – « L’âme du publicain dans la maison de Dieu. »

La ruine de Jérusalem a clos le cycle prophétique dans sa partie consacrée aux institutions et à l’histoire du temps des figures. L’autel du vrai Dieu, fixé par Salomon sur la cime de Moriah, était pour le monde ancien le titre authentique de la véritable religion sous la loi de l’attente. Même après la promulgation du Testament nouveau, l’existence permanente de cet autel, reconnu comme seul légitime autrefois par le Très-Haut, pouvait jusqu’à un certain point couvrir encore les partisans attardés de l’ancien ordre de choses. Après sa destruction définitive, aucune excuse n’existe plus ; les plus aveugles sont bien obligés de reconnaître l’abrogation complète d’une religion réduite par le Seigneur à l’impossibilité d’offrir jamais des sacrifices qui faisaient son essence. Ce Dimanche peut être déjà le deuxième de la série dominicale qui autrefois prenait son point de départ à la fête de saint Laurent, et tirait son nom (post Sancti Laurentii) de la solennité du grand diacre martyr. On le nomme aussi le Dimanche de l’humilité ou du Pharisien et du Publicain, à cause de l’Évangile du jour.

A LA MESSE. L’humble et suppliante confiance que l’Église met dans le secours de son Époux, la préservera toujours des abaissements qui ont châtié la jalousie persécutrice et l’orgueil de la synagogue. Elle exhorte ses fils à l’imiter dans leurs sollicitudes, et ne cesse de faire monter vers le ciel les accents de sa prière. Toujours sous l’émotion des justices éclatantes exercées contre le peuple juif, la Mère commune rappelle à Dieu que les merveilles de la miséricorde et de la grâce font ressortir encore plus sa toute-puissance ; elle demande, dans la Collecte, une effusion abondante de cette grâce sur l’assemblée chrétienne. Mais quelle grandeur n’a pas, quelle sublimité ne présentait pas autrefois surtout que le rapprochement était plus immédiat, l’attitude de l’Église, lorsqu’en réponse au récit que lui fait son Époux de la plus effroyable vengeance que la juste colère de son Père ait jamais exercée, vraiment épouse et mère, elle ose, elle, débuter par ces mots : Deus qui omnipotentiam tuam PARCENDO MAXIME ET MISERANDO manifestas !

ÉPÎTRE. Le rejet de la synagogue vient de manifester l’Église comme héritière unique des promesses et dépositaire sans rivale des dons de Dieu ; elle conduit ses fils au Docteur des nations, pour apprendre de lui les principes qui doivent diriger l’appréciation ou l’usage de ces dons. Ainsi qu’on l’aura compris à la lecture de l’Épitre, il s’agit ici de faveurs toutes gratuites qui formaient plus ou moins à l’origine le lot commun des assemblées chrétiennes, et sont restées depuis le privilège de quelques âmes engagées d’ordinaire, quoique non toujours nécessairement, dans les voies spéciales de la Théologie mystique. Si, le plus souvent, les fidèles ne doivent pas rencontrer en eux-mêmes ces facultés infuses de la prophétie, de la science surnaturelle, du don des langues ou du miracle proprement dit, la Vie des Saints n’en forme pas moins toujours le patrimoine commun des enfants de l’Église ; ils ne peuvent donc point négliger de s’entourer des lumières utiles pour la comprendre, et pour mieux profiter d’une étude qui doit leur être si précieuse. Dans cette partie de l’année liturgique consacrée plus spécialement à célébrer les mystères de l’union divine, il importait de rencontrer la notion précise sans laquelle on risquerait de confondre ce qui, dans cette vie supérieure, est la perfection intime de l’âme et sa vraie sainteté, avec les phénomènes extrinsèques, intermittents, variables à l’infini, qui ne sont que le rayonnement divinement capricieux de l’Esprit d’amour. Telles sont les raisons pour lesquelles l’Église ouvre aujourd’hui à cet endroit le livre de l’Apôtre. Si nous voulons entrer pleinement dans sa pensée, ne bornons point notre attention aux quelques lignes qu’on vient d’en lire ; la fin du chapitre d’où elles sont tirées, les deux qui suivent également, ne font qu’un même tout avec elles et n’en peuvent être séparés. Avec l’exposé de principes qui ne changent pas, nous trouvons là un instructif tableau de ce qu’étaient les réunions des Églises, en ces temps où la toute-puissance de l’Esprit ouvrait partout simultanément et faisait couler à pleins bords la double source du miracle et de la sainteté. La conquête rapide de l’univers, qui devait faire resplendir dès le commencement la catholicité de l’Église, exigeait un grand déploiement de la vertu d’en haut ; pour que la promulgation de l’alliance nouvelle s accomplît avec autorité parmi les hommes, il avait fallu que Dieu l’entourât de formes solennelles et authentiques en la confirmant par des signes dont lui seul pouvait être l’auteur. De là vient que l’Esprit divin ne prenait guère alors possession d’une âme par le saint baptême, sans démontrer extérieurement la réalité de sa présence dans le nouveau chrétien par quelqu’une des manifestations qu’énumère l’Apôtre. Ainsi le témoin du Verbe accomplissait-il dans l’unité la double mission qu’il avait reçue, de sanctifier en vérité les fidèles du Christ, et de convaincre de péché le monde resté rebelle à la parole des messagers de l’Evangile. Trois genres de preuves formaient en effet pour le monde, d’après saint Paul, un sûr garant de la divinité de Jésus-Christ : sa résurrection d’entre les morts, la sainteté de ceux qui se faisaient ses disciples, enfin les prodiges sans nombre accompagnant la prédication de ses Apôtres et la conversion des gentils. Sans rappeler autrement aujourd’hui la première de ces preuves qui sera proposée de nouveau dans huit jours à nos méditations, la divinité de la loi que Jésus de Nazareth avait donnée au monde s’affirmait pleinement par la transformation sublime de cette terre, où, on pouvait le redire quand il naquit pour nous sauver, toute chair avait corrompu sa voie. Aucun argument ne pouvait l’emporter, pour les vrais philosophes, sur cette démonstration qui consistait à faire germer en tous lieux du sein de la pourriture une moisson digne du ciel, à remplacer par les mœurs et les aspirations des anges, dans l’homme avili, le règne des appétits de la bête ; car faire prévaloir ainsi sur la corruption la bonne odeur du Christ , vivre de sa vie comme faisaient les chrétiens, c’était révéler Dieu aux hommes en manifestant la vie même de Dieu dans une chair mortelle. Mais pour le vulgaire qui ne sait point remonter au-delà du présent ni s’élever au-dessus des sens, pour tant d’êtres malheureusement abrutis chez qui la vertu qui ne partage point leurs débauches ne fait qu’exciter de stupides étonnements et d’ineptes blasphèmes, l’Esprit-Saint avait préparé une démonstration tangible et visible, à la portée de tous, dans cette exubérance de dons surnaturels en activité partout où se trouvait une Église. Le don des langues, qui avait aidé si puissamment la prédication des Apôtres au jour de la Pentecôte, se multipliait avec une stupéfiante largesse autour des fontaines baptismales ; il continuait d’être le signe par la force duquel l’incroyant, surpris d’abord, inclinait peu à peu vers la parole de la foi sa pensée et son cœur. Mais l’œuvre de sa conversion avançait plus encore, lorsqu’introduit dans la réunion de ces hommes de son voisinage qu’il n’avait connus jusque-là que dans la simplicité des rapports de la vie civile, il les retrouvait transformés en prophètes et pénétrant jusqu’aux plus secrets replis de son âme infidèle : convaincu par tous, jugé par tous, il tombait la face contre terre, adorant Dieu et prononçant que le Seigneur était vraiment dans cette assemblée. Les Corinthiens auxquels écrivait saint Paul étaient riches de ces dons spirituels ; rien ne leur manquait en ce genre de grâces, et l’Apôtre en remerciait pour eux le Père de tout bien ; car la bonne nouvelle s’en était trouvée chez eux merveilleusement affermie. Mais celui-là se fût trompé grandement, qui eût voulu conclure de cette profusion de l’Esprit envers leur Église à la perfection des Corinthiens. La jalousie, la vanité, l’entêtement, d’autres défauts encore, ne leur méritaient que trop l’épithète de charnels qui leur était appliquée par l’Esprit-Saint, et empêchaient le Docteur des nations de les traiter autrement qu’en enfants incapables de s’élever dans les hauteurs de la doctrine. Ces privilégiés des grâces gratuites montraient donc bien, dès lors, la différence d’estime qu’il convient au chrétien d’établir entre ces faveurs brillantes, mais stériles pour l’âme, et la grâce justifiante et sanctifiante qui fait l’ami de Dieu.

Fruit régulier des Sacrements institués pour tous par la divine munificence, cette dernière est la base nécessaire du salut ; mesure unique de la gloire future, elle tire du seul mérite de chacun son développement et sa croissance. La grâce gratuite au contraire, irrégulière et spontanée dans son origine comme dans ses allures, ne provient chez l’homme de dispositions ni de mérites d’aucune sorte. Comme l’autorité sur les âmes et les divers ministères dont il est aussi question dans notre Épître, elle a pour but moins l’utilité de celui qui la reçoit que celle de tous ; et ce but, elle l’atteint, quelles que soient d’ailleurs les vertus ou les imperfections de l’instrument qu’elle a voulu choisir. Le miracle ou la prophétie ne supposent donc point nécessairement, par eux seuls, tel ou tel degré de sainteté dans le prophète ou le thaumaturge. Mieux encore que nos Corinthiens, Balaam et Judas en fournissent la preuve ; Dieu, qui avait ses vues indépendantes de leur malice, maintenait en eux ses dons, comme il le fait dans le prêtre indigne exerçant validement, malgré le péché, des pouvoirs plus divins que nuls autres. Au jour du jugement, déclarait l’Homme-Dieu, beaucoup me diront : « Seigneur, Seigneur, est-ce ce que nous n’avons pas prophétisé en votre nom, chassé les démons en votre nom, opéré en votre nom de nombreux miracles ? » Et alors je leur dirai hautement : « Je ne vous ai jamais connus ; retirez-vous de moi, ouvriers d’iniquité. » Aujourd’hui que ces manifestations de la puissance surnaturelle, n’étant plus nécessaires à la promulgation de l’Évangile, sont devenues moins fréquentes, il est rare sans doute qu’elles ne soient pas dans un chrétien l’indice d’une intimité véritable et sanctifiante établie entre lui et l’Esprit d’amour. L’Esprit qui élève ce chrétien au-dessus des voies communes se complaît dans son œuvre ; il aime à attirer sur elle l’attention du peuple fidèle ou de quelques privilégiés qui, émus par ces signes extraordinaires, rendent gloire à Dieu de ce qu’il fait dans cette âme. Alors même pourtant, on jugerait mal du degré d’avancement de l’âme favorisée, au nombre ou à l’éclat de ces faveurs du dehors. C’est le développement de la charité par l’exercice des vertus qui seul fait les saints ; l’union divine, dans ce qu’elle a d’accessible à tous comme sur les sommets réservés de la Théologie mystique, ne dépend aucunement de ces brillants phénomènes ; et ceux-ci, quand ils se produisent dans un sujet, n’attendent point généralement sa consommation dans l’amour qui seule lui donnera, s’il est fidèle, la perfection de la vraie sainteté. Quelle conclusion poserons-nous pratiquement, sinon cette parole qui résume la doctrine de l’Apôtre : En eux-mêmes estimez tous ces dons comme l’œuvre de l’Esprit-Saint qui enrichit par eux diversement le corps social  ; n’en méprisez aucun ; mais quand vous les rencontrerez, préférez comme meilleurs ceux qui vont davantage à l’édification de l’Eglise et des âmes. Enfin, et surtout, écoutons saint Paul disant à la suite : « J’ai à vous montrer une voie autrement excellente ! Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges, quand je serais prophète et connaîtrais tous les mystères et posséderais toute science, quand j’aurais la foi qui transporte les montagnes : si je n’ai point la charité, je ne suis rien, rien ne me sert. La prophétie disparaîtra, les langues cesseront, la science s’évanouira dans la lumière : la charité ne finira pas, elle l’emporte sur tout ! » L’Église, au Graduel, revient de nouveau sur la confiance d’Épouse qu’elle met dans le secours de son Dieu ; forte de l’amour qu’elle lui porte et qui la dirige dans les voies de l’équité, elle ne craint point ses jugements. Le Verset exalte la gloire de l’Époux dans Sion ; mais cette fois, et maintenant pour jamais, il s’agit ici de la vraie Sion, de la nouvelle Jérusalem.

ÉVANGILE. Le Vénérable Bède, commentant ce passage de saint Luc, en explique ainsi le mystère : « Le pharisien, c’est le peuple juif qui, se prévalant des justices de la loi, vante ses mérites ; le publicain est le gentil qui, resté loin de Dieu, avoue ses crimes. L’orgueil de l’un fait qu’il s’éloigne abaissé ; l’autre, relevé par ses gémissements, mérite d’approcher dans la louange. C’est des deux peuples, comme de tout humble et de tout superbe, qu’il est de même écrit ailleurs : l’élèvement du cœur précède la ruine, et l’humiliation de l’homme son élévation en gloire. » On ne pouvait donc choisir, dans le saint Évangile, un enseignement qui convînt mieux après le récit de la chute de Jérusalem. Les enfants de l’Église qui la virent, à ses premiers jours, humiliée dans Sion sous l’arrogance de la synagogue, comprennent maintenant cette parole du Sage : Il est meilleur d’être humilié avec les doux, que de partager les dépouilles avec les superbes ! Selon un autre mot des Proverbes, la langue du Juif, cette langue qui décriait le publicain et accusait le gentil, est devenue dans sa bouche comme une verge d’orgueil qui l’a frappé à son tour en attirant sur lui la ruine. Mais la gentilité, en adorant la justice des vengeances du Seigneur, enchantant ses bontés, doit éviter de prendre elle-même la voie où s’est perdu le peuple infortuné dont elle tient la place. La faute d’Israël a posé le principe du salut des nations, dit saint Paul, mais son orgueil serait aussi leur perte ; et tandis qu’Israël est assuré par ses prophéties d’un retour en grâce à la fin des temps, rien ne garantit un second appel de la miséricorde aux nations redevenues criminelles après leur baptême. Si, aujourd’hui, la puissance de l’éternelle Sagesse fait porter aux gentils des fruits de gloire et d’honneur, qu’ils n’oublient donc jamais leur stérilité première ; alors l’humilité qui seule peut les garder, comme seule naguère elle attira sur eux les regards du Très-Haut, leur demeurera facile, et en même temps ils comprendront la considération dont doit toujours, malgré ses fautes, être entouré l’ancien peuple. Pendant que le vice originel de leur naissance faisait des peuples gentils comme autant d’oliviers sauvages ne produisant que des fruits sans valeur, l’olivier franc, dans les branches duquel coulait la sève de la grâce, croissait ailleurs, puisant pour ses rameaux la sanctification dans la racine sainte des patriarches bénis de Dieu. Or cet arbre de salut est toujours le même. Quelques branches, il est vrai, étant tombées à terre, d’autres les ont remplacées ; mais cette accession des gentils, admis par grâce à enter leurs rameaux sur la tige sacrée, n’a changé ni cette tige, ni sa racine. Le Dieu des nations n’est point autre que le Dieu d’Isaac et de Jacob ; la souche unique du céleste olivier plonge toujours dans le sein d’Abraham : c’est de la foi de ce juste sans pareil, de la bénédiction promise à lui et à son germe divin pour toutes les familles du monde, que procède la sève vivace et luxuriante qui transformera la gentilité dans toute la suite des âges. Que les nations chrétiennes, en quête de leurs origines, se gardent donc d’oublier la principale ! Les fondateurs des empires de la terre ne sont point devant Dieu les vrais pères des peuples ; dans l’ordre des intérêts surnaturels, les seuls qui doivent compter ici-bas, Abraham l’Hébreu, sorti de Chaldée à la voix du Très-Haut, est devenu dès lors par la fécondité de sa foi l’unique père des nations. Nous comprendrons maintenant cette parole de l’Apôtre : « Arbre sauvage, greffé malgré ta nature sur le franc olivier, ne te glorifie point contre les premiers rameaux. Que si tu es tenté de présomption à leur endroit, songe que ce n’est point toi qui portes la racine, mais la racine qui te porte. Ne t’élève donc pas, mais tiens-toi dans la crainte. » L’humilité, qui produit en nous cette crainte salutaire, est la vertu qui met l’homme à sa vraie place, dans sa propre estime, à l’égard de Dieu comme de ses semblables. Elle repose sur la conscience intime que la grâce nous met au cœur du tout de Dieu en l’homme et du vide de notre nature, abaissée encore de notre fait à nous-mêmes, par le péché, au-dessous du néant. La raison seule suffit pour donner à qui réfléchit un instant la conviction du néant de toute créature ; mais à l’état de conclusion purement théorique, cette conviction n’est pas encore l’humilité : elle s’impose au démon dans l’enfer, et le dépit qu’elle lui inspire est le plus actif aliment de la rage de ce prince des orgueilleux. Pas plus donc que la foi, qui nous révèle ce qu’est Dieu dans l’ordre de la fin surnaturelle, l’humilité, qui nous apprend ce que nous sommes en face de Dieu, ne procède de la raison pure et ne réside dans la seule intelligence ; pour être une vertu véritable, elle doit tirer d’en haut sa lumière, et mouvoir aussi dans l’Esprit-Saint nos volontés. En même temps que l’Esprit divin fait pénétrer dans nos âmes la notion de leur petitesse, il les incline doucement à l’acceptation, à l’amour de cette vérité que la raison toute seule serait tentée de trouver importune. Et combien la lumière de cet Esprit de vérité, de cet incomparable témoin des cœurs, ne l’emporte-t-elle pas en ce point, quand il s’empare d’une âme, sur les données de la simple raison ! On est stupéfait lorsqu’on voit jusqu’où va toujours, dans les saints, le sentiment de leur misère ; il les conduit à s’estimer au-dessous de tous, et les pousse, dans leur langage et leurs actes, à des extrémités qui semblent, au jugement de notre pauvre sagesse, excéder par trop les bornes de toute vérité comme de toute justice. Mais l’Esprit qui les dirige et les domine en juge autrement ; et c’est parce qu’il est à la fois l’Esprit de toute vérité comme de toute justice, l’Esprit sanctificateur en un mot, que, voulant accroître immensément leur sainteté, il développe en eux sans mesure la connaissance de la vérité sur eux-mêmes et sur Dieu. Satan, l’esprit de péché, fait prendre aux siens le contre-pied de cette conduite divine, ainsi qu’il le fit au commencement pour lui-même : il ne s’est point tenu dans la vérité, nous dit le Seigneur, il a prétendu égaler le Très-Haut, mais son orgueil n’a réussi qu’à le fixer pour jamais dans le faux et l’absurde. C’est à cause de cela que la vérité nous délivre en nous enlevant à l’empire de ce père du mensonge, comme elle nous sanctifie en nous unissant à Dieu vérité vivante et substantielle. A mesure que dans les voies de l’union divine l’homme se rapproche de ce tout infini, de celui qui seul est par essence, son être d’emprunt, loin de s’évanouir, gagne sans doute merveilleusement en lumière et chaleur ; mais il achève de perdre, avec sa vie propre, le rayonnement factice qui accompagnait cette vie diminuée, et que, plus éloigné du centre divin, il semblait posséder par lui-même. Ainsi les astres gravitant autour du soleil, quoique plus que jamais transpercés de ses feux quand ils l’avoisinent, s’effacent entièrement sous l’action immédiate de son puissant foyer ; tandis que la clarté qu’ils tiennent de lui paraît moins dépendante avec l’isolement que produit la distance, et semble être la leur d’autant plus qu’ils s’éloignent davantage. Il est des hommes qui ont tout fait, comme Satan, pour quitter l’orbite du divin soleil : plutôt que de s’avouer redevables au Dieu Très-Haut, ils s’anéantiraient, si la chose était possible ; à la jouissance des célestes trésors du Père commun, ouverts à quiconque se reconnaît son enfant, ils préfèrent la satisfaction de s’en tenir aux biens de nature, pour ne relever que d’eux-mêmes. Insensés, qui ne comprennent pas qu’alors même ils n’en tiennent pas moins tout ce qu’ils ont de ce Dieu méconnu ! Esprits infirmes, qui prennent pour sentiments de légitime fierté ces vapeurs du néant dont leurs cerveaux troublés se repaissent ! Leur noblesse n’est qu’ignominie ; leur indépendance n’aboutit qu’au servage. Car, rejetant Dieu comme père, il ne se peut pourtant qu’ils ne l’aient pour maître ; faute donc d’être ses fils, ils seront ses esclaves. A eux tout d’abord, ici-bas, la nourriture grossière qu’ils ont préférée aux pures délices dont la Sagesse enivre ceux qui la suivent ; à eux bientôt le fouet et la chaîne. Ils n’ont point voulu, dans leur suffisance, du trône qu’on leur préparait, ni de la robe nuptiale ; qu’ils se drapent, s’ils veulent, dans leurs vêtements luxueux du moment ! Mais déjà, plus avant qu’avec le fer rouge, la note servile s’imprime dans leur chair révoltée. C’est qu’en dépit de leur vaine philosophie, ils n’ont point su que, la vraie grandeur étant dans la vérité, l’humilité pouvait seule les y conduire. Non seulement l’homme ne s’amoindrit pas en s’abaissant lui-même, puisqu’il ne fait que rentrer ainsi dans la notion de ce qu’il est réellement ; mais, selon l’expression évangélique, le degré de cet abaissement volontaire marque pour chacun la mesure de son élévation devant Dieu. L’Esprit ne ménage point ses dons à qui sait lui en rapporter la gloire. C’est aux petits que le Seigneur du ciel et de la terre révèle ce qu’il cache aux prudents et aux sages. Ou plutôt les vrais sages, les parfaits dont parle saint Paul, qui seuls entendent, pour les avoir éprouvés dès ce monde, les mystères de l’amour infini, ne sont-ils pas, nous l’avons dit ailleurs, ces parvuli que la Sagesse convoque autour d’elle, qui ne sont rien à leurs yeux, mais dont la confiante simplicité ravit son cœur, et qui trouvent tous les biens dans son divin commerce ? C’est vraiment en eux qu’elle prend ses délices parmi les fils des hommes ; et c’est ce que ne comprenaient point les disciples, lorsqu’à la suite du discours du Sauveur qui fait le sujet de notre Évangile, ils voulaient, ainsi que le rapporte saint Luc, éloigner de lui les petits enfants. Mais Jésus, Sagesse incarnée, les rassemblant au contraire, disait comme dans les livres de l’ancienne Alliance : « Laissez venir à moi les petits enfants, et gardez-vous de les en empêcher, car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent ; je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera point. » Dans ce royaume de Dieu, l’humilité des saints dépasse encore en effet ce qu’elle fut sur la terre, parce qu’ils y voient les réalités qu’ils ne saisissaient qu’obscurément durant leur vie. Leur bonheur est de mesurer dans l’adoration cette altitude de Dieu dont ils ne se feront jamais une idée parfaite, et de descendre toujours plus bas dans leur néant. Méditons ces pensées ; nous comprendrons mieux comment les plus grands saints ont été les plus humbles des hommes ici-bas, puisqu’il en est encore ainsi dans le ciel même, la lumière croissant pour les élus en proportion de leur gloire. Près du trône de son divin Fils comme à Nazareth, Notre-Dame est toujours la plus humble des créatures, parce qu’elle est la plus éclairée, parce qu’elle comprend mieux que les chérubins et les séraphins la grandeur de Dieu et le néant de la créature.

C’est l’humilité qui donne à l’Église la confiance dont elle fait preuve dans l’Offertoire. Plus, en effet, cette vertu fait sentir à l’homme sa faiblesse, plus elle lui montre en même temps la puissance du Dieu qui se tient toujours prêt à sauver ceux qui l’invoquent. La Messe est à la fois le suprême honneur qui puisse se rendre à la divine Majesté, et le remède souverain de nos misères. C’est ce qu’exprime la Secrète. L’Antienne de la Communion chante l’oblation pure, et toute de justice, qui a remplacé les victimes mosaïques sur l’autel du Seigneur L’incessante réparation que nous trouvons à nos misères dans l’auguste Sacrement serait peu profitable, si la divine bonté ne nous continuait incessamment aussi le secours de ces grâces actuelles qui gardent et accroissent sans fin les trésors de l’âme. Demandons, dans la Postcommunion, un secours qui nous est si nécessaire.

Saints Nazaire et Celse, Martyrs, Victor Premier, Pape et Martyr et Innocent Premier, Pape et Confesseur, vingt-huit juillet
A Milan, l’anniversaire des saints martyrs Nazaire et Celse, encore enfant. A Rome, la passion de saint Victor Ier, pape et martyr. A Rome encore, saint Innocent Ier, pape et confesseur,

Sanctoral 

Saints Nazaire et Celse, Martyrs, Victor Premier, Pape et Martyr et Innocent Premier, Pape et Confesseur

Le même jour, l’Église célèbre deux martyrs du Bas Empire ainsi que deux Papes, dont seul saint Victor est martyr.

La messe est celle de plusieurs Martyrs I, sauf les oraisons et la première lecture. Les saints Nazaire et Celse sont deux martyrs milanais, dont le culte fut mis en honneur par saint Ambroise, mais il n’est pas certain que quelque lien ait existé entre eux leur vivant. Le martyrologe hiéronymien les mentionne au 28 juillet, qui est le jour de leur fête à Milan. Dès le Ve siècle, les reliques de saint Nazaire furent partagées entre de nombreuses églises. On en trouve à Brescia, à Ravenne, à Rome où une basilique avait été érigée sous le titre des saint Nabor et Nazaire, mais aussi à Nole, en Sardaigne, à Constantinople, en Afrique et même in vico quodam du territoire de Nantes, qui ne saurait être que l’actuel port de Saint-Nazaire. Bien que le nom de Nazaire soit inscrit au IXe siècle dans le calendrier de Naples et les noms de Nazaire et de Celse dans tous les martyrologes francs à partir de Florus, il faut attendre le XIe siècle pour voir la fête des deux martyrs milanais connaître une certaine extension. Celle-ci atteint surtout la France et l’Italie du nord, elle touche moins les Pays germaniques et n’atteint guère l’Angleterre. C’est précisément au XIe siècle que sa célébration est attestée à Rome.

Elle s’y développe au XIIe, époque où elle est reçue au Latran et au Vatican. Nazaire, baptisé par le Pape saint Lin, passa en Gaule et y baptisa le jeune Celse, qu’il avait pieusement instruit des préceptes chrétiens : ils allèrent ensemble à Trêves, et pendant la persécution de Néron, ils furent jetés tous les deux à la mer, mais ils en sortirent miraculeusement. Ils vinrent ensuite à Milan ; comme ils répandaient la foi du Christ, et confessaient sa divinité avec la plus grande constance, le préfet Anolinus leur fit trancher la tête ; leurs corps, ensevelis en dehors de la porte Romaine, y restèrent longtemps, mais, sur une indication céleste, saint Ambroise les découvrit, portant les traces d’un sang aussi vermeil que s’ils avaient souffert le martyre tout récemment ; ils furent transportés à Rome et renfermés dans un sépulcre honorable.

Victor, né en Afrique, gouverna l’Église sous l’empereur Sévère. Il confirma le décret de Pie Ier, réglant que Pâques serait célébrée le dimanche ; dans le but de faire passer cette loi dans la pratique, il se tint des conciles en beaucoup de lieux ; le premier synode de Nicée décréta enfin qu’on célébrerait la fête de Pâques après la quatorzième lune, afin que les Chrétiens ne parussent pas imiter les Juifs. Le Pape Victor décida qu’on pourrait baptiser en cas de nécessité avec n’importe quelle eau, pourvu qu’elle fût naturelle. Il rejeta du sein de l’Église le corroyeur byzantin Théodote, qui prétendait que le Christ n’avait été qu’un homme, écrivit un traité sur la solennité pascale et quelques autres opuscules. En deux ordinations faites au mois de décembre, il ordonna quatre Prêtres, sept Diacres et sacra douze Évêques pour divers lieux. Ayant reçu la couronne du martyre, il fut enseveli au Vatican, le cinq des calendes d’août, après avoir siégé neuf ans, un mois et vingt-huit jours.

Innocent, d’Albano, vécut au temps de saint Augustin et de saint Jérôme. Celui-ci, écrivant à la vierge Démétriade, disait de lui : « Gardez la foi de saint Innocent, qui siège sur la chaire apostolique, et qui est le successeur et le fils spirituel d’Anastase, d’heureuse mémoire ; ne recevez pas une autre doctrine, si sage et si séduisante qu’elle paraisse. » L’écrivain Orose, comparant Innocent au juste Lot que la divine Providence a préservé, dit que ce Pape fut amené à Ravenne pour qu’il eût la vie sauve et ne vît pas la ruine du peuple romain. Après la condamnation de Pelage et de Célestius, il porta ce décret au sujet de leurs hérésies : qu’il fallait régénérer par le baptême les petits enfants, fussent-ils nés d’une mère chrétienne, afin de purifier en eux au moyen de cette régénération spirituelle, la souillure contractée par la génération naturelle. Il approuva aussi le jeûne du samedi, en mémoire de la sépulture de notre Seigneur. Il siégea quinze ans, un mois et dix jours. En quatorze ordinations au mois de décembre, il ordonna trente Prêtres, quinze diacres, et sacra cinquante-quatre Évêques pour divers lieux. Il fut enseveli dans le cimetière nommé : Ad Ursum pileatum.

Martyrologe

A Milan, l’anniversaire des saints martyrs Nazaire et Celse, encore enfant. Après les avoir longtemps retenus et fait souffrir en prison, Anolin les fit périr par le glaive, pendant la persécution rigoureuse suscitée par Néron.

A Rome, la passion de saint Victor Ier, pape et martyr.

A Rome encore, saint Innocent Ier, pape et confesseur, qui s’en alla vers le Seigneur le 4 des ides de mars (12 mars).

Dans la Thébaïde, en Egypte, la commémoraison de nombreux saints martyrs. Ils souffrirent durant la persécution de Dèce et de Valérien, alors que les chrétiens espérant périr par le glaive pour le nom du Christ, l’astucieux ennemi, plus avide de perdre les âmes que les corps, imaginait chaque jour des supplices plus lents. L’une des victimes, après avoir enduré le chevalet, les lames et les chaudières ardentes, fut ointe de miel, exposée, les mains liées derrière le dos, durant les ardeurs du soleil, aux aiguillons des guêpes et des abeilles. Un autre chrétien mollement couché sur des fleurs et étroitement lié, voyant une femme impudique s’approcher de lui pour le solliciter au mal, trancha sa langue avec ses dents et la lui cracha au visage.

A Ancyre, en Galatie (auj. Ankara, en Turquie), saint Eustathe martyr. D’abord éprouvé par diverses tortures, il fut ensuite jeté dans la rivière, d’où un ange le retira; enfin, une colombe descendit du ciel pour l’appeler à la récompense éternelle.

A Milet, en Carie, saint Acace martyr. Sous l’empereur Licinius, il fut, après divers tourments, jeté dans une fournaise, où le secours de Dieu le conserva sain et sauf; décapité enfin il acheva son martyre.

En Bretagne, saint Samson, évêque et confesseur.

A Lyon, en France, saint Pérégrin prêtre, dont la béatitude est attestée par l’éclat de ses miracles.

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