Desideratus cunctis gentibus / Le Désiré de toutes les nations

Préparons-nous à la neuvaine de Noël avec cette magnifique

méditation du Temps de l’Avent par Mgr Carlo Maria Viganò 

Discite justitiam moniti, et non temnere divos. Venditit hic auro patriam, dominumque potentem imposuit, fixit leges pretio atque refixit ; hic thalamum invasit natæ vetitosque hymenæos ; ausi omnes immane nefas ausoque potiti.

Vous êtes avertis, apprenez la justice et le respect des dieux . L’un pour de l’or a vendu sa patrie et l’a soumise à un maître puissant ; il a fixé ou aboli des lois à prix d’argent ; tel autre a investi la couche de sa fille, pour des noces interdites : tous ont osé un sacrilège monstrueux et joui du fruit de leur audace. [Æn., VI, 620-624]

I – Préambule

La Doctrine de la Royauté du Christ constitue un discrinem entre l’Église catholique et « l’église conciliaire » bien plus, c’est le point de séparation entre l’orthodoxie catholique et l’hétérodoxie néo-moderniste, car les adeptes de la laïcité et du sécularisme libéral ne peuvent accepter que la Seigneurie de Notre-Seigneur s’étende à la sphère civile en la soustrayant à l’arbitraire des puissants ou à la volonté de la masse manipulable. Pourtant, l’idée même que l’autorité ait son fondement dans un principe transcendant n’est pas née avec le Christianisme, mais fait partie de notre héritage gréco-romain. Le mot même grec ἱεραρχία indique d’une part « l’administration des choses sacrées », mais aussi le « pouvoir sacré » de l’autorité, où les engagements qui y sont liés constituent de manière significative une λειτουργία, une fonction publique que l’État prend en charge.

Pareillement, la négation de ce principe est l’apanage de la pensée hérétique et de l’idéologie maçonnique. La laïcité de l’État constitue la principale revendication de la Révolution Française à laquelle le Protestantisme a fourni les bases théologiques, qui se sont ensuite transformées en une erreur philosophique avec le libéralisme et le matérialisme athée.

Cette vision d’un tout cohérent et harmonieux qui traverse le temps et dépasse les frontières de l’espace, conduisant l’humanité à la plénitude de la Révélation du Christ, était propre à cette Civilisation que l’on veut aujourd’hui enlevée et effacée au nom d’une dystopie inhumaine parce qu’intrinsèquement impie, issue de la haine inextinguible de l’Adversaire, éternellement privé du Bien suprême à cause de son orgueil et de sa rébellion contre la Volonté de Dieu.

Il n’est pas surprenant que nos contemporains ne comprennent pas les raisons de la crise actuelle : ils se sont laissés dérober le patrimoine de sagesse et de mémoire construit au cours de l’Histoire grâce à l’intervention pédagogique de la Providence, qui a inscrit dans le cœur de chaque homme les principes éternels qui doivent guider tous les aspects de sa vie. Cette merveilleuse παιδείa a permis à des peuples éloignés de Dieu et plongés dans les ténèbres du paganisme de néanmoins se préparer par des moyens naturels à l’irruption dans l’Histoire de la dimension surnaturelle, à l’avènement du Christ, en Qui tout est récapitulé et se manifeste comme faisant partie du κόσμος divin

Quand Auguste ordonna la publication de l’Énéide – que Virgile dans son testament avait ordonné de détruire, la considérant incomplète – la pax romana venait de commencer dans tout l’Empire ; une pax accordée au monde pour accueillir l’Incarnation du Fils de Dieu et arracher l’humanité à l’esclavage de Satan. De cette paix solennelle et sacrée résonnent encore aujourd’hui les paroles grandioses du Martyrologe Romain, que nous entendrons une nouvelle fois le matin de la veille de Noël :

Ab urbe Roma condita anno septingentesimo quinquagesimo secundo, anno imperii Octaviani Augusti quadragesimo secundo, toto orbe in pace composito… Jesus Christus æternus Deus æternique Patris Filius, mundum volens adventu suo piissimo consecrare, de Spiritu Sancto conceptus, …in Betlhem Judæ nascitur ex Maria Virgine factus homo.[1]

Seulement quarante ans avant la Naissance du Sauveur, Virgile eut l’occasion de fréquenter les fils d’Hérode venus étudier à Rome : c’est d’eux qu’il connut les prophéties messianiques de l’Ancien Testament et l’annonce de la naissance imminente du Puer chantée dans l’Eglogue IV :

Jam redit et Virgo, redeunt Saturna regna,

Jam nova progenies cœlo demittitur alto.

Tu modo nascenti Puero, quo ferrea primum

desinet, ac toto surget gens aurea mundo,

casta fava Lucina: tuus jam regnat Apollo.[2]

et que Dante rappelle à Stace au Purgatoire (XXII, 70-72):

Secol si rinova;

torna giustizia e primo tempo umano,

e progenie scende da ciel nova.[3]

Dans cette attente ardente de l’avènement du Christ, Auguste sauve le poème de Virgile de la destruction, y voyant cette aspiration à un monde où règne la paix, après un siècle de guerres civiles. Il voyait en Énée le modèle de celui qui se reconnaît pius en tant que respectueux de la volonté divine et des liens qui en découlent envers la Patrie et la famille, inséré par la Providence dans les événements contingents de l’Histoire, participant à la volonté de Dieu fixée dans l’éternité.

Nous pouvons facilement comprendre pourquoi l’âme d’une personne juste et honnête, bien que privée de la Foi, puisse se sentir poussée vers un noble destin, devant lequel les dieux faux et menteurs se taisent, la Sibylle reste muette et l’Oracle de l’Aracœli se retire. Nous voyons alors dans le fato [destin] – fas en latin – la référence au verbe fari, qui signifie « parler » et se réfère à la Parole de Dieu, à la Parole éternelle prononcée par le Père. Le Chrétien est admiratif devant tant de bonté paternelle, devant cette main providentielle qui accompagne l’humanité égarée dans les ténèbres vers la Lumière du Christ, Rédempteur du genre humain.

Il y a, dans cette vision de l’Histoire et de l’intervention de Dieu en elle, quelque chose d’ineffable qui émeut et pousse au Bien, qui éveille dans les âmes l’espérance d’actes héroïques, d’idéaux pour lesquels lutter et donner la vie.

C’est sur cette composition parfaite de temporel et d’éternel, de nature et de Grâce, que le monde a pu accueillir et reconnaître le Messie promis, le Prince de la Paix, le Rex pacificus vainqueur du péché et de la mort, le Desideratus cunctis gentibus. Du Cénacle aux catacombes, des communautés des premiers Chrétiens aux basiliques romaines converties au culte du vrai Dieu, s’élève la prière que le Seigneur a enseignée aux Apôtres : Adveniat regnum tuum, fiat voluntas tua sicut in cœlo et in terra. Ainsi, un Empire païen est devenu le berceau de la Chrétienté et, avec ses propres lois et sa propre influence civile et sociale, a rendu possible la diffusion de l’Évangile et la conversion des âmes au Christ. Des âmes simples, certainement ; mais aussi des âmes d’érudits, de nobles romains, de fonctionnaires impériaux, de diplomates et d’intellectuels, qui se sont reconnus eux-mêmes – comme le pius Æneas – engagés dans un plan providentiel, appelés à donner un sens à ces vertus civiques, à cette aspiration à la justice et à la paix qui, sans la Rédemption, serait restée incomplète et stérile.

II – Le rôle « providentiel » de l’État

L’économie du Salut, dans cette vision « médiévale » et chrétienne des événements, reconnaît aux individus le privilège de faire eux-mêmes partie de ce grand dessein de la Providence divine : une actuosa participatio – pardonnez-moi d’emprunter une expression chère aux Novateurs – de l’homme à l’intervention de Dieu dans l’Histoire, dans laquelle la liberté de chacun est confrontée au choix moral, et donc décisif pour sa destinée éternelle, entre le Bien et le Mal, entre se conformer à la volonté de Dieu – fiat voluntas tua – et suivre sa volonté propre – non serviam – en Lui désobéissant.

Cependant, précisément dans l’adhésion des individus à l’action de la Providence, nous comprenons comment la société terrestre, qui est composée de ces individus, assume à son tour un rôle dans le plan de Dieu, permettant aux actions de ses membres d’être dirigées plus efficacement par l’autorité des dirigeants vers le bonum commune qui les unit dans la poursuite du même but.

L’État, en tant que société parfaite – c’est-à-dire qui possède en lui-même tous les moyens nécessaires à la poursuite du quid unum perficendum – revêt donc une fonction propre, principalement ordonnée au bien des citoyens, à la protection de leurs intérêts légitimes, à la protection de la Patrie contre les ennemis extérieurs et intérieurs, au maintien de l’ordre social. Il va sans dire que, en faisant l’expérience des tentatives et des échecs de ceux qui nous ont précédés – selon la vision éminemment chrétienne de Giambattista Vico – les peuples civilisés ont pu saisir l’importance de l’étude de l’Histoire, permettant un réel progrès et reconnaissant la validité de la pensée aristotélicienne-thomiste précisément parce qu’elle s’est développée sur la base de la connaissance de la réalité et non sur la création de théories philosophiques abstraites.

Nous trouvons cette vision de la bonne gouvernance représentée de façon exemplaire dans les fresques d’Ambrogio Lorenzetti du Palais Communal de Sienne, confirmant la profonde religiosité de la société médiévale ; une religiosité de l’institution, certes, mais partagée et adoptée par ceux qui, recouverts de fonctions publiques, considéraient leur rôle comme une expression conforme à l’ordre divin – le κόσμος précisément – imprimé par le Créateur dans le corps social.

De ce rôle historique de l’Empire Romain, nous avons un exemple dans l’Énéide (VI, 850-853) :

Tu regere imperio populos Romane memento

hæ tibi erunt artes, pacisque imponere morem,

parcere subjectis et debellare superbos.[4]

C’est la conscience de cette mission providentielle qui a fait la grandeur de Rome ; c’est la trahison de cette tâche due à la corruption des mœurs qui a décrété sa chute.

III – Le concept de laïcité et la sécularisation du pouvoir

Cela n’aurait pas été possible autrement, puisque le concept de « laïcité de l’État » était tout à fait impensable à la fois pour les dirigeants et les sujets des Nations occidentales de n’importe quelle époque antérieure à la Pseudo-Réforme protestante. Ce n’est qu’à partir de la fin de la Renaissance que la théorisation de l’athéisme a permis de formuler une pensée philosophique qui pouvait soustraire l’individu au devoir de reconnaître et de rendre un culte public à la divinité ; et c’est avec les Lumières que les principes maçonniques se sont propagés à travers la sécularisation forcée de la société civile à la suite de la Révolution Française, du renversement des Monarchies de droit divin et de la persécution féroce contre l’Église Catholique.

Aujourd’hui, le monde contemporain considère comme un mérite de revendiquer sa laïcité, tandis que dans le monde gréco-romain, la rébellion contre les dieux était considérée comme une marque d’impiété et un signe de révolte contre l’État, dont l’autorité était l’expression d’un pouvoir décrété et ratifié d’en haut. Discite justitiam moniti, et non temnere divos, admoneste Phlégias, tombé dans le Tartare et condamné à crier sans répit cet avertissement (Æn., VI, 620). La culture classique dont nous avons hérité comme prémisse naturelle pour la propagation du Christianisme, et que le Moyen Âge a reconnue et valorisée, est donc basée sur le devoir de ne pas mépriser les dieux, montrant comment l’absence de religio est la cause de la ruine de la Nation, de la trahison de la Patrie à l’établissement de la tyrannie, de la promulgation ou de l’abolition des lois par intérêt économique à la violation des préceptes les plus sacrés de la vie civile[5]. Pour démontrer à quel point ces craintes étaient fondées, il suffit d’observer les ruines de la société contemporaine, capable de légitimer des horreurs inouïes telles que le meurtre d’innocents dans le sein maternel, la corruption des enfants avec la théorie du genre et la sexualisation de l’enfance, leur utilisation dans les rituels infernaux du lobby pédophile, dont les membres infâmes occupent des postes de pouvoir et que personne, jusqu’à présent, n’ose trainer en justice et de condamner. Le monde contemporain est gouverné par une secte de serviteurs du diable, voués au mal et à la mort : fermer les yeux sur de telles monstruosités rend ceux qui restent silencieux complices et coupables de ces crimes horribles qui crient vengeance devant Dieu.

IV – Le caractère sacré de l’autorité

Jusqu’à la Révolution Française, les dirigeants trouvaient leur légitimité dans l’exercice de l’autorité au nom de Dieu, et par elle les gouvernés voyaient leurs droits protégés contre les abus de pouvoir, puisque tout le corps social était hiérarchiquement ordonné sous le pouvoir suprême de l’unique Seigneur, reconnu comme Rex tremendæ majestatis précisément parce qu’Il est Juge à la fois des rois et des princes, des papes et des prélats. Couronnes, diadèmes et mitres parsèment les représentations de l’enfer dans les Jugements Derniers de nos églises.

Ce caractère sacré de l’autorité n’est pas un concept ajouté par la suite à un pouvoir né à l’origine comme neutre ; au contraire, tout pouvoir s’est toujours rapporté à la divinité, tant en Israël que dans les nations païennes, pour enfin acquérir dans le monde occidental la plénitude de l’investiture surnaturelle avec l’avènement du Christianisme et sa reconnaissance comme Religion d’État par l’empereur Théodose. Ainsi, l’Empereur d’Orient était Caesar à Byzance dans une Cour qui parlait en latin ; le Czar des Russies et celui des Bulgares étaient aussi Césars ; pour parvenir au Saint Empire Romain, dont le dernier Souverain, le bienheureux Charles de Habsbourg, fut renversé par la Franc-Maçonnerie lors de la Première Guerre Mondiale.

L’éducation des futurs souverains, de la noblesse et du clergé était tenue en très haute estime et ne se limitait pas à fournir une instruction intellectuelle et pratique, mais prévoyait nécessairement une formation morale et spirituelle spécifique qui assurait des principes solides, l’habitude de la discipline, la capacité de maîtriser ses passions, la pratique des vertus du gouvernement. Tout un système social a fait prendre conscience à ceux qui exerçaient l’autorité de leur responsabilité devant le Christ-Roi, seul détenteur de la Seigneurie temporelle et spirituelle que Ses ministres sur terre devaient exercer sous une forme rigoureusement vicaire. Pour cette raison, comme cela s’est produit par exemple dans le cas de Frédéric II de Souabe, la supériorité de l’autorité spirituelle de l’Église sur l’autorité temporelle des souverains a permis au Pontife Romain de libérer du lien de l’obéissance les sujets d’un roi qui abusait de son pouvoir.

V – La sécularisation étendue à toute autorité

La sécularisation de l’autorité civile a été plus récemment suivie par celle de l’autorité religieuse, qui, avec le Concile Vatican II, a été considérablement dépouillée – non seulement extérieurement – de son caractère sacré au profit d’une vision profane (et révolutionnaire) selon laquelle le pouvoir ecclésiastique vient d’en bas, en vertu du seul Baptême, et est délégué par le « peuple sacerdotal » à ses représentants, à qui sont confiées les tâches de la présidence, comme c’est le cas dans les sectes calvinistes.

Le paradoxe est encore plus évident ici : la sécularisation fait entrer dans l’Église – en la dénaturant – les dynamiques tolérables dans une société civile qui ne reconnaît pas les droits de la vraie Religion, finissant par les légitimer en les faisant siennes. Dans cette perspective, les très graves déviations propagées aujourd’hui par le Synode sur la Synodalité dans une clé démocratique et parlementaire ne sont rien d’autre que la mise en pratique des principes théorisés par le Concile, pour lesquels la laïcité – c’est-à-dire la rupture du lien entre l’autorité terrestre et sa légitimation surnaturelle – aurait dû s’étendre à toute société humaine, excluant également toute « tentation théocratique » comme obsolète et inopportune.

De ce processus, inévitablement, aucune autorité n’a été exclue, de celle du paterfamilias à celle du maître, de celle du magistrat à celle de l’officier. Le devoir d’obéissance de la part de ceux qui étaient soumis à l’autorité, et le devoir de l’administrer avec sagesse et prudence, de la part de ceux qui exerçaient l’autorité, rappelaient la paternité divine de Dieu et devaient être délégitimés, puisque la rébellion vise avant tout l’autorité de Dieu le Père. Soixante-huit n’a été qu’une nouvelle étape de la Révolution, dans laquelle ce que le libéralisme avait préservé pour s’assurer un minimum d’ordre social fut finalement démoli, conduisant les Nations occidentales à l’anarchie.

VI – L’action subversive des sociétés secrètes

La secte infâme, consciente de la puissance de l’alliance entre le Trône et l’Autel, complota dans l’ombre pour corrompre les dirigeants et attirer la noblesse dans ses rangs, à commencer par la dynastie capétienne. En réalité, déjà dans les Principautés allemandes avec l’hérésie protestante et ensuite dans l’Angleterre d’Henri VIII avec le schisme anglican, étaient actives des conventicules d’initiés de matrice gnostique opposés à la Papauté et aux Souverains légitimes fidèles au Pape. Il est cependant certain et documenté que la Révolution a constitué le principal instrument avec lequel les sociétés secrètes ont frappé les Nations catholiques pour les arracher à la Foi et les asservir à leurs fins idéologiques et économiques, et partout où la Franc-Maçonnerie a réussi à agir, elle a toujours eu recours aux mêmes outils et à la même propagande, pour obtenir la sécularisation des Institutions publiques, la suppression de la Religion d’État, l’abolition des privilèges ecclésiastiques et de l’enseignement catholique, la légitimation du divorce, la dépénalisation de l’adultère, la diffusion de la pornographie et d’autres formes de vice. Parce que ce monde chrétien dans tous les aspects de la vie quotidienne devait être effacé et remplacé par une société impie, irréligieuse, vouée à la satisfaction des plaisirs les plus bas, se moquant de la vertu, de l’honnêteté, de la rectitude : telles sont les « conquêtes » de l’idéologie libérale, ce que l’anticléricalisme le plus abject considère comme « progrès » et « liberté ».

Les innombrables condamnations des sectes secrètes par le Magistère étaient amplement justifiées par la menace pour la paix des Nations et le salut éternel des âmes. Tant que l’Église a eu un allié valable dans l’autorité civile, l’action de la Franc-Maçonnerie a avancé lentement et fut forcée de dissimuler ses intentions criminelles.

Ce n’est qu’avec la corruption de l’autorité ecclésiastique, poursuivie par un patient travail d’infiltration et menée à son terme à partir de la fin du XIXe siècle grâce au Modernisme, que la Franc-Maçonnerie a pu compter sur la complicité de clercs rebelles et fornicateurs, égarés dans l’intellect et la volonté, et donc susceptibles d’être asservis et de faire l’objet de chantage. Leur carrière dans les rangs de l’Église, stoppée par la clairvoyante vigilance de saint Pie X, reprit tranquillement dans les dernières années du pontificat de Pie XII alors infirme, et connut un nouvel élan sous Jean XXIII, probablement lui-même membre d’une Loge ecclésiastique. Une fois de plus, nous voyons comment la corruption des individus est ordonnée à la dissolution de l’institution à laquelle ils appartiennent.

VII – La révolution dans le domaine civil, social et économique

La Révolution commencée en France en 1789 a eu les mêmes modalités de mise en œuvre : d’abord la corruption de l’aristocratie et du clergé ; puis l’action des sociétés secrètes infiltrées partout ; ensuite la propagande médiatique contre la Monarchie et contre l’Église, et en même temps l’organisation et le financement de manifestations et d’émeutes pour soulever le peuple, appauvri et accablé d’impôts en raison des spéculations de la haute finance internationale et de l’insuffisance de la réponse de l’État aux mutations du système économique européen. Dans ce cas également, le principal levier qui a permis à la théorie subversive de la Franc-Maçonnerie de se traduire en une véritable révolution était représenté par la classe qui avait le plus grand intérêt à s’approprier les biens des nobles et de l’Église, non seulement pour vendre un patrimoine inestimable de biens immobiliers, de meubles et d’œuvres d’art, mais aussi pour transformer radicalement le tissu socio-économique traditionnel, à commencer par l’exploitation de grands domaines, jusqu’alors principalement laissés produire selon des rythmes naturels et des systèmes archaïques.

Après la Révolution Française, nous avons eu la Première Révolution Industrielle qui, avec l’invention de la machine à vapeur et la mécanisation de la production, a imposé les migrations massives d’ouvriers et de paysans des champs vers la métropole pour les convertir en main-d’œuvre bon marché, après les avoir privés de la possibilité d’avoir des moyens de subsistance autonomes et réduits à la misère avec de nouveaux impôts et taxes. Tout le XIXe siècle est une confirmation que la matrice idéologique de la Révolution est basée sur une hérésie doctrinale intrinsèquement liée au profit économique et à la domination financière.

La Deuxième Révolution Industrielle a eu lieu entre le Congrès de Paris (1856) et celui de Berlin (1878), impliquant principalement l’Europe, les États-Unis et le Japon dans de nouvelles avancées technologiques forcées telles que l’électricité et la production de masse ; la Troisième [Révolution Industrielle] a commencé dans les années Cinquante et s’est étendue à la Chine et à l’Inde, visant principalement l’innovation technologique, informatique et télématique, qui s’est étendue à la new economy [nouvelle économie], à la green economy [l’économie verte] et au contrôle de l’information. Cela était censé créer un climat culturel de confiance néopositiviste dans les possibilités de la science et de la technologie d’assurer le bien-être matériel de l’humanité.

Avec l’année 2011 commence enfin la Quatrième Révolution Industrielle, qui consiste en l’interpénétration croissante entre le monde physique, numérique et biologique. C’est une somme de progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA), la robotique, l’Internet des objets (IoT), l’impression 3D, l’ingénierie génétique, les ordinateurs quantiques et d’autres technologies. Le théoricien de ce processus dystopique est le tristement célèbre Klaus Schwab, fondateur et directeur exécutif du Forum Économique Mondial.

VIII – La sécularisation de l’autorité comme prémisse du totalitarisme

Séparer artificiellement l’harmonie et la complémentarité hiérarchique entre l’autorité spirituelle et l’autorité temporelle a été une opération subversive qui a créé la prémisse, chaque fois qu’elle a été réalisée, pour la tyrannie ou l’anarchie. La raison n’est que trop évidente : le Christ est Roi aussi bien de l’Église que des Nations, parce que toute autorité vient de Dieu (Rm 13, 1). Nier que les dirigeants ont le devoir de se soumettre à la Seigneurie du Christ est une très grave erreur, car sans la Loi morale, l’État peut imposer sa propre volonté indépendamment de la volonté de Dieu, et donc subvertir le κόσμος divin de la Civitas Dei pour le remplacer par l’arbitraire et le χάος infernal de la civitas diaboli.

Aujourd’hui, les Nations occidentales sont les otages de potentats qui ne répondent de leurs décisions ni à Dieu ni au peuple, parce qu’ils ne tirent leur légitimité ni d’en haut ni d’en bas. Le coup d’État qui a été préparé et exécuté par le lobby subversif du Forum Économique Mondial a effectivement privé les gouvernements de leur indépendance et les États de leur souveraineté au moyen de pressions extérieures. Mais ce processus dissolutif est désormais exposé à cause de l’arrogance avec laquelle les satrapes du Nouvel Ordre Mondial – tout est nouveau quand cela les concerne, et tout est vieux quand il doit être renversé – ont révélé leurs plans, se croyant maintenant proches de la victoire finale. Au point que même des intellectuels (que l’on ne peut pas soupçonner de conservatisme) commencent à dénoncer l’ingérence intolérable de Klaus Schwab et de ses mignons dans le gouvernement des Nations. Il y a quelques jours, le professeur Franco Cardini a déclaré : « Les forces qui gèrent l’économie et la finance choisissent, corrompent et déterminent maintenant la classe politique, qui devient ainsi un comité d’affaires » (ici). Et nous savons bien que derrière ce « comité d’affaires » il y a des objectifs de profit aveugle au détriment de l’économie des États, mais aussi des projets inquiétants de contrôle capillaire de la population, de dépeuplement forcé, de chronicisation des maladies en vue de la privatisation totale des services publics et de santé. La mentalité qui préside à cette Grande Réinitialisation est la même que celle qui animait la bourgeoisie et les usuriers des siècles passés, soucieux d’exploiter les grands domaines que la noblesse et le clergé ne considéraient pas comme une source de profit.

Je l’abhorre parce qu’il est chrétien et encore plus parce qu’il a la simplicité maladroite de prêter de l’argent gratuitement, et donc il diminue les fruits qui pourraient être obtenus.[6]

Pour eux, l’humanité est un obstacle gênant qui doit être rationalisé et instrumentalisé pour la poursuite de leurs objectifs criminels et la Morale chrétienne un obstacle odieux à l’établissement d’un gouvernement entre les mains de la finance : si cela est possible aujourd’hui, c’est parce qu’il n’y a pas de référence morale transcendante qui mette une borne à leurs délires, ni de pouvoir qui échappe à cet ignoble asservissement à des intérêts privés. Et nous comprenons ici comment la situation actuelle est essentiellement une crise d’autorité, au-delà de la compréhension des individus sur la menace posée par le coup d’État mondial de l’élite usuraire.

IX – La Nativité du Christ

La Naissance du Sauveur a représenté l’irruption de l’éternité dans le temps et l’Histoire, avec l’Incarnation de la deuxième Personne de la Très Sainte Trinité dans le sein virginal de la Très Sainte Vierge Marie. En la personne de Notre-Seigneur, vrai Dieu et vrai Homme, l’autorité de Dieu se joint à celle du descendant de la postérité royale de David, et la Rédemption du genre humain par le Sacrifice de la Croix rétablit dans l’économie de la Grâce l’ordre divin rompu par le péché originel inspiré par le Serpent.

L’Enfant-Roi, couché dans la crèche, se montre à l’adoration des bergers et des Mages enveloppés dans des langes, comme c’était la prérogative des souverains : et hoc vobis signum (Lc 2, 6)[7]. Il déplace les étoiles et est honoré par les Anges, mais Il choisit la crèche comme trône, la pauvre hutte de Bethléem comme palais royal, tout comme sur le Golgotha – et dans la vision de l’Apocalypse – c’est la Croix qui est le trône de gloire. Notre Seigneur reçoit l’hommage des sages d’Orient en reconnaissance des titres de Roi, de Prêtre et de Prophète ; mais Il doit déjà fuir ceux qui voient en Lui une menace pour leur pouvoir. Insensé et cruel Hérode, qui ne comprend pas que non eripit mortalia, qui regna dat cœlestia.[8] Insensés et cruels sont les puissants d’aujourd’hui, qui, dans le massacre de millions d’innocents – un massacre perpétré sur leurs corps et leurs âmes – veulent consolider leur tyrannie de mort, et qui, dans l’asservissement des peuples, renouvellent leur rébellion contre le Roi des rois et le Seigneur des gouvernants, qui a racheté ces âmes avec son propre Sang.  

Mais c’est dans l’humble affirmation de sa Seigneurie que l’Enfant de Bethléem manifeste la divinité du Fils de Dieu dans l’union hypostatique de l’Homme-Dieu. Une divinité qui unit la toute-puissance du Pantocrator avec la fragilité du nourrisson, la terrible sentence du Juge suprême aux gémissements du nouveau-né, l’éternité immuable du Verbe de Dieu au silence de l’enfant, la splendeur et la gloire de la Majesté divine avec la misère d’un abri pour animaux dans la froide nuit de Palestine.

Dans cette contradiction apparente qui unit admirablement la divinité et l’humanité, la puissance et la faiblesse, la richesse et la pauvreté, nous trouvons aussi la leçon que nous tous, et en particulier ceux qui sont constitués en autorité, devons tirer pour notre vie spirituelle et pour notre survie même.

Le souverain, le prince, le pontife, l’évêque, le magistrat, l’enseignant, le médecin et le père jouissent d’un pouvoir qui puise dans la sphère de l’éternité, dans la Royauté divine du Fils de Dieu, parce que, dans l’exercice de leur autorité, ils agissent au nom de Celui qui la légitime tant qu’elle reste fidèle à ce pour quoi elle a été voulue. Celui qui vous écoute, M’écoute… Et celui qui me méprise, méprise Celui qui m’a envoyé (Lc 10, 16). C’est pourquoi obéir à l’autorité civile et ecclésiastique signifie obéir à Dieu, dans l’ordre hiérarchique qu’Il a décrété. Pour cette raison, désobéir à ceux qui abusent de leur autorité est également un devoir, en vue de sauvegarder cet ordre qui a son centre en Dieu, et qui ne provient pas du pouvoir temporel, qui en est vicaire. Sinon, nous finissons par adorer le puissant, lui rendant l’hommage auquel il n’a droit que dans la mesure où il est à son tour soumis à Dieu. Aujourd’hui, au contraire, l’hommage est rendu à ceux qui, occupant des postes de pouvoir, non seulement méconnaissent tout lien de subordination due au Christ Roi et Pontife, mais sont ses ennemis. La prétendue souveraineté populaire propagée par la chimère de la démocratie s’est révélée être une tromperie colossale contre ce peuple qui n’a personne à qui faire appel pour voir ses droits protégés. D’autre part, quels « droits » pourraient revendiquer ceux qui ont toléré de les laisser usurper à Dieu ? Comment s’étonner que le pouvoir se transforme en tyrannie quand on accepte qu’il n’ait plus aucun lien avec le transcendant, seule garantie de justice pour les pauvres, l’exilé, l’orphelin et la veuve ?

X – Instaurare omnia in Christo

Le triomphe apparent des méchants – des criminels du World Economic Forum aux hérétiques du « chemin synodal » – nous confronte à la dure réalité du Mal, destiné certes à la défaite finale, mais également permis par la Providence comme instrument de punition pour l’humanité égarée. Car la pauvreté, les épidémies, la misère induite par les crises planifiées, les guerres impitoyables mues par les intérêts économiques, la corruption des mœurs, le massacre des innocents reconnu comme un « droit humain », la dissolution de la famille, la ruine de l’autorité, la dissolution de la civilisation, la barbarisation de la culture et de l’art, l’anéantissement de tout élan vers la vertu et le Bien ne sont que les conséquences nécessaires d’une trahison réalisée progressivement mais toujours dans la même direction et prémisse du pire à venir : le mépris de Dieu, le défi arrogant du non serviam envers la Majesté divine, d’autant plus impitoyable et furieux que la présomption satanique de pouvoir gagner une bataille dont Satan sortira éternellement vaincu est grande.

Dors, ô Enfant; ne pleure pas;

dors, ô céleste Enfant:

les tempêtes n’osent pas rugir

au-dessus de Ta tête,

où sur la terre impie,

comme des chevaux à la guerre,

courir devant Toi.[9]

Récapituler toutes choses dans le Christ (Ep 1, 10), signifie recomposer l’ordre brisé par le péché, tant dans l’ordre naturel que dans l’ordre surnaturel, tant dans la sphère privée que dans la sphère publique, en restituant la Couronne royale au Roi des rois, Auquel la Révolution, dans un délire de ὕβρις, l’a dérobée ; et avant même, en rendant au Souverain Pontife la triple Couronne, enlevée par l’idéologie de Vatican II et par l’apostasie de ce « pontificat ».

Papes et Rois, prélats et dirigeants des Nations, fidèles de l’Église et citoyens des États doivent retourner au Christ, dans une palingenèse mue par la Grâce, au Christ Roi et Pontife, à l’unique Vengeur des vrais droits de son peuple, à l’unique Protecteur des faibles et des opprimés, à l’unique Vainqueur de la mort et du péché. Et sur ce chemin de retour au Christ, l’humilité nous guidera pour savoir parcourir à rebours la voie large de la perdition que nous avons entrepris en abandonnant le chemin resserré du Calvaire qui nous a été tracé par le Seigneur. Un chemin qu’Il a parcouru le premier, et sur lequel Il nous accompagne par la grâce des Sacrements, un chemin qui conduit à la Croix comme seule prémisse pour la gloire de la Résurrection.

Celui qui croit qu’en continuant sur cette voie, il est possible de changer les choses ; qu’une limite peut être imposée à l’idéologie de mort et de péché du Nouvel Ordre Mondial ; que les méchants puissent être empêchés de répandre les horreurs de la perversion, de la pédophilie, de l’effacement des sexes, du meurtre d’enfants, de faibles et de personnes âgées : celui-là s’illusionne. Si le monde est devenu un enfer à cause de la Révolution, il ne peut redevenir moins mauvais et mortifère qu’avec une action contre-révolutionnaire. Si la Hiérarchie est devenue un réceptacle d’hérétiques, de corrompus et de fornicateurs à cause de Vatican II et de la réforme liturgique, elle ne peut redevenir l’image de la Jérusalem céleste qu’en revenant à ce que les Apôtres, les Pères et les Docteurs, les Saints, les Papes et les Évêques ont fait jusqu’avant le Concile. Continuer sur le chemin de la perdition conduit, en effet, à la perdition : la différence ne réside que dans la vitesse de la course vers l’abîme.

Plus tôt chacun de nous sera capable de renforcer son appartenance au Christ, plus tôt la société reviendra à son Seigneur. Et cette appartenance inconditionnelle à un Dieu qui s’est incarné pour nous racheter ne peut se produire qu’à partir de l’humble adoration de l’Enfant Roi, au pied de la crèche, avec les bergers et les Mages.

Dors, ô Céleste : les peuples

ne savent pas qui est né ;

Mais le jour viendra où ils seront

ton noble héritage ;

que dans cet humble repos,

que dans la poussière caché,

ils connaîtront le Roi.[10]

Que le moment béni vienne pour nous tous où, touchés par la Grâce et mus par la vision salutaire de l’enfer sur terre qui se prépare si nous assistons inertes à l’établissement de la dystopie mondialiste, nous reconnaissons le Roi. Et dans lequel, en Le reconnaissant, nous pouvons combattre sous Son saint étendard ensemble avec la redoutable Victorieuse de Satan – l’Immaculée – la bataille historique contre l’Ennemi de l’humanité. Ce sera une créature, une Femme, une Vierge, une Mère qui écrasera la tête de l’ancien Serpent, et avec elle celles de ses maudits suppôts.

Ainsi soit-il.

+ Carlo Maria Viganò, Archevêque

17 Décembre 2022, Sabbato Quattuor Temporum Adventus

©Traduction de F. de Villasmundo pour MPI relue et corrigée par Mgr Viganò

Notes de bas de page

[1] La sept cent cinquante-deuxième année depuis la fondation de Rome, la quarante-deuxième année de l’empire d’Octave Auguste, alors que tout le monde était en paix… Jésus-Christ, Dieu éternel et Fils du Père éternel, voulant consacrer le monde avec sa très sainte venue, conçu par l’œuvre de l’Esprit Saint, …à Bethléem de Juda est nait, fait homme, de la Vierge Marie. Mart. Rom., 25 Dec.

[2] La Vierge nous revient, et les lois de Saturne, / Et le ciel nous envoie une race nouvelle. / Bénis, chaste Lucine, un enfant près de naître / Qui dois l’âge de fer changer en âge d’or ; / Ton Apollon déjà règne à présent sur nous. Virgile Églogue IV, 6-10.

[3] Le siècle se renouvelle, / la justice et les premiers temps humains reviennent, / et une race nouvelle descend du ciel. Dante, Purgatoire, XXII, 70-72.

[4] Toi, Romain, souviens-toi de régir l’univers ; / Donne aux vaincus la paix, aux rebelles des fers ; / Fais chérir de tes lois la sagesse profonde : / Voilà les arts de Rome et des maîtres du monde.

[5] Vous êtes avertis, apprenez la justice et le respect des dieux. / L’un pour de l’or a vendu sa patrie et l’a soumise / à un maître puissant ; il a fixé ou aboli des lois à prix d’argent ; / tel autre a investi la couche de sa fille, pour des noces interdites : / tous ont osé un sacrilège monstrueux et joui du fruit de leur audace.

[6] W. Shakespeare, Le Marchand de Venise, Acte I, Scène III, Shylock, à part.

[7] Voir à cet égard l’étude exégétique de Mgr Francesco Spadafora, dans Dictionnaire biblique, Studium, 1963.

[8] Hymne Crudelis Hérode pour les vêpres de l’Épiphanie. Celui qui accorde les royaumes célestes ne prend pas les choses mortelles.

[9] Dormi, o Fanciul; non piangere; / Dormi, o Fanciul celeste: / Sovra il tuo capo stridere / Non osin le tempeste, / Use sull’empia terra, / Come cavalli in guerra, / Correr davanti a Te. A. Manzoni, Noël, versets 99-105.

[10] Dormi, o Celeste: i popoli / Chi nato sia non sanno; / Ma il dì verrà che nobile / Retaggio tuo saranno; / Che in quell’umil riposo, / Che nella polve ascoso, / Conosceranno il Re. A. Manzoni, Noël, versets 106, 112.

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