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Les lecteurs de Médias-presse-info le savent : l’Ukraine vit une période difficile. Après les événements de Kiev ayant mené à la fuite du président Viktor Ianoukovitch, c’est maintenant le sud-est du pays qui s’enflamme. En effet, les russophones des régions de Kharkov, Lougansk et Donetsk ne se reconnaissent pas dans le nouveau gouvernement à la solde du FMI et de l’OTAN et réclament de plus en plus vivement la tenue de référendums portant sur le statut de leurs régions, à l’instar de ce qui s’est produit en Crimée.

Dans ce contexte tendu, l’information circule comme quoi les forces de l’ordre envoyées en renfort par Kiev pour réprimer les manifestations prorusses dans les régions orientales du pays comprendraient notamment des éléments de la société militaire privée Greystone. « Fait inquiétant, environ 150 spécialistes de la société privée américaine Greystone déguisés en soldats de l’unité ukrainienne Sokol participent à l’opération. » a ainsi communiqué le ministère russe des affaires étrangères sur sa page Facebook officielle. Autrement dit, le gouvernement des amis de Ioulia Timochenko, pour mater la révolte de ses citoyens russophones, aurait recours à des mercenaires américains.

La direction de Greystone et le gouvernement ukrainien ont, l’un et l’autre, démenti cette information. Il s’avèrerait également que le siège de l’administration régionale de Donetsk est toujours aux mains des protestataires prorusses et n’a nullement été pris d’assaut par les forces de l’ordre.

Dans cette guerre de l’information qui fait rage entre Russie et Occident, il est extrêmement difficile de distinguer le vrai du faux.En attendant d’en savoir plus sur la réalité de l’engagement éventuel de Greystone dans les troubles ukrainiens, il peut être utile de revenir sur ce qu’est cette firme et d’envisager ce que signifierait son intervention en Ukraine.

Greystone Ltd. est une société militaire privée enregistrée dans l’Etat de Barbade, dans les Caraïbes, offrant une gamme de services de protection, armée et non-armée, englobant l’entièreté du spectre de la violence. Cette compagnie d’un genre particulier est surtout une filiale d’Academi, société militaire privée ayant jadis défrayé la chronique sous le nom de Blackwater.

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Blackwatera troqué son nom pour celui de Xe en février 2009 et ensuite pour celui d’Academi en décembre 2011 afin de se défaire de son image entachée par l’incident de la place Nisour à Bagdad. En effet, le 16 septembre 2007, une colonne de quatre véhicules de Blackwater était prise dans un embouteillage dans la capitale irakienne. Les « contractors » américains se sont alors frayé un passage en tirant dans la foule, tuant 17 personnes et en en blessant une vingtaine d’autres. Cette affaire était un énième scandale provoqué en Irak par ces mercenaires d’un nouveau genre après plusieurs autres soigneusement étouffés par les autorités américaines.

Depuis 1991 et la première guerre du golfe, les Etats-Unis ont souvent eu recours aux sociétés militaires privées qui foisonnent aujourd’hui dans le monde. Il est connu que ces dix dernières années,  les « contractors » – toutes firmes confondues-, ont été le deuxième contingent le plus nombreux à opérer en Irak (les plus gros effectifs étant ceux de l’armée américaine), loin devant l’armée britannique.

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Cette externalisation de l’usage de la force armée a de multiples avantages pour les dirigeants américains. Cela permet bien évidemment d’éviter de faire exécuter à l’armée régulière certaines « sales » besognes moralement peu justifiables et peu populaires dans l’opinion publique. Par ailleurs, la large utilisation de sociétés militaires privées en Irak a  aussi été un moyen pour le gouvernement des Etats-Unis de faire baisser artificiellement le nombre officiel de militaires américains engagés et morts dans la « guerre contre le terrorisme ». En outre, en ces temps de réduction des effectifs de la Défense, les « contractors » fournissent des contingents supplétifs et d’appoint plus qu’appréciables.

En soi, l’emploi de sociétés militaires privées peut parfaitement se comprendre et se justifier, notamment au bénéfice d’entreprises développant une activité économique dans des zones particulièrement insécurisées ou dans des pays aux mains avec de puissants cartels mafieux. C’est ainsi que, bien souvent, les compagnies de transport maritime font embarquer des « contractors » à bord de leurs cargos devant naviguer dans des eaux sujettes au fléau de la piraterie. Et qu’y a-t-il de condamnable à ce qu’une entreprise pétrolière  implantée au Nigéria y fasse assurer la sécurité de son personnel expatrié à l’aide d’une société militaire privée ? Sans oublier qu’il existe aussi de telles firmes en France, travaillant par exemple pour le compte de grandes entreprises françaises en Afrique et en Amérique latine.

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Revenons-en à l’Ukraine. L’éventuelle implication de Greystone Ltd. dans des opérations de maintien de l’ordre établi dans le sud-est du pays constitue bien sûr un cas de figure radicalement différent qui soulève bien d’autres questions. En effet, l’Etat ukrainien est-il tombé à ce point en capilotade que des mercenaires américains doivent lui prêter main forte ? Dans quel état se trouvent les troupes des ministères de l’intérieur et de la défense ? La police et l’armée connaîtraient-elles des problèmes de loyauté vis-à-vis du nouveau gouvernement ? En cas dérapage de la situation, à qui ces « contractors » rendront-ils des comptes ? Qu’en est-il de l’indépendance de l’Ukraine ? Comment réagiront les milices d’autodéfense russophones et la Russie ? Dennis Kucinich, député démocrate au congrès américain de 1997 à 2013, a présenté avec beaucoup de justesse le problème en ces termes : « Si les oligarques souhaitent engager des sociétés militaires privées pour leur propre protection, ils en ont le droit. Mais si un Etat fait entrer des armées privées, c’est une sorte de produit inflammable parce qu’il n’existe aucun moyen de les contrôler. Les armées privées poursuivent leurs propres intérêts. Nous avons vu en Irak comment les forces de sécurité privées pouvaient devenir incontrôlables. Dans une situation politique ou militaire tendue, c’est extrêmement dangereux parce qu’ils tirent profit de l’expansion du conflit. Ils pourraient déclencher une guerre et en profiter. On sait que l’argent reçu aujourd’hui par l’Ukraine provient uniquement du FMI. Alors qui finance ces armées privées ? »

L’Ukraine est devenue une poudrière pour laquelle une intervention de mercenaires américains pourrait très bien se révéler une funeste étincelle. Espérons que la clique au pouvoir à Kiev ne joue pas inconsidérément avec le feu…

Baudouin Lefranc

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