« Pourquoi l’institution caritative la plus riche du monde est-elle actionnaire de sociétés qui sont à l’origine des fléaux sanitaires et écologiques qu’elle s’est donné pour objectif de combattre ? »

A l’heure où le milliardaire Bill Gates est ovationné par les média mainstream comme le génial « médecin du monde », qu’il est écouté par les institutions internationales dont l’OMS qu’il finance largement comme le nouvel oracle délivrant la bonne nouvelle de la santé pour tous à force de vaccins obligatoires, il est bon de relire ces quelques lignes tirés d’un article du Courrier International que personne ne pourra suspecté d’être incorrect. Le ton est donné par la question en-tête d’article, la réponse éclairante sur la pseudo-philanthropie vraie hypocrisie de l’humaniste Gates, surprenant « sauveur de l’humanité » ayant des intérêts financiers destructeurs d’humanité : 

«  D’EBOCHA (NIGERIA)
Justice Eta tend son petit pouce. Une tache d’encre atteste que ce bébé de 14 mois a été immunisé contre la polio et la rougeole, dans le cadre de la campagne de vaccination financée par la Fondation Bill & Melinda Gates au Nigeria. Mais la polio n’est pas le seul danger qui menace le petit Justice. Depuis sa naissance ou presque, il présente des troubles respiratoires. Son entourage dit simplement qu’il “a de la toux”, attribuant sa maladie à la fumée et aux retombées de suie des torchères dont les langues de feu lèchent le ciel à 90 mètres au-dessus d’une raffinerie voisine qui appartient au géant pétrolier ENI. Or l’un des actionnaires de cette société italienne n’est autre que la Fondation Bill & Melinda Gates.
La clinique de fortune où le bébé a été vacciné et les torchères qui dominent la ville symbolisent parfaitement les contradictions de la Fondation Gates. A la faveur d’une enquête approfondie, nous avons constaté une grande incohérence entre les initiatives caritatives de la fondation et ses placements financiers : chaque année, elle engrange d’importants bénéfices grâce à des investissements qui vont clairement à l’encontre de ses bonnes œuvres.
Selon le Dr Elekwachi Okey, médecin à Ebocha, les centaines de torchères des raffineries du delta du Niger ont déclenché une vague de bronchites parmi les adultes, mais aussi d’asthme et de troubles de la vision chez les enfants. Aucune étude n’a réellement démontré les effets de ces usines sur la santé, mais nombre des 250 composés toxiques présents dans les fumées et la suie sont depuis longtemps identifiés comme des facteurs de maladies de l’appareil respiratoire et de cancers. “Ici, nous sommes tous fumeurs, mais personne n’a besoin de cigarettes”, ironise le Dr Okey.
Pour les compagnies pétrolières de la région, il revient moins cher de brûler chaque jour près de 28 millions de mètres cubes de gaz – contribuant ainsi au réchauffement climatique – que de le vendre. Et elles nient tout rapport entre les torchères et les pathologies présentes dans la région. Sous la pression des militants, la Cour suprême du Nigeria a pourtant enjoint aux exploitants d’éteindre leurs torchères d’ici à mai 2007. A partir de cette date, le gaz devra être soit réinjecté dans le sous-sol, soit acheminé par camion et gazoduc pour être vendu. Mais les autorités ne se font pas d’illusions et il y a de fortes chances pour que la combustion se prolonge encore plusieurs années.
La Fondation Gates a consacré 218 millions de dollars à une campagne de vaccination contre la polio et la rougeole menée dans le monde entier, y compris dans le delta du Niger. Parallèlement, elle a investi 423 millions de dollars dans le capital d’ENI, de Royal Dutch Shell, d’Exxon Mobil, de Chevron et de Total – les compagnies responsables de la plupart des émissions de gaz qui obscurcissent le ciel d’Ebocha, et ce à des niveaux très supérieurs à ceux tolérés aux Etats-Unis ou en Europe.
Les dirigeants locaux accusent aussi le développement de l’industrie du pétrole de favoriser d’autres fléaux combattus par la Fondation Gates. Les ouvriers et les soldats qui les protègent attirent par exemple la prostitution, contribuant ainsi à une recrudescence du VIH et des grossesses adolescentes. Et les trous de forage se remplissent d’eaux stagnantes, devenant des foyers de prolifération idéals pour les moustiques qui propagent le paludisme.
A la fin 2005, la Fondation Gates était dotée de 35 milliards de dollars, ce qui en faisait déjà l’institution caritative la plus importante du monde. Depuis lors, Warren E. Buffett, l’homme le plus riche de la planète (après Bill Gates), s’est engagé – en juin 2006 – à y ajouter progressivement près de 31 milliards de dollars, prélevés sur sa fortune personnelle. Sans même compter les dizaines de milliards de dollars supplémentaires promis par Gates, le capital dont dispose désormais la fondation est supérieur au produit intérieur brut de près des deux tiers des pays du monde.
Comme la plupart des œuvres philanthropiques, la fondation consacre chaque année au moins 5 % de ses avoirs à des donations afin de bénéficier d’une exonération fiscale. En 2005, elle a ainsi distribué près de 1,4 milliard de dollars. Elle subventionne essentiellement des actions sanitaires, des initiatives visant à améliorer l’enseignement public aux Etats-Unis et des programmes d’aide sociale dans la région du Nord-Ouest Pacifique.
Les 95 % restants sont investis. Ces placements sont gérés par Bill Gates Investments, une structure qui administre également la fortune personnelle du milliardaire. Selon Monica Harrington, responsable de la stratégie pour la fondation, les gestionnaires ont un seul objectif : dégager une rentabilité “capable d’assurer la pérennité du financement des programmes et des subventions”. Bill et Melinda Gates demandent à ces financiers de diversifier fortement leur portefeuille, mais ne leur donnent aucune directive particulière.
Si l’on se réfère aux données fournies par des cabinets spécialisés dans l’analyse des pratiques des fonds communs de placement, des fonds de retraite, des agences gouvernementales ou des fondations, on constate que la Fondation Gates détient des participations dans un grand nombre d’entreprises qui contreviennent aux normes écologiques, opèrent des discriminations professionnelles, violent les droits des salariés ou développent d’autres pratiques contraires à l’éthique, et ne remplissent donc pas les critères classiques de responsabilité sociale. Plusieurs centaines de placements réalisés par l’institution – représentant un total d’au moins 8,7 milliards de dollars, soit 41 % de ses actifs (hors titres d’Etat américains ou étrangers) – concernent des entreprises dont l’action contrarie ses objectifs philanthropiques ou ses préoccupations sociales.
D’après Paul Hawken, spécialiste de l’investissement socialement responsable et directeur du groupe de recherche Natural Capital Institute, c’est là le “secret honteux” de beaucoup de grandes œuvres caritatives. “Les fondations subventionnent des organismes qui s’efforcent de construire l’avenir, mais, par leurs investissements, elles hypothèquent cet avenir.” Le plus grave, souligne-t-il, n’est pas d’investir dans des sociétés nocives ou peu respectueuses de l’éthique, mais de ne le faire que pour l’argent, sans même chercher à améliorer le mode de fonctionnement de ces entreprises. Ce genre de stratégie peu scrupuleuse, ajoute Paul Hawken, récompense en réalité les mauvaises pratiques.
A la Fondation Gates, cette politique est garantie par le strict cloisonnement de la branche caritative et de la branche financière. Les objectifs de la première ne doivent en aucune façon affecter les investissements de la seconde. Ses responsables ont d’ailleurs récemment annoncé qu’ils envisageaient d’institutionnaliser cette organisation en plaçant leurs actifs dans une structure distincte, le Bill & Melinda Gates Foundation Trust, dont les deux administrateurs seront Bill et Melinda Gates eux-mêmes. “Nous fonctionnons depuis plusieurs années selon ces principes, explique Mme Harrington. Mais une séparation officielle des deux branches clarifiera encore davantage la situation.”Les gestionnaires du fonds n’excluent que les fabricants de tabac de leur portefeuille. Ils n’investissent jamais un centime dans une entreprise au simple motif qu’elle agit conformément aux intérêts philanthropiques de la fondation.

Des milliards de dollars investis dans des industries polluantes

Le milieu caritatif commence pourtant à se rendre compte qu’il est pour le moins paradoxal de donner de l’argent pour promouvoir un monde meilleur tout en réalisant des investissements qui le mettent en péril. Des études récentes montrent que de nombreuses fondations, dont certaines parmi les plus importantes des Etats-Unis, se sont au moins fixé quelques principes de base pour assurer une certaine cohérence entre leurs placements et leur mission. Parmi les principales institutions qui fondent essentiellement leur choix sur des critères de justice sociale, de bonne gouvernance d’entreprise et de respect de l’environnement, figurent par exemple les fondations Ford, John D. et Catherine T. MacArthur, Rockefeller et Charles Stewart Mott. Près d’un tiers de ces institutions jouent leur rôle d’actionnaire en utilisant leurs droits de vote pour infléchir les pratiques des entreprises. Quelques-unes sont même devenues de vrais actionnaires militants. Depuis quelques années par exemple, la Nathan Cummings, dotée de 481 millions de dollars, soumet régulièrement au vote des actionnaires, lors des assemblées générales, des résolutions contraignant la société à adopter une stratégie transparente et respectueuse de l’environnement.
Monica Harrington assure, sans plus de précisions, que les gestionnaires de la Fondation Gates votent également ce genre de résolutions. En mai dernier, elle avait pourtant confié à la revue Chronicle of Philanthropy qu’ils ne se mêlaient jamais de ce genre d’affaires. La fondation n’a par ailleurs pas autorisé son responsable des investissements, Michael Larson, à répondre à nos questions.
De son côté, Michael J. Smith, directeur des investissements de la Fondation Charles Stewart Mott, estime que les fondations doivent absolument utiliser leurs droits de vote pour améliorer le comportement des sociétés, ne serait-ce que pour des raisons purement financières. “Les entreprises qui ont une bonne gouvernance sont généralement bien gérées et enregistrent régulièrement des bénéfices”, affirme-t-il.
La Fondation Gates serait particulièrement bien placée pour donner le la. Elle dispose de plus de pouvoir que n’importe quelle autre pour faire avancer le débat, fait remarquer Douglas Bauer, vice-président de Rockefeller Philanthropy Advisors, un organisme à but non lucratif qui conseille les fondations sur les questions de stratégie et d’éthique. Si elle sélectionnait des sociétés qui partagent ses valeurs, le secteur de la philanthropie dans son ensemble subirait un véritable “séisme”, assure-t-il. La fondation n’a pas répondu à nos questions écrites sur ses éventuelles intentions de modifier sa politique d’investissements.
A Lagos (Nigeria), presque tous les matins, Felix, 56 ans, se rend à pied dans une usine située dans les faubourgs de la capitale pour acheter un pain de glace à 40 cents. Ce militaire à la retraite en a absolument besoin : il ne doit pas laisser fondre ses médicaments. Il y a deux ans, son épouse a été emportée par le sida et il a appris qu’il était séropositif. Il a pris des antirétroviraux et son état s’est amélioré. Mais il a souvent dû interrompre son traitement, qui, à 62 dollars par mois, était au-dessus de ses moyens. Cet ancien sergent, père de six enfants, ne touche qu’une pension de 115 dollars – et encore, pas tous les mois. Plus grave, son organisme a bientôt cessé de réagir à la molécule. En mai, Felix a commencé à prendre un autre médicament, le Kaletra. Ce traitement lui a permis d’aller mieux, mais à quel prix ! Sous le climat caniculaire du Nigeria, où le mercure dépasse souvent les 37 °C, les gélules de Kaletra fondent. Le retraité est donc obligé de les conserver dans une boîte remplie de glace, qu’il faut renouveler chaque jour. Il doit ensuite prendre son médicament à 10 heures du matin et à 10 heures du soir précises. Avec de telles contraintes, il lui est difficile de travailler, même en se contentant d’un petit boulot.
Il existe désormais une nouvelle version du Kaletra qui se conserve à température ambiante. Mais le médecin traitant de Felix, le Dr T.M. Balogun, l’un des directeurs du programme de lutte contre le sida au centre hospitalier universitaire de Lagos, lui a conseillé de ne pas trop espérer. L’hôpital est subventionné par le gouvernement nigérian, qui touche lui-même des aides du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Cet organisme a reçu 651 millions de dollars de la Fondation Gates. Pourtant, l’hôpital ne propose pas le nouveau Kaletra. Il est trop cher. Plusieurs pharmacies privées le commercialisent à 246 dollars par mois. Totalement hors de portée pour Felix.
Or le Kaletra est fabriqué par le laboratoire Abbott. Et la Fondation Gates détenait, en septembre 2006, une participation de 169 millions de dollars dans le capital de ce labo. En 2005, le portefeuille de la fondation comptait près de 1,5 milliard de dollars d’actions de laboratoires pharmaceutiques très critiqués pour leurs pratiques commerciales limitant l’accès des populations pauvres des pays en développement à des molécules essentielles. En moyenne, la valeur des actions de ces sociétés a augmenté de 54 % depuis 2002. Ses investissements chez Abbott et dans d’autres laboratoires ont probablement rapporté à la fondation plusieurs centaines de millions de dollars.

Microsoft, meilleur allié des laboratoires pharmaceutiques

L’industrie pharmaceutique se défend en expliquant que cette protection par les prix est indispensable à la poursuite de ses activités de recherche et développement. En 1994, à l’issue d’un intense lobbying mené avec d’autres secteurs d’activité fondés sur la recherche, elle a fait adopter l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle liée au commerce, qui limite les possibilités de commercialiser des génériques bon marché. Cet accord assure aux nouveaux médicaments un monopole pour une durée d’au moins vingt ans – confirmant du même coup les droits exclusifs d’Abbott sur la production de Kaletra. Ce qui explique qu’il n’y ait pas de générique pour remplacer cette molécule, dont Abbott fixe le prix pour le monde entier.
Sous la pression des associations, Abbott a toutefois consenti, comme d’autres laboratoires, à baisser le prix des principaux médicaments contre le sida dans les pays pauvres. Au Guatemala et en Thaïlande, la nouvelle version du Kaletra coûte ainsi 2 200 dollars par patient et par an – somme à laquelle il faut ajouter les taxes et les droits –, ce qui est très inférieur aux 8 000 dollars facturés aux Etats-Unis. Au Nigeria, le traitement revient officiellement à 500 dollars par an. Mais c’est encore beaucoup trop cher pour Felix et la grande majorité des patients. Cette politique de tarification “fait que, dans les pays en développement, les médicaments ne sont à la portée que d’une petite élite fortunée”, déplore Brook Baker, spécialiste de la propriété intellectuelle à l’université Northeastern (Boston), qui n’hésite pas à parler d’un “apartheid pharmaceutique”.
Les laboratoires soulignent que leurs détracteurs oublient de parler des milliards de dollars en médicaments qu’ils offrent chaque année aux pays en développement. Abbott rappelle qu’il a fourni gracieusement des traitements contre le sida à 25 000 patients, offert plusieurs millions de kits de dépistage et contribué à financer un vaste programme d’amélioration des services liés au sida en Tanzanie. Ces cadeaux sont certes très appréciables, mais ils ont un effet pervers : ils font fuir les fournisseurs de génériques. “Les dons font disparaître la perspective d’un approvisionnement régulier”, explique Ellen ‘t Hoen, qui dirige un programme d’accès aux médicaments de Médecins sans frontières. Et quand il n’y a plus de remèdes gratuits les patients meurent.
La plupart des médicaments garantissent une rentabilité élevée. Au troisième trimestre 2006, Abbott affichait une marge bénéficiaire brute de 59 %, et a versé à ses actionnaires des dividendes pour le 331e trimestre d’affilée. Selon un rapport du Congrès américain, pour le seul premier semestre 2006, les dix plus gros laboratoires pharmaceutiques ont dégagé 39,8 milliards de dollars de bénéfices.
En août dernier, Bill Gates a déclaré à la tribune de la Conférence internationale sur le sida que la grande priorité de sa fondation était d’enrayer ce fléau. Depuis sa création, celle-ci y a consacré plus de 2 milliards de dollars. Mais elle n’a pas répondu à nos questions écrites sur les problèmes des patients qui ne peuvent se procurer les médicaments contre le sida en raison de la politique des laboratoires pharmaceutiques.
Parallèlement, la fondation sélectionne les bénéficiaires de ses dons selon des critères bien plus rigoureux que les laboratoires où elle investit une grande partie de son argent. Son formulaire de demande de subvention précise qu’elle attend des candidats qu’ils “exercent leurs droits de propriété intellectuelle selon des modalités cohérentes avec l’objectif affiché par la Fondation Bill & Melinda Gates de promouvoir […], dans l’intérêt général, la disponibilité des inventions dans les pays en développement à un coût raisonnable.”
Certains détracteurs de la fondation estiment que, afin de comprendre son incapacité à utiliser ses propres investissements pour servir “l’intérêt général dans les pays en développement à un coût raisonnable”, il suffit de remonter à la source principale de sa richesse – Microsoft, dont Bill Gates est président. Le monopole de Microsoft sur les systèmes d’exploitation informatiques et les logiciels de bureautique relève en effet de la même conception de la propriété intellectuelle et du droit commercial que celle défendue par les laboratoires pharmaceutiques. “La Fondation Gates a vraiment les moyens de transformer la dynamique pour faire en sorte que les médicaments soient fournis en premier lieu aux pays qui en ont le plus besoin”, souligne Daniel Berman, directeur adjoint de Médecins sans frontières pour l’Afrique du Sud. “Mais cela irait à l’encontre des intérêts de Microsoft.

Charles Piller, Edmund Sanders et Robin Dixon »

 

Francesca de Villasmundo

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