Le philosophe belge Marcel De Corte (1905-1994) fut professeur titulaire de la chaire de philosophie morale et d’histoire de la philosophie de l’Antiquité de l’Université de Liège où il a enseigné pendant quarante ans. Il fut surtout une figure centrale de l’école aristotélicienne au XXe siècle. Sa thèse d’agrégation sur la doctrine de l’intelligence chez Aristote – qui fait encore autorité – fut son premier grand ouvrage préfacé par Etienne Gilson en 1934. La bibliographie de Marcel De Corte compte plus de vingt livres, dont l’indispensable L’intelligence en péril de mort, mais il est aussi l’auteur de centaines d’articles.
Les éditions Hora Decima remettent à disposition l’étude de Marcel De Corte consacrée à Descartes dont il démontre qu’il est le philosophe de la modernité, ce qui n’est pas un compliment dans l’esprit de l’auteur.
« Sil est un spectacle tragique et qui s’impose sans conteste à l’observation, c’est bien celui de l’homme d’aujourd’hui, brisé, disloqué, en proie à une paralysie agitante dont l’affolement et l’inertie sont les signes indubitables de son usure profonde, c’est celui d’un d’un « monde cassé », agité d’un désordre indescriptible, où se heurtent individus, classes, races, nations, dans un commun chaos, c’est celui d’une humanité qui tente vainement et désespérément de reconstituer son unité par une série d’expériences idéologiques dont le résultat le plus clair est l’intensification de la haine et la dispersion. », écrit Marcel De Corte. Or, montre De Corte, c’est la pensée cartésienne qui a plongé le monde dans la dissociété. L’homo rationalis ajustera, selon le mot fameux de Descartes, le monde au niveau de la raison. Avec pour conséquence la transformation radicale de l’image du monde qu’entraîne le dualisme entre l’esprit et la vie. Parce que l’homme n’a plus le sens du concret et de l’incarnation des idées dans la matière, traces indélébiles du Créateur, le monde est amputé de toute présence concrète et personnelle d’une transcendance quelconque : la religion devient déisme, c’est-à-dire, comme disait Bayle, athéisme, la famille entité administrative, la patrie système idéologique.
Parce que la raison séparée de la vie est une raison formelle et logicienne, farcie d’abstraction, de calculs et de statistiques, le monde du rationalisme moderne prend l’aspect d’un immense chantier où règne dans tous les domaines le spécialiste, le technicien, l’expert, qui traite les hommes et les choses d’en-haut, du fond de son laboratoire ou de son bureau, comme une matière indéfiniment transformable.
Marcel De Corte, visionnaire, met en évidence comment la propagation de la pensée cartésienne conduit à une « monstrueuse alliance de l’individualisme libéral qui refuse de soumettre l’homme aux valeurs qu’il doit incarner, et de l’oppression totalitaire qui les groupe en troupeau par la force brutale des armes ou par des stupéfiants idéologiques« .
La conclusion de De Corte est l’urgente nécessité d’en revenir au réel qui passe par la reconstruction de la famille, de la patrie et du métier, notions toutes mise à mal par le rationalisme et ses conséquences dévastatrices.
Descartes, philosophe de la modernité, Marcel De Corte, éditions Hora Decima, 224 pages, 20 euros
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