Muriel Baumal est la maman d’un petit garçon, Loïc, trisomique 21. Elle s’est exprimée devant le Parlement Bruxellois au nom des parents d’enfants handicapés. Un témoignage marquant sur les difficultés rencontrées au quotidien par les parents d’enfants handicapés.

Ce discours, Muriel Baumale l’a prononcé le 30 mars dernier au sein du Parlement bruxellois dans le cadre des jeudi de l’hémicycle organisé ce jour-là par le Centre de Réadaptation Ambulatoire « L’étoile Polaire » autour de la Trisomie 21.

En peu moins d’un quart d’heure, elle expose en effet les nombreux obstacles rencontrés par des parents pour mener une vie la plus décente possible. 

 

Lorsque l’on m’a demandé d’écrire un témoignage autour du handicap, de la fratrie ou de son annonce, j’ai pensé que c’était peut-être un peu tôt, un peu prématuré… qu’il faut une maturité et une sagesse énorme pour faire de son histoire singulière une parole universelle. Je n’ai pas ce talent.

Je suis maman d’un garçon qui s’appelle Loïc. Loïc porte dans son patrimoine génétique 3 chromosomes 21. Loïc est un prénom breton qui signifie « illustre au combat »… Je voudrais également rendre ici hommage à sa soeur jumelle qui s’appelle Eledwen. C’est un prénom elfique. Il signifie « Belle comme une elfe ».

Cela fait 5 ans que je voyage au « pays du handicap » passant de l’ombre à la lumière et du soleil levant à un ciel d’orage. C’est un pays peuplé d’artistes où les décors publicitaires lisses ou surannés n’ont pas leur place. La délicatesse fleurit partout, émergeant de l’ombre, de la lumière, du rire, du drame et des larmes. Je voudrais aujourd’hui parler d’une région plus brumeuse du pays du handicap où la beauté tout aussi puissante, nous happe, nous surprend, nous touche et nous dérange parfois. Je voudrais prendre quelques secondes de votre temps pour rendre hommage à ces parents de l’ombre qui ne sont pas présents aujourd’hui … afin que vous ne les oubliiez pas dans vos décisions, dans vos projets de loi ou dans vos amendements. Nous sommes des parents de « chair et d’os » comme vous et pas des numéros de dossiers qui viendront grossir les piles des bureaux du Phare, du SPF ou des mutuelles.

Je voudrais parler de ces parents qui le lendemain de l’annonce du handicap de leur enfant revêtent leur armure et partent en campagne jusqu’à leur dernier souffle.
Je voudrais parler de ces parents qui le lendemain de l’annonce du handicap de leur enfant s’effondrent et ne se relèvent pas.
Je voudrais parler de ces parents dont la famille ou les grands-parents sont loin.
Je voudrais parler de ces parents qui ne sont plus qu’un seul à la maison parce que l’autre est parti.
Je voudrais parler de ces parents qui ressemblent à des toupies ou que la société a transformé en girouette parce qu’ils n’ont plus de temps.

Je voudrais parler de ces parents qui tentent de concilier, par nécessité, une activité professionnelle, tout en veillant à assurer les soins, les suivis thérapeutiques, les réunions, les formations, les remises en question, les réunions scolaires ou à la crèche, la fabrication de matériel, la recherche de jeux ou d’outils adaptés, la recherche de stages ou d’activités.

Je voudrais parler de ces parents qui ont troqué leurs rêves pour un projet plus humble, à savoir se battre afin que leur enfant touché par le handicap prenne un jour sa place dans la société, bénéficie d’une bonne école, pénètre le monde du travail, ait droit à un logement adapté, puisse se déplacer et accède aux loisirs…

Je voudrais parler de tous ces parents qui attendent, des pouvoirs publics, une meilleure prise en charge de leur situation : une simplification des démarches administratives, des aides sociales concrètes, un aménagement de leur vie au travail, une protection de leur travail.

Je voudrais parler de ces parents qui se voient comme décevants aux yeux des institutions qui prennent en charge leur enfant et qui culpabilisent de ne pas répondre suffisamment bien aux attentes des thérapeutes ou des enseignants.

Je voudrais parler de ces parents qui travaillent, se sentant sur la sellette en permanence et redoublant d’ardeur dans leur activité professionnelle au péril de leur santé.

Je voudrais parler de ces parents qui ne travaillent pas ou plus et qui pour certains auraient aimé conserver une vie ou une activité en dehors du monde du handicap.

Je voudrais parler de ces parents dont le travail de militantisme représente à lui seul des années entières de travail à temps plein et qui ne percevront jamais le moindre salaire ou la moindre reconnaissance pour toutes ces batailles menées dans l’ombre au péril parfois de leur santé.

Je voudrais parler de tous ces parents qui veillent farouchement à ce que les frères et les soeurs aient leur enfance, leur vie et qu’ils ne deviennent jamais les béquilles de leur frère ou de leur soeur.

Je voudrais parler de tous ces parents qui avant d’être des parents et des parents d’un enfant porteur de handicap sont des femmes, des hommes, des personnes comme vous ici, des avocats, des médecins, des professeurs, des ingénieurs, des employés, des ouvriers, des personnes sans emplois. Comme nous tous, ils ont été des enfants. Certains rêvaient de devenir pompiers, d’autres policiers, d’autres rêvaient de faire le tour du monde. En voyageant au pays du handicap, ils ne feront peut-être jamais le tour du monde. Mais ils auront peut-être la chance de faire le tour d’eux-mêmes… Comme disait Gandhi, « le plus grand voyageur n’est pas celui qui a fait dix fois le tour du monde, mais une seule fois le tour de lui-même ».

L’on parle beaucoup des enfants porteurs de handicap et c’est normal parce que c’est d’abord d’eux dont il doit être question. L’on crée des services d’accompagnement pour les enfants et pour leur famille. Il faudrait créer davantage d’espaces et de structures pour écouter et accueillir ces parents. Les parents ont besoin de soutien pour affronter la réalité sociale, économique, médicale et psychique du handicap. Ils parlent rarement d’eux-mêmes, de leurs aspirations, de leur santé ou de ce qu’ils rêvaient, ce n’est plus à l’ordre du jour. Ils ont également besoin que l’on prenne soin d’eux. Ils s’oublient souvent, délaissent leur vie et mettent leur santé en péril faute de temps… et parfois d’argent.

Le monde politique, médical et social doit être attentif à ces parents, ces aidant-proches qui se battent pour le devenir de leur enfant et ne trouvent plus le temps de se soigner eux-mêmes.
« Je fais ce rêve étrange et pénétrant » qu’à une époque de « Disette Internationale et Nationale », Mesdames et Messieurs les députés de la Région Bruxelloise, vous fassiez
honneur au Surréalisme Belge, que vous soyez là où on ne vous attend pas, que vous surpreniez le monde et vos homologues européens :
En respectant enfin intégralement la charte des Nations Unies en matière de Handicap,
En veillant par ailleurs à ce que l’ensemble de vos ministères ou de vos communautés la respectent et l’appliquent,
En vous attardant sur le statut précaire des parents et des familles frappés par le handicap
En améliorant le statut d’aidant-proche,
En allongeant substantiellement le nombre de mois offerts à ces parents dans le cadre du congé parental ou du congé pour assistance médicale,
En augmentant également les allocations octroyées à ces parents lors des congés parentaux ou des congés pour assistance médicale,
En offrant davantage de services de répits adaptés et non spécifiquement résidentiels,
En vous préoccupant d’avantage des fratries et cela à tous les âges.
L’accès à l’école de son choix et aux loisirs relèvent encore du singulier alors que c’est un droit que La Belgique s’est engagée à respecter et à faire respecter.
Les parents et les familles ne sont pas des accros aux aides sociales. Mais nous sommes conscients que nos enfants ont des droits et nous entendons les faire respecter.

A une époque où les scandales financiers salissent le monde politique belge et européen où les salaires de certains industriels, sportifs ou hommes politiques frisent le surréalisme, quel pays, quelle société peut rester digne lorsqu’elle octroie à un parent-travailleur à temps plein 700 euros d’indemnité dans le cadre d’un congé parental ou d’un congé pour assistance médicale ? Qui peut aujourd’hui prétendre nourrir correctement une famille, la faire vivre, la faire rêver tout en assurant les soins d’un enfant malade ou porteur de handicap avec 700 euros par mois.
Aucun parent ne devrait avoir à choisir entre apporter des soins à son enfant ou un « morceau de viande » à sa famille.

Je voudrais une dernière fois que l’on salue tous ces parents d’enfant porteur de handicap pour le travail qu’ils accomplissent dans l’ombre, cumulant bénévolement les mandats sans gonfler leur compte en banque en fin de mois ou recevoir la moindre éloge.
Ces parents ont un nom et un prénom… s’appellent
Ces frères et ces soeurs ont un prénom et un nom…
Ces enfants qui arborent avec délicatesse 3 chromosomes 21 à leur boutonnière ont un nom et un prénom…
Par toutes ces mesures, vous nous soutiendrez et vous veillerez à ce que nous et nos enfants restions dignes, fiers, en bonne santé, à l’écoute de nous-mêmes et d’eux-mêmes ; de nos rêves et de leurs ambitions. Comme le disait Shakespeare, « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves ». Loïc m’a appris à « danser sous la pluie ». C’est une leçon pour l’éternité. C’est le plus beau cadeau que je vous souhaite. Faites en sorte que nous parents, tous les frères et toutes les soeurs ne devenions pas uniquement le parent de….ou le frère ou la soeur de…mais restions une personne à part entière…une voie lactée peuplée de contradictions, de désirs, de rêves, de colères, de joie…un livre inachevé empli de projets, de douce rêverie pour nous-mêmes…et tous nos enfants…

Muriel Baumal

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