Il est des livres que l’on qualifie d’ouvrages parce qu’ils sont plus que des textes ou des récits. Ils offrent au lecteur une qualité d’âme, lui apportent cet éclairage sans lequel l’horizon de son intelligence serait bien terne.

La littérature française se compose d’un trésor d’ouvrages que de généreuses signatures ont su produire dans le silence d’un bureau, à la coulée du jour, ou à la lueur timide d’un carcel. L’abécédaire littéraire français est immense et René Bazin, par l’orthographe de son nom, en occupe les premières pages sans qu’aucune, dans son œuvre, démentit jamais la qualité du royal registre. René Bazin, oui ! qu’il ne faut pas confondre avec le triste rejeton familial, Jean Hervé-Bazin, son petit-neveu, écrivain lui aussi et auteur de « Vipère au poing », dont l’esprit, tout couvert de haine, s’égara dans la caverne creuse de l’ultra gauche intello-pacifiste.

Homme droit, juriste éminent – c’est là un moindre pléonasme -, catholique intelligent et père de huit enfants, René Bazin (1853-1932) sut mener de front une vie professionnelle embrassant la justice et une vie littéraire faite de tous les détails de la vie des hommes. Or la vie des hommes n’est jamais très éloignée de la justice ni de l’idée qu’ils s’en font. C’est ainsi qu’elle traverse ses personnages. Il y a ceux qui s’en départissent au nom d’idéaux fallacieux, et ceux qui la servent parce qu’elle les travaille au corps. Bien des métiers sont placés sous son regard et nous sont rendus sous une plume attentive. Le paysan attaché à son morceau de terre comme le chevelu racinaire à sa racine, le bûcheron qui coupe les mots en quatre, le marin pêcheur qui souffre le flot de l’incongruité humaine, l’homme d’affaires alsacien que tiraille l’occupation allemande de l’après 1870, la jolie demoiselle qui renonce à tout pour orienter son âme vers le « grand amour » ou la vocation sacerdotale d’un homme que la ferme familiale ou un amour secret tardent à déclarer au grand jour.

Bazin est un homme juste qui porte sur son décor un regard juste. Il aime la France, ses paysages, ses us, ses accents, ses florilèges de convenances, sa trame catholique et ses travailleurs. Le pays qui est le sien est celui de la fin du 19e s et du début du 20e s. Il meurt en 1932, avant la sarabande grotesque et dangereuse du Front populaire, mais pendant les douloureuses secousses économiques et sociales de la crise de 1929. Or, sa France est encore une terre où l’on transmet, une terre que l’on ouvre sous le joug des bœufs et qui est nourricière. Elle est un drapeau que l’on salue, un prêtre que l’on reçoit et que l’on écoute, un rivage où l’on aime accoster. La France de Bazin est celle d’avant son américanisation. Depuis lors, ce n’est plus vraiment la France, car, en le lisant, l’on ne reconnait plus le même pays.

C’est pourquoi, il faut lire Bazin, jeunes ou moins jeunes ! Il faut revivre la France de Bazin, parce que c’était encore la France. Parce qu’elle est belle dans ses descriptions, parce qu’elle appelle à la vertu des actes, parce qu’elle suscite et éveille à l’intelligence des mots. Parents ! faites découvrir les pages sublimes de cet auteur à vos lycéens ou à vos étudiants. Qu’avec Gilbert Cloquet, le brave bouvier du « Blé qui lève », ils entreprennent la longue marche des vicissitudes du présent pour murmurer, auprès de lui, ce soupir qui signe la fin de l’ouvrage : « j’ai le cœur en paix »…

L’œuvre de Bazin est riche de nombreuses pépites. Romans ou nouvelles, tous font chorus. Les personnages se complètent et forment un ensemble de populations qui fit les héros de nos monuments aux morts ou les hérauts de la chrétienté. « La terre qui meurt », « Les Oberlé », « Ma tante Giron », « Gingolf l’abandonné », « De toute son âme », « Magnificat », ne sont que l’échantillon d’une longue liste de chefs d’œuvre signés de la main de cet écrivain. Le moins que l’on puisse dire, est qu’il avait le cœur à l’ouvrage

Gilles Colroy

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