Frédéric Saliba, installé à Mexico pendant quinze ans, y a assuré un rôle de correspondant pour différents médias francophones. Journaliste économique, il s’est rendu en février 2006 au Mexique. Cinq mois plus tard, le conservateur Felipe Calderon remporte le scrutin présidentiel et déclare la guerre au narco-trafic. L’armée est déployée dans les villes et les campagnes. Cette stratégie frontale attise les tensions entre les cartels concurrents. Les meurtres mafieux se multiplient. Certains sont dignes d’un film gore. Frédéric Saliba reçoit de plus en plus de commandes d’articles sur le sujet.
Seigneurs de la guerre
Dix-huit ans plus tard, le bilan est glaçant : 450 000 morts, plus de 70 000 disparus. Le nombre d’assassinats annuels est passé de 10 500 en 2006 à près de 30 000 en 2023. Certains tueurs sortent à peine de l’enfance. Ils pilotent à distance des drones bombardiers. D’autres tirent au lance-roquettes des projectiles capables de percer la carrosserie d’un char. Cadavres tronçonnés, corps pendus à des ponts, barrages de poids lourds incendiés… Les experts parlent de « conflit de basse intensité » : ici, pas d’armées régulières ni de ligne de front. Les cartels sont partout. Ils infiltrent les institutions, la police en tête. Des millions de Mexicains vivent la peur au ventre face à des « narcos » qui jouent les seigneurs de la guerre dans des zones de non-droit.
Les narco-trafiquants disposent de moyens colossaux. Longtemps cantonnés au rôle d’intermédiaire des cartels colombiens, les mafias mexicaines contrôlent désormais le trafic de drogue sur l’ensemble du sous-continent américain. Depuis le début des années 2000, ces réseaux criminels se livrent une lutte territoriale acharnée pour le contrôle des routes du narco-trafic vers les Etats-Unis et, plus récemment, vers l’Europe et l’Océanie. A l’échelle mondiale, les cartels mexicains concurrencent les puissantes mafias russes, japonaises et chinoises. Ils ont diversifié leurs activités, du vol de pétrole au trafic de médicaments, des cyber-délits aux kidnappings.
Double jeu américain
Plus de 100 000 Américains meurent d’overdose chaque année. Les deux tiers de ces décès sont dus au fentanyl, un opiacé de synthèse trente à cinquante fois plus puissant que l’héroïne, qui se « cuisine » dans les montagnes de l’ouest du Mexique. Sans compter l’essor du trafic de cocaïne. Et sans oublier la controverse sur le double jeu des autorités américaines, « négociant dans l’ombre avec des narco-trafiquants de haut niveau tout en les combattant officiellement ».
Un pied en Europe
Frédéric Saliba signale que le 14 mai dernier, des hauts fonctionnaires mexicains, chargés des enquêtes judiciaires et des douanes, étaient en visite en France et ont passé « un message d’alarme à l’attention de leurs homologues français, appelant à prendre des mesures en urgence avant de se trouver dans une situation aussi grave qu’au Mexique ». Le cartel de Sinaloa a passé, depuis longtemps, des alliances avec les grandes mafias européennes. Selon Europol, les cartels mexicains cherchent à raccourcir la chaîne d’approvisionnement, en réduisant le nombre d’intermédiaires. Ils jouent les grossistes en Europe en alliance avec des organisations colombiennes. Selon la police fédérale mexicaine, il existerait aussi un partenariat entre mafias présentes en Belgique et aux Pays-Bas et cartels mexicains, notamment pour recruter des chimistes.
Un récit passionnant au sujet d’un sujet très inquiétant.
Ex Libris
Cartels ; voyage au pays des Narcos, Frédéric Saliba, éditions du Rocher, 414 pages, 19,90 euros
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