Dans une autobiographie publiée en 2014, Leben nach der Querschnittslähmung[1] – « Une vie après la paraplégie » -, Norbert Hofer[2] évoque le drame qui l’a fauché en pleine jeunesse. Un certain 11 août 2003, un accident de parapente allait bouleverser sa vie et le condamner à la chaise roulante. Le handicap qui l’a frappé lui a pourtant révélé des ressources physiques et psychologiques insoupçonnées. Il dut à sa force de caractère, mais aussi à l’aide qu’il reçut, d’avoir pu surmonter une situation paraissant désespérée. Norbert Hofer en est sorti transformé intérieurement. Son recentrage sur l’essentiel a fait de lui un homme plus heureux, plus authentique, plus empathique, plus prudent et plus reconnaissant pour ce que les anciens ont légué à l’Autriche. Autant d’atouts du jeune candidat à la présidence. Extraits présentés en deux parties.
Première partie
Dans son avant-propos, Norbert Hofer se souvient de cette autre vie, une vie où la passion pour le sport de compétition à risques tenait une large place : le deltaplane en montagne, le permis de vol à voile, les virées à moto, le surf sur le lac de Neusiedl, le saut d’une tour de dix mètres de haut…
«Quelques jours avant mon accident, qui a complètement changé ma vie, en faisant du lèche-vitrines, j’aperçus un jeune homme dans un fauteuil roulant. Derrière se tenait sa femme − jolie. Ma première pensée : la pitié. Qu’est-ce que la vie? Je devais bientôt le savoir.»
«C’était mon troisième vol cet été. Bonne météo à Kulm, quoique un peu de vent, mais pas de problème. J’avais obtenu la licence de pilote spécial pour parapente qui venait compléter mes autres licences de pilotage, et voulais ce jour-là profiter une fois de plus de la vue depuis le sommet avec un simple appareil. Après la routine de départ, je volais le long de l’escarpement et appréciais le panorama sur le lac de Stubenberg. J’aimais voler bas, sentir les arbres à portée de main et faire signe aux randonneurs. Seulement quinze mètres au-dessus du sol, puis tout à coup une forte turbulence, l’aile se replie. Aucune chance d’ouvrir le parachute de secours, aucune chance d’ouvrir à nouveau la voile. Juste une pensée : la survie – avant toutes choses.»
«Il s’ensuit une chute interminable, la Terre fonce sur moi, le temps s’arrête. Je m’écrase sur le sol, ne peux pas respirer, puis des douleurs atroces dans le dos et une sensation d’engourdissement dans les jambes − non, en fait, aucune sensation dans les jambes. Je ne peux pas me lever, peux à peine bouger. Le téléphone mobile est dans ma poche de pantalon. Je ne peux pas l’atteindre. Je finirai bien par le trouver, l’hélicoptère arrive, je perds connaissance.»
«Puis un bip, de nombreux appareils, l’unité de soins intensifs. On m’a vissé beaucoup de titane dans la colonne vertébrale brisée. La moelle épinière est également gravement atteinte. Le diagnostic : paraplégie totale et une rééducation longue et éprouvante pour apprendre à se servir d’un fauteuil roulant. Mes jambes de remplacement.»
«Suivirent des jours angoissants à l’hôpital et six mois de séjour dans un centre de réadaptation à Klosterneuburg. Apprendre à asseoir tout seul dans le lit, à se glisser du lit au fauteuil roulant. Les douches avec la chaise roulante de douche. Appréciable de pouvoir se mettre tantôt sur le dos tantôt sur le ventre après quelques semaines. Pas si facile d’aller aux toilettes en fauteuil roulant. Le sport-handicap, ce que s’était amusant.»
«C’est un sentiment étrange que d’être soudainement handicapé. Au début, on ne veut pas l’admettre. Pourtant, avec le temps on s’y habitue. Plus encore, je sais que ces dernières années j’ai infiniment appris. Durant les nombreux mois de réadaptation, j’ai rencontré beaucoup de fortes personnalités, davantage que les années précédentes où j’occupais un poste dans l’aviation ou dans la politique. Des personnes qui étaient complètement à terre et qui ont vraiment maîtrisé leur vie. Des personnes qui ont trouvé leur centre, en dépit de toutes les turbulences.»
«Ce livre est dédié à tous ceux qui sont confrontés à une situation désespérée, doivent retrouver la maîtrise de leur destin, et qui ont peut-être besoin d’une petite fenêtre pour entrevoir la perspective d’une nouvelle vie. Une vie pleine d’un nouveau bonheur.»
Jeunesse dans le Burgenland
«Si tant est qu’il existe une enfance et une adolescence parfaites, j’en eus le privilège. J’étais un cossard classique. Mon père était directeur d’une entreprise de taille moyenne. Il était originaire de Mautern en Haute-Styrie, et ce fut la gendarmerie fédérale qui l’amena à un jeune âge à Pinkafeld. Il y avait là la caserne Turba, où été logés des centaines de jeunes soldats. C’est là qu’il rencontra ma mère et qu’ils se marièrent jeunes.»
«Ma mère, la fille d’un fabricant de cuir qui naquit aux Etats-Unis et ne prit que tardivement la nationalité autrichienne, s’occupait exclusivement de ses enfants, du ménage et des grands jardins, un cadeau du grand-père au jeune couple.»
«Deux choses m’ont particulièrement enthousiasmé dans mon enfance: les planeurs qui, poussés par un vent léger, tournoyaient tous les week-ends au-dessus de notre propriété.»
«Et puis il y avait mon penchant pour l’entraînement mental. Peut-être une petite marotte qui devait plus tard se révéler utile dans les moments difficiles. J’étais sans doute le seul garçon de 12 ans dans cette petite ville à me rendre à l’école avec une demi-heure d’avance pour me livrer dans l’herbe fraîche du jardin à des exercices de concentration orientaux ou bien pour dévorer les livres sur la puissance de la pensée positive ou les écrits de Rudolf Steiner.»
«Puis j’approchais les 14 ans et je devais décider vers quel métier m’orienter. Je posais ma candidature au Collège technique supérieur fédéral de l’aéronautique d’Eisenstadt.»
«Et un jour, j’éprouvais un désir ardent de marcher. Je quittais le foyer de plus en souvent pour explorer les environs. Nous avions généralement cours jusqu’au soir, 40 heures étaient prévues et j’avais pris comme matières facultatives l’astronautique et le français. La plupart du temps, il faisait donc déjà sombre quand je commençais à faire mes petites escapades après l’école et les devoirs.»
«Après un hiver qui fut consacré, outre l’étude des secrets de l’aéronautique, à la course à pied, je participais à ma première compétition. A Oberwart se déroulèrent les championnats nationaux de cross-country. Je ne savais pas ce qu’il allait advenir de moi. Fournis par mon entraîneur et éducateur Joachim, j’avais revêtu les nouveaux pantalons de course qui me rappelaient les collants des ménestrels du Moyen Âge, et enfilé une paire de chaussures de course tout terrain. Comme il y avait de grosses pointures et que le champion national en titre s’était annoncé, on n’en attendait pas beaucoup du nouveau venu.»
«Je finis deuxième. Le premier de mes nombreux titres de vice-champion national sur toutes distances. Après tout, c’était un champion national qui avait terminé premier.»
«J’étais ingénieur pour la compagnie aérienne autrichienne Lauda Air. Pour autant, je n’ai jamais renoncé à la course à pied et à me qualifier au marathon de Vienne.»
«Je me souviens que je me suis souvent réveillé avec le même cauchemar. J’essaie de courir, de bouger mes jambes, mais cela n’était pas possible. Après le 11 août 2003, je n’ai plus jamais eu ce cauchemar. Il était devenu réalité.»
Fascination pour le vol
«En tant qu’ingénieur de bord, j’ai effectué de nombreux vols en particulier sur Boeing 767 et 737 afin de tester les réacteurs neufs ou ayant fait l’objet d’une maintenance récente. Voler avec un petit avion n’est donc pas comparable. Plus l’avion est petit, plus la sensation de vol est véritable, plus la liberté que l’on ressent dans l’air est illimitée. Une vue depuis la fenêtre d’un avion de passagers est comme regarder une image. Sur un vol en deltaplane, l’on se sent comme intégré à l’image, comme faisant partie du courant, libre comme un oiseau. C’est un mélange de respect pour les puissances de l’air, d’une joie infinie et parfois de peur.»
«C’est à l’âge de 17 ans que commença mon aventure avec le vol à voile, mais auparavant il me fallait apprendre la pratique du planeur (deltaplane, parapente).»
«Ma collaboration à Lauda Air commença peu après la plus grande catastrophe de l’histoire de l’aviation autrichienne. Le 26 mai 1991, à 23h17 heure locale, un Boeing 767-ER de Lauda Air s’est écrasé à l’ouest de la Thaïlande, après qu’un des inverseurs de poussée d’un réacteur se fut enclenché. 223 personnes trouvèrent la mort dans cet accident.»
«L’entreprise m’envoya souvent à l’étranger, en particulier à Phoenix, Arizona, à Bâle et à Zurich chez Swissair, à Raunheim chez Garrett, à Paris chez Air France Industries et à Francfort chez Lufthansa. Autant d’endroits où nos réacteurs faisaient l’objet d’une révision générale et où se déroulaient des congrès.»
La roue de hamster de la politique
«Quand je jette un coup d’œil sur mon timeline [agenda], comme l’appelle la génération Facebook, je crois qu’il est difficile d’identifier le moment où j’ai décidé d’entrer en politique. Il est vrai que la politique était un thème récurrent dans notre maison familiale. Mon père avait pour habitude de déjeuner à la maison, son entreprise n’était qu’à quelques minutes de là.»
«J’ai adhéré au FPÖ dès l’obtention du baccalauréat. C’était tonifiant pour moi et beaucoup d’amis de ma génération d’appartenir à un parti qui n’entrait pas dans le vieux schéma de la grande coalition. En Autriche, quasiment tout est organisé par les partis politiques : clubs automobiles, associations sportives, coopératives immobilières, même l’organisation de la santé en dépendent. Ainsi, la politique des partis s’immisce dans tous les domaines de la vie.»
«J’ai donc suivi des cours de rhétorique et de formation politique au Séminaire de Vienne [Académie du FPÖ], rue Bartenstein. Mon premier enfant étant en route, je suis retourné à Eisenstadt avec ma petite famille pour m’y établir, je me suis inscrit au groupe local [Burgenland] et lui proposa ma collaboration.»
«J’ai toujours détesté payer un loyer, un investissement perdu, et je me suis donc mis à la recherche d’une maison. J’ai eu la chance d’en trouver une dans le quartier Saint-Georges d’Eisenstadt. Une maison bourgeoise de 1697 était à vendre. Dès la première visite avec l’agent immobilier, nous étions très enthousiasmés. Je voulais absolument acquérir cette maison avec son immense cave à vins, ses plafonds voûtés et quelques meubles anciens. Bien sûr, je n’avais pas d’argent. Je pus reprendre le prêt à la construction de l’ancien propriétaire et, au lieu de payer un loyer, je remboursais les mensualités de crédit. De mon point de vue, l’investissement le plus judicieux.»
«C’est donc cette vieille maison qui nous a décidés de ne pas faire le grand saut. Lorsque je vois l’évolution politique aux États-Unis, je suis aujourd’hui heureux d’être resté autrichien [il avait eu une offre d’emploi d’un constructeur de réacteurs aux Etats-Unis]. J’ai fait le bon choix.»
«Ainsi la roue du hamster continuait à tourner. Je suis devenu responsable de l’organisation du Cercle des acteurs économiques du FPÖ, puis secrétaire pour le Burgenland, président et conseiller de la section d’Eisenstadt, président régional, attaché de presse au bureau gouvernemental, et par la suite président du club parlementaire [du FPÖ].»
«Lorsque je regarde aujourd’hui les photos de l’époque, je me demande comment j’ai pu assumer tout cela. Il n’est pas étonnant que, sous de telles contraintes, mon mariage ait volé en éclats et qu’ayant dû quitter ma vieille maison bourgeoise, je me sois retrouvé dans un petit logement près du palais Esterhazy.»
«Des années plus tard, j’ai rencontré ma femme actuelle, Verena, qui a vu mes activités politiques avec beaucoup de compréhension.»
«Puis arrive 2002 [coalition de gouvernement entre les chrétiens-démocrates de l’ÖVP et le FPÖ[3]]. Je savais qu’il était temps de changer quelque chose dans ma vie. Mon parti avait lamentablement échoué dans sa participation au gouvernement. Ce qui avait été promis avant l’élection n’avait pas été tenu. Au lieu d’imposer le chancelier, on a laissé la chancellerie à la troisième force politique [ÖVP[4]]. L’une des premières mesures prises a été la taxation des pensions d’accident ; difficile de faire mieux dans l’antisocial! Les ministres changeaient quasiment tous les mois. En 2002, après seulement deux ans de participation au gouvernement et un scandale qui éclata lors d’un rassemblement du parti à Knittelfeld, on procéda à de nouvelles élections.»
«Puis j’ai été convoqué à Vienne où l’on m’annonça que j’allais être nommé secrétaire fédéral. En même temps, on me désignais comme tête de liste dans le Burgenland pour les élections législatives.»
«Après cette élection, mon parti est de nouveau entré dans une coalition. Après les pertes massives [enregistrées par le FPÖ], il devint un partenaire junior insignifiant. De nombreux soutiens s’exprimèrent en faveur du maintien de la direction d’alors [Haider], mais ils furent rejetés. J’étais plus que malheureux.»
«Je refusais une nouvelle offre de responsable des achats relevant du domaine technique que m’avait faite Lauda Air, bien que l’on me proposât un salaire qui était le double de mon revenu en politique. Je ne pouvais pas me libérer de la roue de hamster.»
«Je ne pouvais donc pas décider, aussi le destin a-t-il décidé pour moi. Le 11 août 2003, je fus brutalement arraché à la roue du hamster.»
[1] Ed. FPÖ-Bildungsinsitut, 2014.
[2] Né le 2 mars 1971 à Vorau (Styrie) et a grandi à Pinkafeld (Burgenland).
[3] http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Autriche/187325
[4] Wolfgang Schüssel, chancelier sous la coalition ÖVP-FPÖ 2000-2005.
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