Nous sommes en 1095, et la France est sur le point de fêter son 600e anniversaire lorsque le pape lance, à Clermont, son grand appel:
Chevaliers chrétiens, ce sont vos frères et les nôtres, des chrétiens comme vous, des membres du Christ, fils de Dieu et cohéritiers de son royaume, qui subissent cette tyrannie et souffrent ces outrages ! Ils se voient chassés de leurs domaines héréditaires, ils viennent mendier parmi nous le pain de la pauvreté et de l’exil. C’est du sang chrétien, racheté par le sang du Christ, qui coule par torrents sous le glaive des infidèles ; c’est la chair des chrétiens, unie par les sacrements à la chair du Christ, qui sert de jouet pour de monstrueuses infamies. Des Turcs, race immonde, font courber sous la verge le front de nos frères ! Et vous cependant, vous portez le ceinturon de la chevalerie. Êtes-vous vraiment les chevaliers du Christ ? (…)
Chevaliers chrétiens, vous avez depuis des siècles laissé les infidèles fouler aux pieds, profaner, souiller la terre sainte et le tombeau de Jésus-Christ. Encore quelques mois de cette fatale indifférence et vous verrez le glaive du musulman sur vos têtes. Vos épouses et vos mères, vos fils et vos filles, arrachés à vos bras, iront réjouir de leur servitude la férocité des Turcs et des Sarrasins. Vous souvient-il d’un empereur qui se nommait Charlemagne ? Germains, il fut vôtre par l’antique origine de ses aïeux ; Français, il fut vôtre et son nom est pour vous un titre de gloire immortelle. Le bras invincible de Charlemagne faucha par milliers les Sarrasins ; il les extermina en Espagne, en Aquitaine, aux frontières de la France ; il les chassa d’Italie. Vous autres, Français, vous prétendez même sur la foi des récits populaires, ut fama vos vulgatis, qu’il alla jusqu’en Palestine les expulser de Jérusalem et des lieux saints.
Après un tel exemple, comment oseriez-vous encore vous dire la nation très chrétienne, la première nation du monde, solam esse vel primariam gentem Franciam, quam christianam veram esse liceat, si, endormis dans le sommeil de votre opulence, après avoir abandonné le sépulcre du Seigneur aux outrages des infidèles, vous laissiez lâchement les Sarrasins et les Turcs envahir, opprimer, égorger les derniers restes du peuple chrétien ? Réveillez-vous donc ! Debout, preux chevaliers, viri fortes ! L’univers chrétien se précipitera sur vos traces, il suivra votre héroïque exemple. Revêtez vos armures, assemblez vos légions, vos cohortes, vos compagnies. Vous aurez d’autant plus de soldats que vous montrerez plus d’ardeur et d’intrépide confiance. Le Dieu tout-puissant sera avec vous; du haut du ciel il enverra ses anges qui marcheront devant votre face et dirigeront vos pas. Chrétiens, allez délivrer le sépulcre de Jésus-Christ la gloire vous attend, gloire éternelle dans les cieux, splendeur immortelle sur cette terre.
[Orat. Urban. II in concil. Clarom. habit. de expeditione Hierosol., PL, t. 151, col. 565-582, et Balder. Dol. Hist. Hieros., PL, t. 166, col. 1066-1069, passim. Cité dans DARRAS J.-E., Histoire générale de l’Église, t. 23, p. 77., in La vocation des Francs, Michel Defaye, éd. LE SEL, p. 15-16]
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