Comme nous le disons il y a deux ans, l’Inde avait démonétisé les billes de 500 et 1000 roupies (soit 80 % des billets en circulation) le 8 novembre 2016, avec le soutien de la haute finance internationale, FMI en tête, qui vantait les « bénéfices permanents et substantiels » de cette mesure, mais également par la banque Paribas qui déclarait le 23 novembre 2016 que le gouvernement indien avait fait « preuve d’une audace sans précédent » en décidant une démonétisation surprise affectant 85 % de la monnaie en circulation pour un montant total de 220 milliards de dollars. « Par cette mesure, le gouvernement s’attaque à l’économie parallèle, à la corruption et à la fausse monnaie qui concerne surtout ses billets à haute valeur faciale », s’enthousiasmait le spécialiste en investissement Paul Milon de BNP Paribas.

A l’époque, la réforme visant à lutter contre l’économie parallèle en démonétisant les plus grosses coupures en l’espace de quatre heures – le délai annoncé par Narendra Modi lorsqu’il a rendu publique cet arrêt de mort – a été présenté sur le plan international comme un important mais indispensable sacrifice à imposer aux Indiens. L’objectif était double : lutter contre l’évasion fiscale en rendant contrôlable la richesse du pays, mais aussi numériser l’économie et les échanges en imposant un recours toujours plus systématique aux paiements digitaux. L’Inde devenait du jour au lendemain un laboratoire pour la marche forcée vers une économie sans argent liquide, la société sans cash, alors même qu’elle était largement à la traîne sur ce plan comparée au reste du monde.

Cependant, le dernier rapport de la Reserve Bank of India prouve que la suppression massive d’argent liquide n’a apporté aucun des bienfaits mis en avant pour la faire accepter par les populations, tout en pourrissant la vie des Indiens. Pire, cette mesure a même coûté un point de PIB à l’inde.  Si le nombre des paiements électroniques a progressé, c’est moins qu’espéré, et les contrefacteurs, connus pour leur adaptabilité, se sont recyclés dans la fabrication de fausses coupures de moindre valeur avant de se perfectionner dans celle des nouveaux billets de 500 et 2.000 roupies qu’ils produisent aujourd’hui à grande échelle. Une chose a bien fonctionné, et c’est sans doute ce qui importe le plus aux partisans de la société sans cash : elle a porté un coup sans doute fatal à de nombreuses petites entreprises informelles qui permettaient aux Indiens les plus pauvres de survivre, et elle a permis une généralisation de la surveillance fiscale…

Tout ceci s’est fait contrairement aux prévisions de Paul Milon, qui le 23 novembre 2016 déclarait :

« ce processus douloureux à court terme allait perturber le circuit de consommation et la croissance du PIB indien. Mais l’affaire allait sûrement se solder par une baisse de l’inflation ainsi que par une baisse de la croissance qui à leur tour permettraient de nouvelles baisses de taux des prêts pour stimuler l’activité économique. A moyen terme cette évolution devrait apporter une foule d’avantages comme une hausse des ressources et des dépenses du gouvernement (!), une meilleure transmission monétaire, une plus grande inclusion financière et un taux d’épargne plus élevé des ménages. Tous ces facteurs concourant à une augmentation du potentiel de croissance du PIB de l’Inde. ». Et pour cause : la démonétisation allait permettre d’» accélérer le processus d’inclusion financière » :

obliger l’ensemble de la population à disposer de comptes bancaires. Une opération tout bénéfice pour les banques, évidemment, mais aussi pour l’Etat indien qui cherche à promouvoir les paiements électroniques, assurait le chroniqueur. En clair : il s’agissait d’un outil pour permettre un meilleur contrôle de l’économie officielle et en même temps, pour mettre des bâtons dans les roues du marché noir. Narendra Modi évoquait les gros poissons, mais les petites affaires des Indiens modestes étaient aussi visées, afin d’accroître les recettes fiscales par l’élargissement de la base d’imposition dans une économie qui jusque-là comportait un secteur parallèle représentant 23,7 % du PIB. Alors qu’en avril 2017 la Banque Mondiale, qui elle aussi soutenait le projet, soulignait que 55 % des nouveaux comptes bancaires ouverts dans le monde entre 2014 et 2017 l’avaient été en Inde, et que si seuls 35 % des adultes y en possédaient un en 2011, ils sont aujourd’hui 80 %. Un mois plus tôt, le FMI annonçait que l’Inde se remettait enfin de la « disruption » causée par la démonétisation – une disruption marquée au départ par la pénurie (voulue ?) de nouveaux billets de banque, de queues interminables pour échanger les vieux billets, de projets remis à plus tard, de mariages annulés parce qu’on avait économisé en liquide pour en payer les frais, d’emplois perdus. L’Inde, assurait le FMI, renouait enfin avec la croissance insolente des pays où l’industrie bénéficie de salaires bas et d’une population élevée… Or, il n’en fut rien et le bilan fut désastreux : on parle d’une centaine de morts, de la destruction d’au moins 1,5 millions d’emplois et de 150 millions de personnes sans revenus pendant des semaines selon The Guardian du 31 août.

La moralisation de la vie politique ne fut même pas au rendez-vous, et si 99,3 % des billets subitement privés de leur valeur ont été rapportés. l’argent sale s’était depuis longtemps transformé en actions, en or ou en biens immobiliers… « Soit l’argent noir continue d’être investi dans d’autres actifs (or, immobilier, par exemple) soit il se doit encore d’être identifié parmi les dépôts actuels de différentes banques indiennes », analyse Ipsita Chakavarty dans le site d’informations Scroll India, car, ajoute-t-il, « après la démonétisation, les établissements bancaires ont signalé avoir détecté une hausse de 480% des transactions suspectes ». Autre échec : les faux billets. Leur nombre serait loin d’avoir diminué. La Banque centrale constate même, à ce sujet, que ceux de 2000 roupies – introduits après la démonétisation – ont augmenté de façon exponentielle sur l’année fiscale par rapport à la précédente.

Un malheur n’arrivant jamais seul, on constate depuis juin un effondrement de la roupie en corollaire de celle de la livre turque, qui a atteint son plancher le plus bas avec 70 roupies pour 1 $ le 13 août. Un casse-tête en perspective pour la banque centrale indienne (RBI), confrontée depuis plusieurs mois à des tensions inflationnistes, alimentée par la hausse du prix du pétrole et par une croissance économique dynamique (7,3 % attendus par le FMI pour l’exercice 2018-2019 et 7,5 % pour l’exercice suivant). Les tensions commerciales entre les Etats-Unis et l’Inde ne font que noircir un peu plus le tableau…

Hristo XIEP

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