« Prêtres bouchers » : cette expression, rapportée par le Padre Pio à son père spirituel après sa vision du 4 avril 1913 (1er vendredi du mois), peut choquer mais elle est extraite d’une citation.

Le mot n’est pas de lui : « Il [Jésus] me montra une foule de prêtres… La peine qu’il éprouvait me faisait mal… Il continuait de les fixer, le regard horrifié… deux larmes coulaient sur ses joues. Il se détourna de ces prêtres avec une expression de dégoût et s’écria « bouchers ! ».

Une vision « privée » n’est pas de foi, l’Eglise ne précipitant pas l’adhésion de ses enfants à ce que certains privilégiés nous apprennent. Mais ici, la parole est établie par les faits : la réalité cruelle de la profanation du sacrement de l’Ordre n’est autre que celle révélée ces derniers mois jusqu’aux stupres gidiens2. Les larmes du Sacré-Cœur prolongent, pour les mêmes raisons, celles de sa sainte Mère à la Salette.

Que faire ? Padre Pio supplie chacun : « Prions pour eux afin que le Seigneur les illumine et touche leur cœur ». Il en ramènera beaucoup de ces égarés, un à un, jusqu’à son dernier souffle, demandant à ses plus proches dirigés de l’aider. Don Putti fut l’un de ses bons samaritains.

Don Francesco Putti (1909-1984) est contemporain du héros que fut en France Monseigneur Marcel Lefebvre. Le prélat français lui avait adressé à la Noël 1983 un courrier de soutien au cours de la maladie qui devait finalement l’emporter : « Nous prions continuellement la Sainte Vierge et tous les saints du Ciel d’avoir pitié de nous et de nous conserver le dernier héraut de la foi catholique à Rome »2. Eloge qui en dit long sur les démérites d’un Paul VI.

« Le dernier héraut de la foi catholique » … Monseigneur Francesco Spadafora, sommité des universités romaines et biographe de Don Putti, en a listé bien des titres. Ils tiennent à son combat opiniâtre contre l’efflorescence des erreurs doctrinales et des scandales – ainsi que de leurs auteurs, sous des pontificats que l’on n’ose aujourd’hui offrir à la vénération des fidèles.

A l’annonce de son décès, Monseigneur Lefebvre, le docteur en théologie, écrivait aux religieuses « Disciples du Cénacle », congrégation que don Putti avait fondée, que toujours « il se réjouissait de trouver auprès de lui (le simple prêtre, presque autodidacte) force et lumière dans la lutte contre les destructeurs de l’Eglise ».

Le fondateur d’Ecône n’avait-il pas coutume d’affirmer qu’un enfant de cinq ans connaissant son catéchisme pouvait en remontrer à son évêque ? Don Putti ne s’en priva pas en fondant, dès 1975, la revue anti-moderniste « Si Si, No No » , qu’à Rome « nul ne connaissait mais tous lisaient » et qui tirera jusqu’à 20 000 exemplaires mensuels ! Cette revue fut reprise et traduite dans plusieurs pays, notamment en France par le biais du Courrier de Rome sur le conseil de Monseigneur Lefebvre 3.

****

Il avait presque cinquante ans lorsqu’il fut ordonné. Il avait pris conseil auprès de son Père spirituel, le Padre Pio qui, le connaissant de près, savait qu’il serait un sujet propre à consoler le Sacré-Cœur. L’homme, dit-on, continue l’enfant : dans sa jeunesse don Putti fut un modèle, dans la vie professionnelle un modèle de chrétien, dans sa longue préparation au sacerdoce (non pas sans maîtres mais sans condisciples), un modèle de séminariste.

La mode n’était pas aux vocations tardives. Patient, humble et bûcheur, il sut convaincre. En 1954, pour les premiers ordres, le Père gardien du couvent capucin de La Spézia, où il étudiait, témoignait : « Les autres Pères de la communauté et moi-même admirons la bonté de Francesco et le sérieux de sa vocation. Ses progrès dans les études sont manifestes ». Comme en écho, son évêque confirmera, dix ans après : « Franciscain authentique, il possédait la vraie sagesse ».

Déjà se dessinait en lui cette marque particulière que saint Thomas range du côté de la charité : la volonté ou « faculté libre » qui prime sur l’intelligence ou « faculté nécessaire ». L’homme s’unit à Dieu au moyen de la volonté (S. Th. I-II, q. 88, a. 6). Au Colisée, c’est cette « volonté libre » qui fit les martyrs comme, aujourd’hui, c’est par elle que l’on reste fidèle à la Tradition. Il faut plus que la messe en soi, avec encens et barrette. Il faut vouloir.

Les épreuves ne l’avaient pas épargné. Celle du corps : laissé infirme par une poliomyélite infantile. Celle du cœur : avec la mort précoce de son père à l’âge de 13 ans. Celle de l’intelligence : avec la privation des études.

Quand, dernier de sept enfants, il veut travailler pour aider sa mère, il a 18 ans. Il la perd quand il en a 25 et reste seul, célibataire. Pensa-t-il alors au sacerdoce, comme quelques amis d’Action catholique ? Il franchit le pas et ne se lance qu’à 40 ans, guidé, soutenu par un aumônier des étudiants, monsignore de la Secrétairerie d’Etat, proche du futur Paul VI, qui se portera fort de ses aptitudes. C’est pourtant le même qui le trahira, peu avant son ordination, un 29 juin 1956. Ses ennuis commencent … Deux mois ne sont pas écoulés que son évêque veut le suspendre, lui interdire la célébration de la messe, sous de faux prétextes. Devant l’évidence, il y renonce mais Don Putti doit chercher asile ailleurs. Etrange fête que celle de ce 22 août 1956: « Je ne suis pas devenu prêtre (s’était-il défendu) pour duper mes supérieurs avec des excuses sur des fautes que je n’avais ni pensées, ni voulues, ni commises. /…/ Voyant que je ne reconnais pas « mes torts », l’évêque me dit qu’il me suspendrait a divinis. Je l’ai prié de mettre sa décision par écrit. Il n’y eut pas de suspens. » A-t-on ce cran à 25 ans ?

***

Son handicap le condamnant à un ministère statique, il se fit confesseur. C’est le temps d’après Pie XII, celui du Concile avec ses papes d’un genre nouveau : toujours plus pour les ennemis de la Croix, toujours moins pour les amis de la Vérité. C’est la revanche consentie du protestantisme sur le Concile de Trente, le triomphe assumé du libéralisme sur Vatican I, la fondation voulue – d’une volonté libre mais funeste – d’une religion nouvelle dans les limites assignées au Cardinal Béa par « ceux » qui ne tolèrent ni la Tradition, ni les Pères, ni la Sainte Messe, ni les Sacrements, ni le Messie.

Pendant que s’accomplit cette chrysalide à l’envers, il médite et prie, jusqu’à soumettre au jugement de son évêque le projet de l’œuvre des « Disciples du Cénacle » en 1965 : « Au cours de ma vie civile ainsi que dans la vie sacerdotale où je me trouve depuis plusieurs années, j’ai constaté de très nombreuses et douloureuses défections de prêtres ; quelques unes sont notoires, mais la majeure partie reste cachée et ce sont celles-ci qui ont provoqué et provoquent le plus grand dommage aux âmes : le sacerdoce est dégradé et réduit à l’état de métier. /…/ Travailler à l’avènement du Royaume de Dieu et à la sanctification de ses membres et obtenir, par la communion des saints, la sanctification de l’apostolat des ministres de Dieu et la conversion des pêcheurs. /…/ A cette fin nous avons pensé réunir des personnes dans le but d’offrir leur vie au Seigneur… si chaque prêtre avait une personne qui vive de prière et de sacrifice, pour lui et pour son apostolat».

***

Pour bien comprendre le sens des mots, il faut rapporter une autre épreuve, effrayante dans sa nature mais pas si étonnante que cela après la vision des « prêtres bouchers ».

En 1963, Don Putti fut déféré au Saint Office, accusé d’avoir vendu à la presse le « scoop » de la profanation des confessions du Padre Pio par l’affaire des micros . La vérité était qu’une des victimes lui avait demandé d’avertir le Saint Père de cette ignominie, que son évêque ne le lui permit pas et qu’un autre s’en chargea à son insu … par voie de presse ! Le scandale fut à la mesure de la profanation. On retrouva dans ses notes le détail de l’interrogatoire, notamment ce qu’il osa dire à son accusateur, en face, sur les intentions du vrai coupable :  « Même si mes rapports avec Monsieur P. sont actuellement plus que tendus, je dois reconnaître qu’il voulait mettre en évidence de quel côté était la pourriture : là on ne prend aucune mesure [comprendre : l’évêque concubinaire de San Giovanni Rotondo qui monnayait l’ordination d’homosexuels ; comprendre : détourner  des milliards de dons pour combler une banqueroute] ; en revanche, là où il n’y a aucun mal [comprendre : le ministère de Padre Pio] , on prend des mesures sévères. Cela s’appelle coopérer à la victoire du bien. En effet, c’est un devoir que de dévoiler les pièges dans lesquels peuvent être tombés des Supérieurs car ce sont des hommes et non des dieux ». D’accusé il se faisait accusateur.

C’est ce devoir de coopérer à la victoire du bien qui le déterminera, au moyen de  Si Si, No No à « unir les Catholiques autour de la doctrine de l’Eglise, sapée de toute part, attaquée, ruinée par les doctrines progressistes ».  Si Si, No No  dira « oui » à tout ce qui est conforme à la foi catholique transmise par les apôtres et « non », sans moyen terme, à ceux qui prétendent la changer. Suivre le chemin de la vérité, même s’il est douloureux. Elle ne tiendra aucun compte des titres ni du pouvoir, elle ne cherchera pas à se faire des amis et elle ne craindra pas ses ennemis… ».

***

Intrépide, Don Putti et son équipe de savants rédacteurs, bien avisés de ne signer jamais leurs articles pour éviter la destitution de leurs hautes charges dans l’Eglise, attaquaient l’erreur et leurs auteurs de front, n’épargnant aucune sommité.

Ainsi, le futur Benoît XVI, qui saura se faire passer pour « un ami de la Tradition »– presque son protecteur jusqu’en 2012…- : « Ratzinger : un Préfet sans foi (sic) à la Congrégation de la Foi ». Ou encore : « Le P. Rosssato ne croit pas à la transsubstantiation », « Un groupe de pouvoir occulte au Vatican pour le prochain concile », « Un « guichet » pour divorcés dans le nouveau catéchisme », « Semper infideles »…

Réduite a quia, l’Autorité Suprême voulut.. le réduire au silence, non pas sur le fond mais par lynchage : campagne de dénigrement dans Il Tempo, par un jésuite répétant que la revue n’était qu’un torchon et, en avril 1979 dans L’Osservatore Romano, son directeur assénant que Don Putti était un « semeur d’ivraie ». Le coup du Grand accusateur avant l’heure !. Le journal du Pape, ou le Pape lui-même, refusant les rectifications demandées, Don Putti saisit la Justice civile italienne qui, en 1981, condamna le diffamateur à publier son jugement, sous astreinte. Une première ! On mit le directeur à l’abri des poursuites de l’Etat italien en le faisant citoyen de l’Etat du Vatican… Pour don Putti et ses rédacteurs, l’honneur était sauf : « La condamnation atteint la Secrétairerie d’Etat de Sa Sainteté qui, dans son orientation moderniste, a perdu jusqu’aux apparences d’un comportement correct, non seulement d’un point de vue religieux et moral mais également du point de vue civil ».

***

Saint Pie X prêchait à ses évêques la prudence dans le choix des aspirants au sacerdoce : « Mieux vaut en avoir peu  mais de bons ! Qu’en ferons-nous s’ils deviennent douteux et indignes ? » Il vivait encore, en cette année 1913, de la vision des « prêtres bouchers ».

L’hôtellerie Sainte-Marthe qui en abrite quelques-uns n’existait pas. Pour mesurer toute l’actualité du conseil de saint Pie X, la nature du mal profond révélé par Notre Seigneur à Padre Pio et la nécessité de poursuivre le combat de don Putti, il faut aller au bout de la lecture du récit de 1913 de Padre Pio:

« Je ne pourrai jamais révéler à qui que ce soit ce que Jésus me révéla par la suite. Cette apparition déclencha en moi tant de douleurs morales et physiques que je restai prostré toute la journée. J’aurais cru mourir si Jésus ne m’avait alors révélé … (laissé en blanc sur l’original). Comme Jésus a raison de se plaindre de notre ingratitude ! Combien de nos malheureux frères répondent à son amour en se jetant à bras ouverts dans l’infâme secte des francs-maçons ! ».

N’est-ce pas cette dénonciation-là qui manque aux « révélations » nauséeuses de ces derniers mois, que personne n’ignorait tout-à-fait ? La seule qui mette un nom sur l’Hydre à abattre. Pour cela il faut le vouloir, de « volonté libre ».

Mgr Spadafora termine son bel ouvrage consacré à don Putti par cette fine pensée du grand Pascal qui pourrait y encourager quelques-uns : « De même que c’est un crime de troubler la paix là où règne la vérité, c’est également un crime de demeurer en paix quand la vérité est détruite ».

Edmond RENE

Notes :

  • Lettre du Padre Pio au Père Agostino, son père spirituel, le 7 avril 1913 :

« Vendredi matin [le 28 mars 1913], Jésus m’apparut alors que j’étais encore au lit. Il était en bien piteux état, méconnaissable. Il me montra une foule de prêtres réguliers et séculiers, dont plusieurs dignitaires de l’Eglise ; parmi eux, certains célébraient, d’autres se paraient de leurs ornements sacerdotaux ou les enlevaient.

La peine qu’il éprouvait me faisait mal et je demandai à Jésus la raison de sa souffrance. Je n’obtins pas de réponse. Il continuait, le regard horrifié, de fixer ces ecclésiastiques. Comme s’il était las de regarder, il leva les yeux sur moi et je découvris avec effroi que deux larmes coulaient sur ses joues. Il se détourna de tous ces prêtres avec une expression de dégoût et s’écria : « Bouchers ! ». Puis s’adressant à moi : « Mon fils, ne crois pas que mon agonie n’ait duré que trois heures ; non, à cause des âmes que j’ai le plus comblé de bienfaits, elle durera jusqu’à la fin du monde. Pendant le temps de mon agonie, il ne faut pas dormir, car mon âme a besoin de quelques larmes de pitié humaine. Hélas, les hommes me laissent seul sous le poids de leur indifférence. L’ingratitude et le sommeil de mes ministres rendent mon agonie plus pénible ».

Source : Padre Pio de Pietrelcina, Recueil de lettres – correspondance avec ses directeurs spirituels, Pierre Téqui éditeur, p. 344

2 – Enfants débauchés

3 –  Le Courrier de Rome a cessé cette collaboration vers 2010.

4 – Voir :

« Padre Pio, le stigmatisé » par Yves Chiron, éditions Perrin et Tempus ;

« Don Putti, fondateur de ‘si si no no’, héraut de la foi catholique » par Mgr Francesco Spadafora, éditions Les Amis de st François de Sales.

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